I — POURQUOI CE LIVRE D'OR ?
Une première anthologie consacrée à la science-fiction italienne a paru en France en 1964, dans le cadre des numéros spéciaux de la revue Fiction et sous la houlette de Roland Stragliati. Ce fut, en ce qui me concerne au moins, une révélation. Elle laissait entrevoir un nouveau territoire littéraire où la qualité ne le cédait en rien à l'originalité.
Les vicissitudes de l'édition d'un fanzine, mes nombreuses entreprises pour répandre le virus de l'étrange dans ma bonne ville de Clermont-Ferrand, quelques écrits difficiles à rédiger sinon à concevoir ont retardé mes investigations. Mais Daniel Riche, un moment responsable des destinées de Fiction, me donna l'occasion de réaliser un deuxième, recueil intitulé Demain...l'Italie, quinze ans après Roland Stragliati. J'y ai réuni quelques-uns des textes que j'avais découverts.
« Malheureusement, il n'existe que très peu d'auteurs italiens », estiment Igor et Grichka Bogdanoff. Ce n'est pas l'avis de Roland Stragliati, qui, dans l'avant-propos de son recueil, avançait avec sa modestie coutumière : « Nous aurions souhaité y voir figurer un plus grand nombre d'auteurs. Ils ne manquent pas. Mais nous n'avons point la possibilité de tout lire. » Pour ma part, j'ai composé mon premier recueil parmi des textes publiés après 1970.
Cela revient à dire que les deux volumes en question, quels que soient leurs mérites, ont laissé dans l'ombre une vaste production que ce Livre d'or s'attachera à découvrir. Lino Aldani et moi, en composant cet. ouvrage, avons essayé de faire ressortir la diversité des tendances, des styles et des auteurs. Aucun écrivain n'y figure donc plus d'une fois et, si la science-fiction est partout présente, elle devient presque imperceptible à une ou deux reprises, bousculée par l'onirisme et le fantastique — car la « fantascienza » revêt un sens un peu plus large pour les Italiens que n'en a la « science-fiction » pour nous.
Le terrain défriché ici s'étend sur une vingtaine d'années. Fallait-il accueillir des textes plus anciens ? Nous y avons renoncé. le jeu, comme on le verra, n'en valait peut-être pas la chandelle. Il aurait été, par contre, habile et judicieux d'accueillir des noms aussi prestigieux que Buzzati, Calvino, Landolfi, Primo Levi ou Soldati. Mais ces auteurs ne sont-ils pas accessibles dans les meilleures collections de l'édition française ? La place nous était comptée : nous avons choisi de proposer à nos lecteurs des écrivains, moins fameux, mais qui, à notre avis, valent le voyage. Tous les textes sont inédits en français à deux exceptions près ; encore a-t-il fallu renoncer à bien des auteurs, dont certains comptèrent, voilà quelques années encore, parmi les chefs de file de l'école italienne — Massimo Lo Jacono, Giovanna Cecchini, Cesare Falessi, Giulio Raiola entre autres.
Ce volume ne saurait donc prétendre à l'exhaustivité, ni — de ce fait — à l'objectivité. Au moins se veut-il panoramique ; on y trouvera une galerie des curiosités en forme de labyrinthe, comme l'est toute histoire littéraire un peu élaborée. Peut-être aussi y puisera-t-on le désir d'en lire plus. la science-fiction italienne a encore beaucoup de fleurons à révéler.
P.S : Les Italiens boudent leurs ancêtres. Il n'est pour s'en convaincre que de lire les nombreux essais sur la « fantascienza », ou les écrits antérieurs à 1945 sont rarement évoqués ou répertoriés. La lecture de Pierre Versins s'est révélée souvent plus précieuse que celle des spécialistes transalpins. Nous devons beaucoup, on le verra, à son Encyclopédie de l'utopie et de la science-fiction. Nous avons également utilisé d'autres encyclopédies et j'ai, pour ma part, fouillé dans mes vieilles collections, en particulier la célèbre « Section bleue » des éditions Jules Tallandier — « Grandes Aventures, Voyages excentriques ».
II — DE MARCO POLO À LA FANTASCIENZA
La date de naissance de la SF italienne est controversée. Les uns la font commencer en 1962, à la publication de la première des anthologies « Interplanet. » D'autres préfèrent remonter dix années auparavant, lorsque Leonello Torossi, un passionné de récits d'anticipation, fonda le périodique Scienza Fantastica (le néologisme « fantascienza » n'était pas encore inventé) en y publiant quelques-uns de ses propres récits sous le pseudonyme de Massimo Zeno. Certains, plus rares, situent ses origines au siècle dernier et d'aucuns, au contraire, à l'époque récente qui a vu se développer enfin l'édition de SF à travers la péninsule. Enfin, il y a ceux qui proposent l'année 1949, où Sandro Sandrelli publia son premier récit : Le ultime 36 ore di Charlie Malgol ( Les Dernières 36 heures de Charlie Malgol). Pour notre part, nous ferons partir la SF italienne MODERNE de la fondation en 1957 de la revue d'Armando Silvestri : Oltre il Cielo. Ce bimensuel, qui publiait des articles de vulgarisation scientifique et d'astronautique, fut l'un des premiers à accueillir des récits d'auteurs italiens, le plus souvent sous leur vrai nom. C'est dans ses pages que la SF italienne façonna son identité et comrnença d'affirmer son autonomie, dans la thématique comme dans l'expression, par rapport à la SF anglo-saxonne.
Contrairement à la France, l'émergence d'une SF nationale est en Italie un événement très récent. Retard du développement industriel dans la péninsule ? Manque de précurseurs de l'importance de H. G. Wells, de Jules Verne, voire de Rosny aîné ou de Maurice Renard ? A notre avis, il faut remonter plus haut. Abstraction faite de l'apparat technologique dont elle s'entoure, la science-fiction plonge ses racines dans un certain romantisme — le Frankenstein de Mary Shelley peut, comme le suggère Brian Aldiss, représenter un excellent point de repère — , dans le roman gothique et, surtout, dans le fantastique qui occupe une place centrale dans l'histoire littéraire du XIXe siècle. Or le romantisme italien fut particulièrement pauvre en textes fantastiques, tourné qu'il était vers une fonction politique et sociale. Morcelée en États multiples en 1815, l'Italie n'acheva son unité nationale qu'en 1918. Armando Silvestri note que les récits populaires publiés alors n'ont pas revêtu les couleurs du fantastique mais se sont « présentés au contraire sous l'étiquette historique, conçus peut-être comme des armes afin de rappeler aux Italiens les gloires d'antan et susciter de leur part de futures réactions, ou bien pour propager les concepts historiques et philosophiques du socialisme dans une recherche de justice sociale plus difficile à percevoir ici que dans les autres nations européennes ».
Il ne faut donc pas s'étonner si Poe n'a été traduit en italien que vers la fin du siècle dernier, près de quarante ans après sa publication en France. Le même sort fut d'ailleurs réservé à Hoffmann et à la presque totalité des écrivains « ténébreux ».
Mais la littérature d'aventures, autre pilier de la SF, ne s'est elle-même manifestée que très timidement à cette époque. Le premier numéro du Giornale illustrato dei viaggi e delle avventure di terra e di mare fidèle transcription de l'hebdomadaire français, sort à Milan en 1884 et fait découvrir aux jeunes lecteurs italiens les récits exotiques de Louis Boussenard, Gustave Aimard et Louis Jacolliot. Dans ce domaine encore, l'Italie est débitrice envers la France et d'autres pays. Malgré tout, quelques auteurs italiens se risqueront dans ce genre et dans celui, plus particulier encore, des histoires extraordinaires fondées sur l'hypothèse scientifique et l'anticipation généralement technologique. La SF italienne CLASSIQUE est en voie de cristallisation, enfin ; elle n'avait pourtant pas manqué de précurseurs, y compris dans des temps très lointains.
Nous ne déciderons pas s'il faut, comme l'érudit d'Yverdon, remonter aux voyages de Marco Polo — rédigés en 1298 par Rustichello da Pisa auquel il les relate puis, après 1299, par lui-même — , encore qu'ils contiennent de nombreux passages proches de l'affabulation. La Divine Comédie de Dante (1307-1321 env.) se situe également aux limites du récit de conjecture en certains de ses versets. Les choses deviennent moins douteuses avec l'Arcadie (1502 et 1504) de Iacopo Sannazaro, qui conte l'histoire d'un amant malheureux cherchant un remède à son chagrin auprès des bergers d'Arcadie. Ce livre influencera considérablement la littérature européenne en créant le roman pastoral.
Quelques années plus tard, en 1517, paraît Maccaronea (Histoire macaronique), d'un certain Merlin Cocaio, où il est fait allusion à des contrées imaginaires, tel le célèbre pays de Cocagne. L'auteur, de son vrai nom Girolarno — dit Teofilo — Folengo, était un ecclésiastique qui aurait, dit-on, inspiré Rabelais lui-même et qui cornposa, en outre, un poème satirique, la Moscheide, récit de combats épiques que se livrent des mouches et des fourmis présentées comme des chevaliers.
L'Atlantide est remise au goût du jour par un poème de Girolamo Fracastoro — Syphylis sive de morbo gallico (1530), dont le héros, allant en Amérique, découvre cette terre perdue et y est guéri du mal nommé dans le titre. Il y a aussi un voyage vers la Lune dans Orlando Furioso (titre français : le Roland furieux, 1532) de Ludovico Ariosto (l'Arioste) qui réutilise pour l'occasion le fameux char qui emporta au ciel le prophète Elie.
Vers 1560, Anton Francesco Doni compose les Mondes célestes, terrestres et infernaux. Puis Matteo Buonamico rédige l'isola di Narsida (l'Ile de Narside) début de ses Trattati della servitù volontaria (Traités de la servitude volontaire) en 1572. Enfin, Ludovico Agostini donne une autre utopie, La Repubblica immaginaria (la République imaginaire) vers 1583-1590. Et ce sera tout pour le XVIe siècle, si l'on ajoute encore Francesco Patrizzi di Cherzo, l'un des derniers représentants de l'école néo-platonicienne (vers 1550).
Il commence avec l'une des oeuvres les plus intéressantes dans le domaine qui nous concerne : Civitas Solis ou la Città del Sole (titre français : la Cité du soleil) de Tommaso Campanella (1568 — 1639), un érudit à la vie mouvementée. Très jeune, il s'initie à la magie avec le kabbaliste juif Abraham. Puis il entre chez les dominicains où son aversion pour l'aristotélisme le conduit devant le tribunal pour hérésie. Réfugié à Rome, puis à Florence et à Padoue, il se voit confisquer ses manuscrits par l'Inquisition, qui les lui restituera au terme d'un autre procès où il sera absous. En 1598, Campanella entre au couvent en Calabre et prêche l'insurrection contre les Espagnols. Emprisonné, torturé, il ne sauve sa vie qu'en simulant la folie. Son incarcération dure vingt-sept ans, au bout desquels il recouvre la liberté grâce à l'intervention du pape Urbain VIII. Réfugié en Fiance où il réside jusqu'à sa mort, il vit d'une pension allouée par le cardinal de Richelieu.
Bien qu'écrite pour, l'essentiel en 1602, dans la prison de Naples où l'échec du complot calabrais a conduit notre moine, la Cité du soleil ne paraît qu'en 1623 à Francfort, dans le corps d'un gros traité de philosophie et dans une traduction latine rédigée vers 1613. L'oeuvre développe, sous la forme d'un dialogue entre un voyageur génois et un interlocuteur, l'image d'une république totalement communiste. La ville qui l'abrite est bâtie sur une colline formée de sept enceintes portant les noms des sept planètes. A sa tête se trouve un prêtre, nommé le Métaphysicien, assisté d'un triumvirat chargé de diriger : l'armée et la défense, les arts et les sciences, les rapports sexuels et l'éducation, le ravitaillement et la médecine. Les repas sont pris en commun ; tout esprit de propriété est banni grâce à l'amour libre et à l'éducation en commun des enfants ; l'oisiveté est sévèrement punie mais la journée de travail n'est que de quatre heures. La science occupe une place importante qui se concrétise par des bateaux à roues ou à soufflets, des chars à voiles, des feux artificiels, voire des appareils volants.
Ce monumental ouvrage, porteur du grand espoir millénariste dans une région misérable et opprimée, ne se ramène pas à un divertissement onirique ou à une forme archaïque de science-fiction., Mais ces éléments s'y trouvent bien, avec d'autres.
En 1621, Ludovico Zuccolo retrouve aussi la forme de l'utopie en créant un pays imaginaire, où le roi est élu et contrôlé par un Sénat et par le peuple (La Repubblica d'Evandria). Citons encore La Repubblica delle Api (1627) de Giovanni Bonifacio — qui décrit un système de gouvernement calqué, comme le titre l'indique, sur le mode de vie des abeilles, — La Repubblica di Lesbo ovvero della ragione di stato in un dominio aristocratico (1640) de Vincenzo Sgualdi et La Spinalba (1647) de Tomaso Tomasi, où l'on retrouve le mythe de l'Atlantide. Au total, une période riche en précurseurs.
Rien, ou presque. Seul Carlo Goldoni se détache en composant en 1750 Il mondo della Luna (Titre français : le Monde de la Lune), comédie en trois actes -mise en musique en 1777 par Joseph Haydn — qui lui permet de démontrer le danger des illusions, évoquant la lutte de Copernic pour imposer ses découvertes. Sur la Navis Aerea de Bernardo Zamagna (1785), nous manquons d'informations, sinon qu'il est déjà question de vol dans la stratosphère.
Quant à l'Icosaméron (1787) de Giacomo Casanova — qui aurait pu figurer en bonne place parmi les grandes oeuvres italiennes de cette époque — , il a malheureusement été écrit en langue française et, de ce fait, se trouve écarté de notre propos.
Giacomo Leopardi, l'un des grands maîtres de la littérature italienne, est l'un des premiers à se permettre quelques inserts à tendance utopique ou futurologique dans des Operette Morali (1824) et surtout dans le petit poème Palinodia a Gino Capponi (1834) où il est question de l'explosion démographique, des aberrations de la société de consommation, du vol humain et des études statistiques.
C'est à la fin du XIXe siècle, en Amérique comme en Europe, que se manifeste un nouveau type de récits, beaucoup plus proches de la science-fiction moderne, accompagnant les rapides progrès de la technique. La vague touche l'Italie avec 1 misteri politici della Luna (1863) de Guglielmo Folliero. Puis vient Alberto Pisani Dossi (Carlo Dossi), « un écrivain très observateur, fin et pénétrant, au pessimisme plein de pitié pour les hommes » nous dit le Larousse, avec la Colonie heureuse (1874). Il est suivi par le Viaggio nell'universo, visioni del tempo e dello spazio (1877) de Vigano.
Cardias (alias Giovanni Rossi) et Costa composent ensemble Un comune socialiste (1878) puis Rossi, seul, livre Un sogno. Citons encore Abrakadabra (1884) d'Antonio Ghislanzoni et Dalla Terra alle stelle (1887) de Ulisse Grifoni. C'est alors qu'apparaît un écrivain d'une importance presque égale en Italie à celle de Louis Boussenard en France. Emilio Salgari.
Quelques années plus tard, à l'aube du XX e siècle, Salgari reviendra au roman scientifique, en particulier avec Verso l'artide con la Stella Polare (1900), puis Il treno volante dont la date de publication originale nous est inconnue et qui, selon Armando Silvestri, serait peut-être une oeuvre apocryphe comme, du reste, Il te dell'aria (vers 1907), second volet du cycle des « Explorateurs de l'infini » commencé avec I figli dell'aria en 1904. Citons encore le Canal souterrain du capitaine génois (traduit en France dans les célèbres Tallandier bleus par Jean Clairsange en 1930) qui — raconte l'équipée d'un groupe d'italiens engagés dans un tunnel reliant la mer Adriatique à la mer Tyrrhénienne et qui aurait été creusé jadis pour permettre la prise de la cité des Doges par la marine de Gênes. Ajoutons pour le plaisir Au pôle Sud en bicyclette, un roman qui a également été traduit en France. Mais le Meraviglie del duemila (les Merveilles de l'an 2000), publié vers 1907, reste son oeuvre la plus riche en inventions :
Un jeune américain, riche mais sujet à l'ennui, James Brandok, rencontre son bon ami le docteur Toby Holker qui lui propose de l'accompagner dans un long sommeil de cent ans. La matrice de l'appareil d'hibernation est inspirée de la « fleur de la résurrection » des anciens Égyptiens ; un liquide réfrigérant inventé par Holker permet d'abaisser la température des corps à vingt degrés au-dessous de zéro. Nos deux héros s'enferment dans un caveau fortifié, munis d'une réserve d'or, après avoir pris les dispositions testamentaires indispensables pour que soit assuré leur réveil.
Un petit neveu du docteur les ranime en l'an 2003 et les voyageurs découvrent les merveilles du nouveau millénaire, où tout repose sur l'énergie électrique, où les Américains détiennent le leadership mondial grâce à la puissance hydro-électrique des chutes du Niagara.
Beaucoup d'inconvénients mineurs de la vie quotidienne ont été éliminés. les repas, par exemple, sont commandés et reçus par une sorte de poste pneumatique. La morphologie humaine a légèrement évolué. le crâne s'est développé pour accueillir un cerveau amélioré. Citons encore les engins volants — à ailes et à hélices, avec des sortes de radar — , les communications avec les Martiens — des phoques intelligents avec lesquels s'échangent des messages courtois en attendant les voyages interplanétaires, — les trains souterrains et pneumatiques vers la Sibérie et le Labrador — qui bénéficient d'un climat adouci — , les journaux-radio... Pas de service militaire, la guerre ayant été bannie après le massacre de 1943. Cette guerre a révélé des armes capables de faire sauter des villes et des montagnes, à des milliers de kilomètres, en appuyant sur un simple bouton.
Malheureusement, il y a des anarchistes, et ceux-ci quittent leurs ghettos du pôle Nord et leurs cités sous — marines flottantes. Plus d'armée, ni de police. ce sont les pompiers qui refoulent les malheureux à l'eau électrisée.
Les chômeurs ont disparu, ainsi que. le socialisme ; seuls quelques groupuscules, en Patagonie ou en Terre de Feu, cultivent la terre en commun. Les Peaux-Rouges et les Esquimaux n'existent plus ; mais les races noire et jaune proliférantes menacent pacifiquement la race blanche en nette baisse démographique.
Finalement nos deux touristes commencent à ressentir des troubles physiques qui se transforment très vite en folie inguérissable, à cause de l'électricité intense qui baigne désormais l'atmosphère. Ils finiront leurs jours dans un asile d'aliénés.
Salgari, chantre de l'ordre bourgeois, se révèle d'un pessimisme étonnant à une époque où il était de bon ton, à la suite de Jules Verne, de croire aux bienfaits de la science future. Quelques-unes des prédictions de ce roman sont prophétiques.
De nombreux périodiques d'aventures voient le jour. Comme, en France, ils favoriseront le développement des récits de voyages extraordinaires.
Une oeuvre marquante est L'Anno 3000, un sogno de Paolo Mantegazza, médecin anthropologue, fondateur du Museum d'anthropologie et d'ethnographie de Florence, qui a écrit des ouvrages aussi sérieux que Physiologie du plaisir (1877), De la douleur (1888) ou De la haine (1889) et de comptes rendus de voyages aux Indes et en Laponie. Son roman vulgarise certaines idées développées dans ses traités. Il y raconte les péripéties du voyage que Paolo et Maria font en l'an 2000 de Rome, capitale des États unis d'Europe, jusqu'à Andropoli « où ils vont célébrer leur mariage 'fécond' après avoir passé les cinq années probatoires du mariage dit 'd'amour'. Ils s'embarquent à bord d'un aéronef en emportant avec eux le livre d'un médecin intitulé l'An 3000 et décrivant, dix siècles plus tôt, leur propre époque telle qu'il l'imaginait. Le jeu des comparaisons divertira les tourtereaux et permettra à l'auteur d'exploiter une astuce littéraire fascinante que nous n'avons pas retrouvée ailleurs ». ( Versins). Dans cet ouvrage, Mantegazza en profite pour mettre en parallèle divers systèmes de société. Ceylan, où règne l'uniformité et l'ennui, Tyrannopoli aux citoyens imbéciles et soumis, Turazia et son socialisme collectiviste où se pratique l'amour libre, Logopoli dont le roi est élu (signalons en passant l'île de Dynamo qui recèle les grands laboratoires de l'énergie planétaire obtenue par synthèse organique et qui n'est rien d'autre qu'une force omnipotente tirée du protoplasme), Andropoli enfin où les jeunes gens obtiendront le Certificat leur permettant d'engendrer selon,les lois, la bienséance et la moralité et recevront le psychoscope, appareil à lire les pensées et gage d'aménité dans les rapports.
- DE 1900 A LA SECONDE GUERRE MONDIALE
Le XXe siècle commence avec L'Invasione dei Tricupi (1902) de Maurizio Basso et I Segreti della morta (1902) de Virginio Appiani. Puis ce sont les ouvrages pour enfants de Enrico Novelli, plus connu sous le pseudonyme de Yambo, avec, entre autres, Atlantide (1901), La Colonia lunare (1908), L'Atomo (1911). Citons encore Uno sguardo all'avvenire de Canzoni et La Leggenda del primo maggio, documento prepostera (1903) de Gori, voire Una visita di Gesu Cristo (1908) qui paraît dans Roma Magazine.
En 1908 justement paraît à Milan La Domenica del Corriere, émanation hebdomadaire du plus important quotidien italien : Il Corriere della Sera. Ce périodique d'information de diffusion nationale, qui jouit aujourd'hui encore d'une grande audience, publia dès l'origine des nouvelles et des feuilletons de tous genres, du policier au roman de cape-et-d'épée, de l'insolite à la fantaisie plus ou moins scientifique. C'est probablement grâce à lui qu'un public de plus en plus large découvrit des écrivains anglais et français comme Conan Doyle, H.G. Wells, René Thévenin. Poe lui-même parut souvent dans cet hebdomadaire, cessant, du même coup, d'être un auteur réservé à l'élite.
Le 20 février 1909 paraît dans le Figaro le fameux manifeste futuriste de Filippo Tommaso Marinetti, éloge exalté de la technique, des machines, de la vitesse et du combat. Selon Gianfranco de Turris, ce manifeste influencera fortement de nombreux auteurs des années vingt et trente, en particulier Bruno Corra, Paolo Buzzi, Ruggero Vasari, Enzo Benedetto et Bruno Sanzin,
Mais auparavant survient le romancier d'aventures qui a le mieux annoncé les thèmes de la SF moderne. Élève de Salgari, Motta débute en 1910 avec L'Onda turbinosa (Titre français : L'Eau tournoyante), où les USA détournent le Gulf Stream pour fabriquer de l'électricité. En 1912, Il Tunnel sottomarino (Titre français : Le Tunnel sous-marin suivi de La Vengeance de Mac Roller ; 1927 pour la traduction de Jean Clairsange en Tallandier bleu) débute par un S.O.S. reçu par le yacht Stream. Un énorme navire d'acier, le Géant, est en perdition à la suite d'une collision. Mac Roller, commandant du Stream, recueille Adrien Géant, jeune ingénieur français qui creuse un tunnel entre Manhattan et Brest pour le compte d'un roi de l'acier, Burns Devemport. Or Mac Roller avait présenté un projet identique à Jack Devemport, frère de Burns et propriétaire du Stream. Sûr d'avoir été trahi, il abandonne l'ingénieur sur l'épave et la torpille. Puis il fait pression sur Jack Devemport pour obtenir à la fois la direction de l'ouvrage et la main de sa fille, la belle Ninjtta. Mais le retour miraculeux d'Adrien l'oblige à fuir et l'ingénieur peut terminer son tunnel malgré des sabotages. La traversée inaugurale a lieu dans un train chargé d'hôtes de marque. Mais Mac Roller s'empare de la police d'assurance : il veut faire sauter le tunnel pour toucher la prime. Il enlève aussi Jack Devemport, qui est sauvé de justesse par Adrien et Ninjtta. Le tunnel saute ; les passagers du train s'échappent dans des scaphandres de secours et découvrent les vestiges de l'Atlantide. Mac Roller va leur donner le coup de grâce quand il est détruit par la marine.
En 1913 paraît la Princesse des roses, chef-d'oeuvre de l'auteur selon Versins, qui se déroule à Téhéran, devenu la métropole de l'Occident au XX e siècle et menacé par l'invasion jaune. Puis nous aurons Il Raggio naufragatore (1926), Epouse du soleil (1934 pour la traduction française), I Giganti dell'infinito (1935), L'Isola di ferro (1936), auxquels il faut ajouter Il Prosciugamento del Mediterraneo (l'Assèchement de la Méditerranée, 1932) et Come si fermo la Terra (Comment la Terre s'arrêta, 1936 ) écrits en collaboration avec Calogero Giancimino.
- DE 1900 A LA SECONDE GUERRE MONDIALE (suite)
Durant la longue carrière de Luigi Motta, d'autres écrivains ont donné des oeuvres qui méritent considération. C'est d'abord Riflessioni di un uomo delle caverne rivivente nel secolo xx (Réflexions d'un homme des cavernes ressuscitant au XXe siècle 1916) récit anarchiste de Narieta, puis le livre I Naufraghi del sogno (1920) de Castella. Mentionnons quelques romanciers populaires tentés par l'aventure extraordinaire : La Macchina dei raggi blu (1929) d'Edgardo Baldi, La Mummia infondo al mare (1928) de Vittorio Emmanuele Bravetta, Il Mago dell'energia (1933) d'Ugo Scotti Berni, La Disfatta de ! mostri (1940) de Gustavo Reisolo. Même les écrivains du mainstream se laissent séduire par les sujets conjecturaux : citons La Rivolta del 2023 de Nino Salvaneschi et L'Uomo è forte (1939) de Corrado Alvaro, un roman à mi-chemin entre Nous autres de Zamiatine et 1984 d' Orwell. Un romancier pour enfants, Giovanni Bertinetti, donne Ipergenio il disinventore (vers 1926), Il Rotoplano « Z bis » et Il Gigante dell'apocalisse (1930), et un certain Lo Duca qui, avant de s'installer en France où il se distinguera notamment par ses études sur le cinéma, écrit en 1927 la Sphère de platine qu'il réécrira dans notre langue (1946). Jagul e Pali de D.B. Malaguzzi, un roman préhistorique pour enfants, sera traduit en France en 1948.
Un roman oublié maintenant. Il Sogno di un pazzo oeuvre d'une femme, Ada Maria Pellacani, et imprimé à quelques exemplaires en 1940, quand la faillite de l'éditeur en arrêta la diffusion. L'auteur reçut un exemplaire ; un autre fut acheté chez un bouquiniste par Cesare Falessi, qui conte ses mésaventures dans le n° 8 d'Aliens. C'est l'histoire du bel Axel qui, en explorant Vénus, découvre une vie intelligente qui s'anime surtout la nuit, la chaleur diurne étant trop forte. Il va tenter de civiliser la planète, et de ses amours naîtront de nombreux enfants. Malheureusement, ceux-ci réinventeront la jalousie, sentiment auparavant ignoré sur Vénus, et par-là même le meurtre. Axel repart avec le coupable, mais son appareil ira s'abîmer dans l'ardeur du soleil.
- QUELQUES AUTEURS CÉLÈBRES
Parmi les ténors de l'entre-deux-guerres, Giovanni Papini (1881-1956) occupe une place à part. Autodidacte, polémiste, il fonde plusieurs groupes et revues d'avant — garde et écrit de nombreux romans et pamphlets dont Il Diavolo (1953) qui irritera tout particulièrement le Vatican. Gog (1931) s'en prend à la civilisation industrielle moderne en poussant jusqu'à l'absurde des raisonnements qui débouchent sur l'infanticide et l'euthanasie.
Giorgio Cicogna, ingénieur vénitien mort à 33 ans, déchiqueté par l'explosion de son moteur de fusée conçu pour les vols au-delà de la stratosphère, donne, avec I Ciechi e le stelle (les Aveugles et les étoiles, 1931), un recueil de nouvelles où il développe des théories axées sur la fission de l'atome et autres hypothèses éminemment sérieuses.
Giorgio Scerbanenco, auteur de romans roses ou noirs d'une haute tenue littéraire, publie en 1938 Il Paese senza cielo, un exemple très rare de science-fiction orthodoxe, au thème particulièrement original pour l'époque puisqu'il y est question de clonage.
Mario Soldati, metteur en scène et écrivain, livre en 1941 l'Affaire Motta, histoire d'un jeune avocat qui vit plusieurs mois avec une sirène dans une société matriarcale sous-marine et ne retrouvera la liberté qu'en perdant la mémoire.
Mais le plus important est peut-être Dino Buzzati (1906-1972). Dès ses premiers romans, il campe cet univers particulier qu'on a rapproché de Kafka ou de Borges et qui n'appartient qu'à lui. Dans Barnabo des montagnes (1933), le héros attend des bandits pendant de longues années ; lorsqu'il les verra arriver, vieux et fatigués, il les épargnera. Dans Il Segreto del bosco vecchio (1935), qui se déroule aussi dans un cadre bucolique, la nature va jusqu'à empêcher le colonel Procolo d'assassiner son neveu. La recherche de l'essence même des choses à travers une peinture minutieuse des êtres, les thèmes de la vengeance et surtout du pardon esquissent ce qui s'accomplira dans Le Désert des Tartares (1940). Après ces trois romans — dont le dernier a été porté à l'écran par Valerio Zurlini — Buzzati donne de nombreuses nouvelles qui seront réunies en particulier dans l'Écroulement de la Baliverna (qui contient La Machine à arrêter le temps, 24 mars 1968, Rigoletto, la Machine, la Soucoupe se posa ... ) en 1968 et dans le K (avec la Leçon de 1980, l'Arme secrète, Chasseurs de vieux et un pur chef-d'œuvre : Jeune Fille qui tombe ... tombe) en 1966.
Avant d'en finir avec ce qu'on appelle parfois la « pré-science-fiction », mentionnons Armando Silvestri, dont l'inspiration strictement vernienne souffle sur deux romans : La meravigliosa avventura (1929) et Il signore della folgore (1935). On a dit que Silvestri était le Gernsback de la SF italienne et en effet, les ressemblances ne manquent pas, a commencer par leur profession. Né en 1909, Silvestri obtient à 20 ans le diplôme d'ingénieur au Politecnico de Milan. Il se spécialise dans la construction aéronautique et les problèmes spatiaux. Comme Gernsback, il songe à utiliser la SF comme véhicule de vulgarisation de la science. Il pousse cette passion jusqu'à s'intéresser à l'édition afin d'aider les écrivains nationaux et fonde ainsi, en 1938, un périodique : Avventure nel Cielo. Il traduit ensuite des oeuvres d'astronautique et de SF jusqu'au mois de septembre 1957 où, quelques jours avant le lancement du premier Spoutnik, il fonde la revue Oltre il Cielo. Après toute une vie vouée au développement de la science-fiction en Italie, Armando Silvestri mérite donc bien, et mieux que tout autre, le titre de père de la SF italienne.
Les premières revues spécialisées parurent en Italie quelques années après la fin de la Seconde Guerre mondiale, comme partout ailleurs en Europe occidentale. Scienza Fantastica vit le jour en avril 1952 et publia sept numéros sous la direction combinée de Vittorio Kramer, un Italo-Américain, et de Lionello Torossi, avec des nouvelles issues d' Astounding (on put lire Arthur C. Clarke, L. Sprague de Camp et Isaac Asimov), mais aussi de son directeur, Lionello Torossi, sous le pseudonyme de Massimo Zeno, dont nous retiendrons Il ratto delle Sabine — presque un roman par la longueur. Mal distribuée, sans support publicitaire, Scienza Fantastica fut très vite victime de la concurrence, en particulier celle du puissant éditeur milanais Mondadori qui, à l'automne de la même année, entreprit de conquérir ce nouveau marché avec deux publications périodiques : la revue mensuelle Urania et la collection I Romanzi di Urania, confiées toutes deux à Giorgio Monicelli qui créa pour la circonstance le néologisme fantascienza.
En cette même année toutefois, une tentative originale mérite d'être signalée : il s'agit de Mondi Nuovi, entièrement écrite par des auteurs italiens sous pseudonymes anglo-saxons et mêlant la SF aux bandes dessinées. La qualité des textes fut toutefois médiocre, même si les dessins de Guido Buzzelli étaient splendides. La revue ne dépassa pas le numéro 6.
La revue mensuelle Urania n'eut que quatorze numéros mais l'ultime éditorial affirma qu'elle avait atteint son but : vaincre la concurrence et conditionner les lecteurs au nouveau produit. Urania s'était consacrée essentiellement à la vulgarisation scientifique, mais en accordant une certaine place au courrier des lecteurs, à quelques biographies et notices sur le monde de la S.-F. et, bien entendu, aux nouvelles et aux romans d'auteurs américains. Par contre, I Romanzi di Urania continua de paraître avec une périodicité qui varia de deux à trois livraisons mensuelles. Au numéro 153 (6 juin 1957), le titre devint Urania, tout simplement. Aujourd'hui, cette collection va atteindre les 900 numéros, illustrés entre autres par Curt Caesar, E. Jacono, Luigi Garonzi et Karel Thole. Cette collection eut une importance énorme en familiarisant le public avec la SF, même s'il la confondit trop souvent avec les bandes dessinées qui lui étaient offertes par ailleurs. Sa diffusion fut d'abord limitée, mais c'était déjà beaucoup à l'échelle de l'Italie ; elle est devenue considérable. Au temps de Giorgio Monicelli, la collection présenta, outre les auteurs anglo-saxons célèbres, de nombreux Français comme Francis Carsac, Jacques Sternberg, René Barjavel, Charles Henneberg — mais aussi F. Richard-Bessière et Jimmy Guieu. Les Italiens furent également admis, à de rares occasions et sous pseudonymes à consonance étrangère. L.R. Johannis, en particulier, a laissé deux romans importants : C'era una volta un pianeta (1954) et Quando ero aborigeno (1955) qui content la catastrophe de la planète disparue entre Mars et Jupiter, puis la fuite des survivants sur Vénus et la Terre où ils doivent s'unir aux autochtones, encore à l'âge de pierre, pour assurer la survie de leur espèce et se partager le monde — l'Atlantide et Mu — avant que leur civilisation ne succombe à la glaciation. Uniques exceptions à la règle des pseudonymes. Emilio Walesko avec L'Atlantide svelata (juin 1954) et Franco Enna (alias Francesco Cannarozzo) avec L'astro lebbroso (1955), outre certains romans à épisodes et quelques nouvelles publiées en appendices.
Cette manie de publier des auteurs italiens sous pseudonymes étrangers allait s'aggraver et s'étendre à d'autres éditeurs à partir de 1955 et surtout de 1957. C'est alors que la première « vague » de soucoupes volantes emplit les kiosques de publications dont les couvertures représentaient de belles astronautes à peine vêtues. « Sauf de rares exceptions, sous les pseudonymes gréco-américains ou vaguement exotiques se cachaient des auteurs de circonstance qui n'avaient pas la moindre foi en ce qu'ils écrivaient,. des auteurs qui se moquaient de leurs écrits autant que de leur public, lequel s'en rendit compte très vite et avisa en conséquence. Ce phénomène déplorable, évidemment, ne favorisa pas l'avènement d'une SF italienne et, s'il ne la compromit pas sérieusement, lui fit néanmoins du tort. »
Passons sur quelques revues et collections éphémères comme Galassia -(publiée à Milan, 3 numéros, janvier-juin 1953, auteurs américains seulement) ; Fantascienza, première tentative d'édition italienne de la célèbre revue américaine The Magazine of Fantasy and SF (7 numéros, novembre 1954-mai 1955) ; Mondi Astrali, (4 numéros, janvier-avril 1955, auteurs italiens sous pseudonymes) ; Galassia (à nouveau, mais cette fois il s'agit d'une série publiée à Udine et plus ou moins patronnée par L.R. Johannis) qui tiendra 5 numéros avec des auteurs anglo-saxons, italiens (sous pseudonymes bien sûr) et même français (Hervé Callixte) ; enfin I Narratori dell'alpha-Tau (9 livraisons, janvier-juin 1957) avec des couvertures affriolantes enrobant des romans italiens signés de pseudonymes incluant toujours une lettre grecque (comme Sigma John, Gamma Howard, Delta Billy...).
« I ROMANZI DEL COSMO »
Lancée en juin 1957 par l'éditeur milanais Ponzoni, cette collection commença par présenter des traductions d'une certaine tenue mais, très vite, elle prit le caractère d'une vitrine de SF d'aventures le plus souvent médiocre. En dix années d'existence, I Romanzi del Cosmo ont vu se succéder huit directeurs littéraires et ont connu de nombreuses infortunes commerciales dont l'éditeur ne se formalisa pas, préférant soutenir ses séries de romans-photos. La même pauvreté graphique, l'absence de tout jugement critique, la politique de la vulgarité du choix en témoignent. Après une baisse continuelle du tirage, ce mensuel fermera ses portes en mai 1967, complètement discrédité auprès du public. Cependant, malgré tous ces défauts, I Romanzi del Cosmo se révélèrent importants aux termes de notre enquête en ce qu'ils ont accueilli des romans et nouvelles d'auteurs italiens, et l'on peut dire que c'est dans ces pages que toute une génération d'écrivains a pu se roder...
Ugo Malaguti se déclare à son tour convaincu, en 1976, que cette collection a été un excellent terrain de formation pour les auteurs italiens, « une expérience utile et stimulante » et « une véritable école » où s'apprenait « le difficile art d'écrire. »
Nous ne sommes pas de cet avis. L'art de raconter et d'écrire ne s'apprend pas en se complaisant dans une production bassement commerciale, plate imitation de modèles étrangers et reprise éhontée des poncifs les plus éculés. I Romanzi del Cosmo paraissent donc plutôt avoir permis à des étudiants de s'offrir quelques fantaisies ou à des mères de famille d'arrondir leurs fins de mois. Quant à évoquer une école quelconque, il y a là un grand pas que nous ne franchirons pas. Il semble bien plutôt que cette collection étouffa sans doute plus d'un talent en imposant un style et un pseudonyme. Il n'est que de chercher aujourd'hui les auteurs qui l'alimentèrent : la plupart ont disparu.
Pour en finir avec cette collection, précisons tout de même qu'elle dura jusqu'en mai 1967 et compta 202 numéros où l'on trouve Roberta Rambelli (John Rainbell, Robert Rainbell, Joe Karpati, Hunk Hanover, Rocky Docson), Luigi Naviglio (Louis Navire), Ugo Malaguti (Hugh Maylon)... mais aussi Jack Vance, Stefan Wul, Peter Randa, Leigh Brackett, B.R. Bruss...
« OLTRE IL CIELO »
Trois autres collections voient le jour en cette année 1957 : Cosmic, qui ne durera que trois numéros en reprenant le matériel d'I Narratori dell'Alpha-Tau ; Chronache del Futuro, collection alimentée par des auteurs italiens sous pseudonymes, qui vivra le temps de vingt-cinq livraisons et dont les couvertures sont illustrées par Rudy Gasparri et Curt Caesar entre autres ; Fantascienza — 10 numéros parus — réservée aux jeunes et qui publiera Raymond Devaux, H.G. Viot ou Jean-Gaston Vandel.
Mais l'année 1957 est surtout celle de la naissance de Oltre il Cielo, le véritable berceau, à notre avis, de la science-fiction italienne. Italienne d'abord parce que cette revue n'obligea jamais ses collaborateurs à user d'un pseudonyme étranger. Lorsque cela se produisit, la décision ne fut jamais prise que par l'auteur lui-même. Très vite, cette habitude disparut d'ailleurs d'elle-même. Oltre il Cielo eut ensuite le grand mérite d'accueillir dans ses pages des récits de débutants au côté d'essais dus à des ingénieurs, astronomes, médecins, philosophes, journalistes de vulgarisation et autres spécialistes. Rappelons quelques noms qui s'illustrèrent au fîl des années — Armando Silvestri (Dario Armani), fondateur et directeur ; Cesare Falessi (Lorenzo Tibaldi, Ivo Ferrarini ... ), rédacteur en chef jusqu'au numéro 148 ; Vicenzo Croce (Vicro), Giovanna Cecchini, Gianni Vicario, Toti Celona... Dans les 148 numéros sortis de septembre 1957 à février 1967 — six autres numéros paraîtront en 1969 et un en 1975 — quelque six cents nouvelles de soixante auteurs italiens furent publiées et il ne fait aucun doute que dans ces pages ont défilé les noms les plus marquants de la SF italienne, depuis Leonello Torossi (Massimo Zeno) jusqu'à Luigi Rapuzzi (L.R. Johannis) en passant par Sandro Sandrelli, Ivo Prandin, Renato Pestriniero (Pi Erre), Ugo Malaguti, Maurizio Viano, Piero Prosperi, Massimo Lo Jacono, G.L. Staffîlano, Remo Guerrini...
Autre mérite : Oltre il Cielo a été la première revue à faire connaître la SF italienne à l'étranger. Durant les quatre premières années de son existence, la revue fut diffusée aussi en édition française sous le nom de Au-delà du Ciel.
Sur le plan de la qualité des récits, la revue connut un certain fléchissement vers 1962/1963. En Italie naissait alors une SF plus sociologique qui trouvait difficilement place dans un périodique axé sur l'astronautique. Second handicap : le « Centro della Stampa Cattolica » (centre de la presse catholique) dont O.I.C. suivait les directives en imposant à ses collaborateurs une pruderie d'écriture qui faussait le ton. Des nouvelles comme Bonne nuit Sophia ou Un harem dans une valise de Lino Aldani ( Fiction spécial n° 6), Un triptyque pour nos frères (dans ce volume), Circé ( id.) auraient sûrement été refusées. Du coup les auteurs en vue se raréfièrent, attirés en outre par une nouvelle venue, Galassia, née en 1961 et qui semblait disposée à publier des récits italiens.
En attendant, d'autres publications avaient tenté leur chance. En juin 1958 paraît le premier numéro de Galaxy, édité par la Tribuna à Plaisance. Cette revue durera jusqu'en mai 1964, date à laquelle sa soeur jumelle déjà citée, Galassia, la supplantera définitivement. Edition italienne de l'homonyme américain, Galaxy publie des récits italiens, dans une section intitulée « Gazzettino » puis « Accademia », sorte de banc d'essai.
Passons sur Astroman (2 romans italiens publiés) et Poker d'Assi (2 numéros d'une revue se présentant dans un style proche des pulps américains). Signalons Le Cronache del' Futuro (11 numéros de romans italiens sous pseudonymes étrangers) et, surtout, une sorte de Oltre il Cielo édité à Milan sous-le titre : Corriere dello Spazio (51 parutions d'avril 1959 à mai 1963), sans oublier I Libri del Duemila, collection de romans pour la jeunesse qui durera le temps de dix volumes d'oeuvres de Silverberg, Heinlein et Johny Bree (alias Gianfranco Briatore).
« GALASSIA »
Démarre en janvier 1961. Cette revue, qui existe encore aujourd'hui, publiée comme à l'origine par la Tribuna à Plaisance, a vu se succéder cinq directeurs. Mais en ses premières années d'existence, après la publication d'un numéro entièrement italien et d'un roman Il Libro di Fars du directeur littéraire d'alors, Roberta Rambelli, l'éditeur revint — aux dires de la directrice, — sur ses bonnes intentions d'origine et ferma quasiment ses colonnes à la SF italienne. Certains auteurs décidèrent de devenir éditeurs eux-mêmes. Il faudra attendre mars 1965 pour voir paraître un nouveau roman italien dans la revue. ce fut Il sistema del Benessere de Ugo Malaguti — qui venait de remplacer, à la tête de Galassia, Roberta Rambelli.
Passons allégrement sur I Romanzi del Futuro, autre collection éphémère de romans italiens sous pseudonymes (6 titres), Giro Planetario (un bimensuel qui durera 4 mois), Super Fantascienza Illustrata (sept livraisons avec des romans italiens toujours signés à l'anglo-saxonne), Susperspazio (une dizaine de volumes de sous-produits anglais plus un Roberta Rambelli signé Jgor Latychev), Gli Esploratori dello Spazio (11 livraisons d'auteurs américains présentées sous jaquette), enfin Fantavventura avec deux numéros, et découvrons :
« INTERPLANET »
En 1962, déçu et surtout las des sautes d'humeur de l'éditeur de Plaisance, Sandro Sandrelli décide de devenir éditeur à son tour. Il passe commande de l'impression de ses oeuvres et d'anthologies qu'il projetait à l'éditeur même de Galassia. Ainsi naît Interplanet. Et l'on peut alors assister pendant deux ans à une situation de comédie : la revue publie des placards publicitaires en faveur de l'initiative de Sandrelli tandis que ses critiques procèdent à une démolition systématique des auteurs italiens. Lorsque Sandrelli se décida enfin à faire imprimer ses « cahiers » ailleurs, il était malheureusement trop tard, d'autant que commençait une période de récession qui allait frapper les autres pays européens. Il reste que, durant ses trois ans d'existence, et notamment dans les quatre premiers volumes, Interplanet avait livré ce qui se faisait de mieux dans la SF italienne de cette période, de Della Corte à Vacca en passant par Buzzati, Flaiano ou Landolfi.
« FUTURO »
L'année 1962 est marquée par la seconde tentative d'implanter une édition italienne de F. & SF, à l'initiative de l'éditeur Minerva cette fois et sous le titre Fantasia e Fantascienza. L'entreprise échoua au bout de dix numéros. En mai 1963 paraît alors le numéro 1 de Futuro.
Fondée par Lino Aldani, Massimo Lo Jacono et Giulio Raiola, cette revue ne dura que huit numéros (jusqu'en novembre 1964) mais son importance fut considérable et la critique en donna des échos enthousiastes. Trop littéraire pour rencontrer les faveurs d'un public conditionné à une autre sorte de produit, elle eut le mérite de publier les auteurs transalpins déjà connus grâce à Oltre il Cielo et Interplanet aux côtés d'écrivains de classe internationale ( Borges, Apollinaire, Silvina Ocampo, Bioy Casares, Slawomir Mrozek, Butler ... ) tandis qu'elle révélait de nouveaux talents : Gilda Musa, Inisero Cremaschi, Anna Rinonapoli, Giuseppe Pederiali qui comptent aujourd'hui parmi les meilleurs représentants de la SF italienne.
En août 1963 débute une collection liée à Galassia, le Science Fiction Book Club, qui compte à ce jour une soixantaine de volumes (y compris treize titres d'une série jumelle éphémère, La Bussola SFBC, qui dura de décembre 1964 à décembre 1966) dont deux romans italiens : Quando le radici (1976) de Lino Aldani (en France, Quand les racines chez Denoël), Pelle d'Ombra de Remo Guerrini (1979) et une anthologie composée par Sandro Sandrelli avec des textes anglo-saxons, Notons la présence du célèbre Surface de la planète de Daniel Drode.
De septembre à décembre 1964 paraît Futuria, une collection dirigée par Franco Enna. D'octobre 1965 à mars 1968, Gamma (avec Valentino de Carlo comme directeur et Ferruccio Alessandri comme rédacteur/illustrateur — en particulier des couvertures des n os 4 à 27) tente vainement d'imposer sur le marché « la revue la plus complète jamais sortie en Italie » (dixit Gian Filippo Pizzo in Vent'anni di fantascienza) avec des auteurs américains et italiens, de grands anciens comme Verne, Jarry, Swift ou London, et des critiques, biographies, interviews, sélection de livres et de films...
Avril 1966 : naissance de Proxima, une collection qui durera à peine quatre mois sous la direction littéraire de Luigi Cozzi, qui passera à la mise en scène dans les années suivantes. On y trouve en particulier l'édition italienne du Metropolis de Thea Von Harbou.
Mentionnons pour le principe I Tris (mars à juin 1966), revue dans le style d' I Poker d'Assi (déjà cité), Micromega dont un seul numéro paraît en janvier 1967, après quatre numéros d'un fanzine du même nom sous la direction de Carlo Bordoni, qui avait organisé à Carrare (septembre 1966) une convention quelque peu houleuse où l'on vit les principaux représentants du « fandom » italien d'alors, Curtoni, De Turris, Naviglio, Leveghi et cinq français : Annick et Jacques Chambon, J.-P. Moumon, Gérard Temey et J.-P. Fontana] et enfin Fantascienza Sovietica, tentative de collection alimentée par des récits en provenance d'U.R.S.S. (septembre 1966 à juin 1967).
Et nous voici en mai 1968. En pleine crise, Ugo Malaguti, rédacteur de Galassia (où il avait publié quatre romans sous sa signature), fonde sa propre maison d'édition, La Libra Editrice, à Bologne, et sort le numéro 1 de Nova SF, vendue par abonnement en s'appuyant sur le public qu'il connaissait grâce à la revue de Plaisance. En principe bimestriel, Nova SF publiera de temps à autre des auteurs italiens et surtout consacrera un numéro entier à la production nationale en 1976 — initiative malheureusement restée sans suite. Très vite, la revue est flanquée d'une collection, Gli Slan, mensuelle et vendue aussi par correspondance jusqu'en 1976, puis en librairie depuis cette date. De présentation très belle, elle ne livre qu'un seul roman italien, oeuvre de son directeur. I palazzi nel cielo (titre français : le Palais dans le ciel, Denoël). En 1969, Malaguti crée une deuxième collection, I Classici della Fantascienza, où figurent la Naissance des dieux de Charles Henneberg et un roman italien déjà cité, C'era una volta un pianeta, de L.R. Johannis.
En 1968 a commencé Il Fantalibro qui tente de prendre la relève de feu la revue Gamma (du même éditeur De Carlo) et qui, en huit années d'existence, publiera 18 volumes. En 1970, Alpha Centauri essaie de relancer le style « astronaute en bikini » et donne deux uniques parutions d'auteurs italiens sous camouflage anglo-saxon.
Un important éditeur de Milan, la Nord, lance alors deux collections reliées : Cosmo, Collana di Fantascienza et Cosmo, série Oro Classici della Fantascienza. Elles vont marquer le début de la renaissance. Cependant la « série Or », contrairement à Malaguti qui s'est toujours efforcée d'offrir des rééditions nouvelles et complètes, se contentera le plus souvent de reproduire d'anciennes traductions tronquées.
La même année commence une collection à tendance érotique : Constellation, qui s'inspire d'Urania pour la présentation et reprend le principe du pseudonymat. Elle n'aura que onze numéros.
1971 : Mondadori met en orbite Millemondi, qui réédite certains titres parus dans Urania à raison de 3 romans par volume ; l'éditeur Dall'Oglio, de Milan, créé Andromeda qui, sous la houlette d'Inisero Cremaschi et dans une présentation attrayante, propose de nombreux auteurs italiens de qualité ( Gilda Musa avec Festa sull'asteroide et Giungla domestica, Anna Rinonapoli avec Sfida al pianeta, Gustavo Gasparini avec La donna immortale...) avant de disparaître en 1975 ; Fanucci de Rome lance Futuro, une sorte de « pocket » dirigé par Gianfranco De Turris et Sébastiano Fusco qui, au bout de six numéros, deviendra une collection reliée, Futuro Biblioteca, toujours en activité.
Mais revenons à Galassia. Passée en 1970 sous la direction littéraire de Vittorio Curtoni et Gianni Montanari, la revue s'ouvre enfin largement à la littérature nationale et l'on voit paraître ou reparaître Piero Prosperi, Remo Guerrini, Ricardo Leveghi, Livio Horrakh. Signalons en particulier Autocrisi de Prosperi, Nel nome dell'uomo de Montanari, Come ladro di notte de Miglieruolo, Dove stiamo volando de Curtoni, L'Eternita e i mostri de Vittorio Catani, Amazon de Gianluigi Zuddas, ainsi que trois numéros entièrement réservés aux auteurs italiens : Destinazione Uomo, Sedici mappe del nostro futuro et Fantamore all'italiana. Sandrelli y réalisa aussi une anthologie française avec des textes de Pierre Versins, Marcel Battin, Claude Veillot, Vladimir Volkoff et Guy Scovel (alias J.-P. Fontana.)
La crise paraît surmontée, les revues et collections naissent à une cadence croissante : 1973 voit paraître Delta, 1974 Doc Savage, 1975 Fantascienza, 1976 Altair, 1977 Omega, 1978 Gli Anni d'oro. Ces titres sont éphémères ; ce sont les grands éditeurs qui font la percée : la Nord avec SF Narrativa d'anticipazionc (1973), Fantacollana (1973) Grandi Opere (1977) ; Mondadori avec Oscar Fantascienza (1973), Classici Fantascienza (1977), Star Trek (1978, arrêté en 1980), Biblioteca di Urania (1978), La Rivista di Isaac Asimov (1978) ; à Rome, Fanucci avec Orizzonti (1973), Enciclopedia Della Fantascienza (1978) ; Longanesi avec Pocket Fantascienza qui deviendra Fantapocket (1975), puis La Fantascienza (1977) ; Arménia avec Robot (1976) et Robot Speciale (1976 également). Sur le plan de la quantité, l'Italie n'a rien à envier à la France — avec des prix très inférieurs. A titre d'exemple, le numéro 37 de Robot (avril 1979) coûte 1500 lires pour 288 pages 13 x 19, avec illustrations et photos ; le n° 300 de Fiction (avril 1979) offre 224 pages 13 x 19 au prix de 15 F, presque le double au cours du change à l'époque. Deux autres exemples, qui se passent cette fois de comparaison. Le roman de Tanith Lee, The Birthgrave (en Italie, Nata dal vulcano chez la Libra Editrice offre 600 pages 14 x 20 reliées avec jaquette pour 6500 lires (environ 35 F) en 1978. L'anthologie « Space-Opéra » parue dans la collection Enciclopedia della Fantascienza en 1978 également, compte 544 pages 14 x 22, avec de nombreuses gravures et une reliure sous jaquette, pour 7500 lires (environ 40 F).
« ROBOT » ET « ALIEN »
Dirigée par Vittorio Curtoni, éditée par Armenia, Robot constitue d'emblée la revue la plus remarquable des années 70, par la place qu'elle accorde à l'école italienne, par l'intérêt de ses chroniques et par son courrier des lecteurs. En deux ans, elle publie une trentaine de récits italiens. Malheureusement, une fois de plus, l'expérience tourne au profit des Robot Speciale, anthologies d'auteurs anglo-saxons. Curtoni abandonne la rédaction au numéro 31 sur un éditorial très émouvant pour qui connaît les problèmes de survie de la SF italienne. Armenia sort encore I Libri di Robot (1978) et Psyco (même année, consacré à l'épouvante et au fantastique), mais surtout Alien en novembre 1979.
Alien se présente un peu comme Futurs en France. La typographie est cependant meilleure et le magazine accueille des articles que lui envoient divers correspondants (Allemagne, Angleterre, France, etc.) Les récits publiés sont exclusivement anglo-saxons. Le grand intérêt d' Aliens réside donc essentiellement dans la large place faite aux études, analyses et documents (la critique n'y est jamais véritablement présente, mais c'est un phénomène général en Italie). On trouve des interviews, une rubrique cinéma fort illustrée, des textes sur la bande dessinée agrémentée de dessins en couleurs, des mises au point sur les grands anciens comme Salgari ou Motta. En 1980, Lino Aldani est pressenti pour sélectionner des récits italiens. Mais il est une nouvelle fois trop tard, la revue ne passera pas le cap de l'été.
Signalons la naissance de Spazio 2000 (1977), autre collection anglo-saxonne où figure Robert Rainbell (Roberta Rambelli), Fantasex, collection de pornos spatiaux en forme « pocket », les nombreux périodiques consacrés aux OVNI comme U.F.O. ou U.F.O. Tra... Noi (où l'on retrouve Armando Silvestri, Luigi Cozzi, Gianfranco de Turris...). Certaines revues comme Verso le Stelle (qui reprendra des textes d'un fanzine du même nom des années 60 et la Colonne de George Kilian — alias Jacques Chambon — parue dans Mercury) ou Star sont si proches des fanzines que la distinction devient malaisée. L'éditeur De Vecchi a lancé une nouvelle collection où paraissent des romans de Peter et Caterina Kolosimo, de Gilda Musa et Eclipses 2 000 de Lino Aldani (en France, chez Denoël).
Parmi les plus récentes initiatives, il faut mentionner la fondation par Inisero Cremaschi d'une nouvelle revue : La Collina (éd. Nord, Milan). D'un format livre, sans illustrations, elle est dédiée au « néo-fantastique », une façon comme une autre d'élargir le cercle des lecteurs et des auteurs au-delà de la seule science-fiction. Aucune périodicité n'est annoncée. Le premier numéro est paru en avril 1980.
Mais c'est surtout du côté de la Libra que les choses ont bougé. Ugo Malaguti a lancé une quatrième collection, Narratori italiani di Fantascienza : deux volumes parus, L'astro lebbroso de Franco Enna (réed.) et I pirati del tempo de Zuddas et Cozzi. Il a publié le tome 1 d'une Storia della Fantascienza qui en comprendra dix, totalisant 1 080 pages. Le 1 er tome est paru. Enfin la collection I classici della fantascienza a accueilli un roman de Roberta Rambelli, Profilo in lineare B et la série Saturno, accélérant sa production, en est à 28 volumes, où l'on relève les signatures de Jimmy Guieu et Jean-Gaston Vandel.
Dernières nouvelles : le 15 janvier 1981, la SIAD, filiale de chez Armenia, a lancé un mensuel, Omicron, dirigé par Vittorio Curtoni.
Certains fanzines enfin comme S.F.-Ere de Leonardo Pinzauti, (Via Quintiliano, 33 — 00136 Roma), Un Ambigua Utopia de Giuseppe Ursini (Via Sciaparelli, 9 — 20125 Milano), Dimensione Cosmica de Michele Martino (Via d'Avalos, 73 — 65100 Pescara), Kadath de Francesco Cova (Corso Aurelio Saffi, 5/9 — 16128 Genova) ou WOW de Luigi F. Bona, consacré à la bande dessinée (Via Lanino, 5 — 20144 Milano), n'appellent plus cette qualification que par leur diffusion discrète car ils sont entièrement imprimés et comportent souvent de nombreuses pages couleurs.
Des livres importants ont été publiés hors des collections spécialisées depuis l'avènement de la « fantascienza ». Tout d'abord, Il Grande Ritratto de Dino Buzzati (1961), Pulsatilla sexuata de Carlo Della Corte (1962), Il Cavalle venduto de Giorgio Scerbanenco (1963), Storie di domani de Giordano Pitt (1963), Il Robot et il Minotauro (1963) et Esempi di avvenire (1965) de Roberto Vacca, Il Ragno et il resto de Domenico Garelli (1966), Storie naturali de Primo Levi (1966). Surtout il y a, Italo Calvino qui, après ses Cosmicomiche (1965 — en France : Cosmicomics, Livre de Poche) publie Ti con zero (1967 — en France : Temps Zéro, Seuil) sorte de complément du précédent sur les jeux du temps. Mais la réputation de cet auteur n'est plus à faire et toutes ses oeuvres, depuis sa trilogie l Nostri antenati (le Vicomte pourfendu, le baron perché et le Chevalier inexistant), ont été traduites en France.
Plus près de nous, on voit publier hors collection des auteurs parfois plus spécialisés comme Paolo Volponi avec Il pianeta irritabile (1977), Gilda Musa et Inisero Cremaschi avec Dossier extraterrestri (1978), Giuseppe Pederiali avec Le Città del Diluvio (1978) et Gianni Montanari avec Daimon (1978) — deux romans proches de l'épopée fantastique. Carlo Cassola ferme (provisoirement) la marche avec Il Superstite (1978).
Tous ces livres témoignent tout à la fois de l'intérêt de certains écrivains du mainstream pour la science-fiction et aussi, plus récemment, d'une certaine sensibilité culturelle des éditeurs par rapport à celle-ci.
L'ignorance mutuelle des sciences-fictions européennes devrait bientôt prendre fin. Pendant trente ans, que la SF française a vécu sans prendre vraiment conscience que s'éveillaient à ses portes d'autres écoles d'un intérêt peut-être équivalent et frappées du même virus : nous avons tous les yeux fixés sur les seuls Anglo-Saxons, comme s'ils détenaient le monopole de la qualité et de l'originalité. Par ailleurs, pour en revenir à la situation italienne, nous pouvons dire que la SF se porte plutôt bien dans la péninsule. Urania est désormais hebdomadaire, Del Drago de Milan a même lancé en 1980 sa Grande Enciclopedia della Fantascienza (80 fascicules hebdomadaires à la façon des séries sur le cinéma, la cuisine, les animaux, la guerre). Fanucci enfin a publié un Catalogo generale della fantascienza sous la direction de Gianni Pilo et on parle de publier une histoire des fanzines en Italie de 1963 à nos jours sous la direction de Michele Martin. Le gros problème reste celui de la diffusion... comme en France, il y a peu de temps encore. Mais l'inspiration n'est pas un problème. La SF italienne a quelque chose à dire.
Dans un essai publié dans la revue Bizarre à la fin des années cinquante, « Science-fiction et rhétorique des idées », Claude Ernault caractérisait la SF comme une littérature où le rôle principal n'était plus joué par les personnages mais par les idées. Ce jugement quelque peu schématique, du moins dans la façon dont nous la rapportons, était alors partagé par de nombreux observateurs. Il ne peut cependant pas s'appliquer à la SF italienne qui, justement, n'a jamais privilégié l'intrigue ou la trouvaille technologique. En règle générale, l'auteur italien a horreur des extrapolations audacieuses, de l'accumulation d'hypothèses, des prouesses dialectiques, des ambiguïtés et des polymorphismes, il préfère une narration simple, voire sereine, qui, à l'occasion, n'a pas peur du lyrisme. Son attention est principalement tournée vers l'étude psychologique des personnages et de leurs interactions avec le moment technologique lequel est toujours vécu comme un problème et jamais comme un acquis donné au départ.
En substance, la SF italienne n'a été influencée ni par le dogmatisme scientifique d' Asimov, ni par l'onirisme de Dick, ni par la philosophie de Van Vogt, et encore moins par les expérimentations de la New Wave. Privé d'une tradition fantastique ou d'un passé conjectural (l'influence des précurseurs autochtones sur la SF actuelle est nulle), l'écrivain italien a dû se construire lui-même à partir de rien, se hissant au-dessus de la simple et pâle imitation comme s'il se tirait lui-même par ses propres cheveux à la façon du mythique baron de Munchhausen. Inventer une SF en Italie a été une entreprise difficile, qui n'a connu le succès que depuis peu d'années. S'il fallait à tout prix lui chercher des références, on les trouverait tout simplement dans l'océan de la culture européenne, où tous les auteurs se sont formés, où ils ont réussi à formuler des questions qui sont à eux et bien à eux.
Cette quête passionnée de l'identité ne va pas sans risques : à trop chercher, on finit par ne plus savoir où sont les limites, et la SF italienne a produit beaucoup de déchets à côtés de réussites éclatantes. Mais elle a sauvegardé sa liberté, mieux peut-être que la nôtre : on y rencontre assez souvent une utilisation massive de nouveautés de style et de situations qui n'entrent que marginalement dans la science-fiction entendue comme telle. Mais que serait la science-fiction si elle ne tirait pas sa nourriture quotidienne et sa richesse de ce qui, justement, n'est pas de la science-fiction ?
Dans la Cronistoria della fantascienza italiane qu'il plaçait en tête de l'anthologie Universo e dintorni (Garzanti, 1978), Inisero Cremaschi écrivait :« ...La SF qui se fait en Italie est un prétexte, à la fois spectaculaire et résigné, pour combattre les normes dogmatiques des mass media, de la banalité organisée et des schématismes socio-politiques auxquels nous sommes soumis malgré nous. Les propositions 'imaginaires' des auteurs italiens de SF s'engagent dans la probabilité statistique de notre lendemain, au nom du désaccord même de l'imagination, pour discuter et s'affronter là où se heurtent l'autorité, le pouvoir, la science et la poésie. »
Nous ne pouvions rêver de meilleurs arguments pour illustrer notre propos.
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