Dès la phrase d'attaque de « Griada », nous sommes au fait :

    « Le graviplan me ramenait de la dix-huitième station spatiale satellite. »

    A. Kolpakov doit avoir découvert le space-opera et veut nous faire partager son émerveillement. Il y parvient fort bien du reste, mais au prix de l'originalité. Si l'astronaute, un peu ours, pas trop malin et râleur, ne se nommait Victor Andréev, le savant, roublard sous ses dehors bonhommes, Piotr Samoïlov, nous ne serions pas étonnés de trouver la signature de Hamilton ou le nom de Leinster. Toute la panoplie du space-opera est étalée devant nous : pilote qui compte « cent années de lumière », autoroutes magnétiques, électrostations thermonucléaires, fusées à quanta qui atteignent la vitesse de la lumière, à gravitons qui la dépassent, cocktail-parties (sic), fiancée attendant sagement en hibernation le retour du pilote parti explorer un système solaire sis à 30.000 A. L., tout s'y retrouve. Le décalque opère même sur la narration, le style, le dialogue, peu semblables à ce que nous donnent d'ordinaire les auteurs russes. Il ne s'agit cependant pas d'un pastiche ; non, c'est un bon space-opera américain écrit par un soviétique. Mieux, ou pis, comme on voudra, si Moscou remplace New York, et Leningrad Chicago, il n'y a pas une phrase, une réflexion, une allusion quelconque à l'ordre social pour nous rappeler que nous devrions nous trouver en U.R.S.S. L'auteur a si bien absorbé la manière américaine qu'il en oublie le matérialisme dialectique et le marxisme léniniste. 

    Même mimétisme dans l'action. Les technocrates (Hiérocrates) gouvernent Griada, et ont divisé la population en castes, parfaitement conditionnées, au point qu'elles ont perdu le sentiment de leur servitude. Il y a cependant un mouvement de résistance, auquel se joignent les Terriens. Les Hiérocrates seront renversés grâce à l'intervention des dei ex machina, les Souverains du Cosmos, les Grands Galactiques eux-mêmes – pardon, les Métagalactiens. Grâce à eux les Griadiens connaîtront à nouveau l'égalité des droits et des devoirs, et peut-être même des élections libres.

    Mais au fait, tout cela est-il aussi innocent qu'il y paraît, et le space-opera ne serait-il pas un réceptacle commode pour des idées… disons subversives ? Non, il semble seulement que l'auteur se soit amusé, et cela se devine à travers l'allégresse qui emporte le récit. Qu'il ait réussi c'est certain ; que nous puissions souhaiter plus d'originalité ne l'est pas moins.

Jacques VAN HERP
Première parution : 1/2/1963 dans Fiction 111
Mise en ligne le : 8/12/2024