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De la maison d'Otrante au château d'Usher

Roger BOZZETTO

Territoires des fantastiques (pp. 19-32)0

          C'est au moment où la Révolution Française abat les privilèges nobiliaires et brûle quelques repaires de hobereaux que la masse du Château, « maison de marbre noir, inhabitable, hantée » 1 se dresse soudain avec une charge émotionnelle extrême, dans la littérature de l'imaginaire 2.
          Il est clair que les romans noirs, frénétiques ou « gothiques », sont associés à la fois à la figure emblématique du château féodal, et à un texte-source, Le Château d'Otrante 3. Son ombre couvre même certains romans historiques qui situent dans des châteaux les moments importants de leur intrigue : le château d'Ashby dans Ivanhoé, La Vivetière dans Les Chouans, ou la cathédrale dans Notre Dame de Paris. Plus tard, Château sera aussi perçu comme ce lieu fantastique qu'illustre La Chute de la Maison Usher.
          Comment cette figure du Château « gothique » apparaît-elle dans la littérature, et quels en sont ses avatars ?

          Le Château « gothique » et son roman

          Le roman « gothique », à suivre la belle démonstration qu'en donne M. Levy dans sa thèse 4, naît d'une rencontre entre un changement dans les mentalités et un rêve personnel. Renouveau de la pensée architecturale, et changement dans le goût — qui fait dorénavant préférer le « sublime » au « beau », sont pris en charge par une production onirique, celle d'Horace Walpole. Celui-ci se trouve au confluent de ces diverses mutations. Passionné d'architecture, il fait construire Strawberry-Hill, un château « néo gothique » où il vit, et y rêve un début de roman que, plus chanceux que Coleridge avec son poème Xanadu, il pourra continuer et achever. Sa première préface anonyme, signale que « l'auteur avait en l'esprit un château bien déterminé » (p. 7). Le succès venant, d'autres auteurs s'inspireront de son roman, et ainsi se crée la mode — ou le genre — du roman « gothique » : avec Radcliffe, Lewis et un nombre important auteurs et d'œuvres recensées par M. Levy.
          Quel est donc ce Château et quel est son mystère ?

          A Otrante, un château

          On notera d'emblée que les idées de D.A.F. de Sade puis d'André Breton sur le rapport existant entre la Révolution Française et la violence des romans « gothiques » ne peuvent s'appliquer à ce texte. Pour une simple raison : Horace Walpole a publié son roman en 1764, soit un quart de siècle avant la prise de la Bastille. On peut soutenir que la violence féodale dépeinte dans ce texte renvoyait à la Révolution anglaise qui datait de moins d'un siècle. Ou qu'elle entretient des liens avec les luttes entre catholiques et anglicans, qui avaient abouti jadis à de nombreuses ruines de châteaux, mais il faudrait en faire la preuve.
          On remarquera ensuite que le Château d'Otrante, qui est la source du courant « gothique », n'emploie pas dans sa texture le mot « gothique ». Pour la raison que ce roman est censé provenir d'un texte imprimé datant de 1529, et relatant des faits situés « entre 1085, date de la première croisade, et 1243, date de la dernière » 5, c'est-à-dire d'une époque qui ne se saisissait pas comme « gothique ». Notons cependant qu'il y est quand même rapporté que l'impression de 1529 était « en caractères gothiques », ce qui — pour un texte imprimé à Naples et écrit dans « l'italien le plus pur » — est plutôt curieux. Est-ce à rapprocher du nom de l'usurpateur, à consonance germanique, « Manfred » ?
          Autre mystère : le Château d'Otrante, s'il est bien le lieu géométrique de l'action (bien que l'un des foyers de cette action soit la chapelle de Saint Nicolas), n'apparaît jamais en entier.
          Ce Château est en fait constitué d'une suite de détails et d'une série d'indications localisantes, semblables à ces didascalies que le théâtre shakespearien utilisait, et que l'on voit par exemple dans Macbeth ou Hamlet 6.

          Un Château irreprésentable ?

          Quels sont donc ces détails que le texte donne à voir ? « La chapelle du Château, la cour, les appartements » (pp. 11-12), puis des couloirs, des chambres, un escalier principal, des caves, un souterrain qui mène du Château à l'Eglise Saint Nicolas et auquel on accède par un « passage secret » (p.18), et enfin un couvent contigu à la cathédrale. La cave et le souterrain sont désignés comme « crypte » (p. 25). La chambre de Mathilde semble être au premier étage car on y logera l'étranger au-dessous (p. 29). Par ailleurs on sait qu'il existe une « poterne » (p. 31), que les salles ouvrent sur l'extérieur par une « croisée » (p. 31) et que le jeune paysan sera enfermé dans « la tour Noire » (p. 49), mais que Mathilde le délivrant le fera passer par « la salle d'armes » (p. 50). Quand Frédéric sera blessé, il sera conduit à « la chambre la plus proche » (p. 54).
          Rien donc dans ces détails qui laisse à deviner un mystère ou une présence écrasante de l'architecture, symbole du roman « gothique » 7. Rien sauf peut-être le fait que le Château apparaît toujours dans le texte avec une majuscule. Ajoutons qu'Isabelle, prise de panique dans les souterrains, en quête de la serrure du passage secret, le qualifie de « Château maudit » (p. 18). Mais cela renvoie plus, pour elle, à l'horreur qu'elle ressent pour le tyran Manfred qui veut lui imposer un mariage impie, qu'à la matérialité même du Château.
          Les détails descriptifs sont souvent pris « en situation », comme au théâtre, ce qui implique chaque fois un « sujet » qui regarde, et qui ne parle que du détail qui lui importe alors. A la fin de la lecture, cependant, il est possible de dresser une sorte de « plan de masse » — très différent d'une impossible représentation en perspective. Et curieusement, ce qui ressort comme cohérence, c'est un plan de type cadastral. Un château, près de la mer et non loin d'un rivage taraudé de grottes aussi labyrinthiques que les souterrains du Château. Ces grottes aboutissent à une forêt, le souterrain aboutit à l'Eglise Saint Nicolas, Isabelle se réfugiera dans les deux labyrinthes, et y sera sauvée deux fois par Théodore. Une fois contre Manfred par ruse, une fois contre Frédéric, son père, par la force 8. Mais ce « plan des lieux » n'a rien de descriptif, il trace cependant les lignes de forces souterraines d'un irrationnel à l'œuvre.
          Si, par un effort d'imagination appuyé sur les éléments objectifs fournis par le texte, on voulait faire apparaître la « réalité » du château, il n'aurait vraisemblablement rien de « gothique » et ressemblerait fort aux « castels » normands tels que les peindra Walter Scott : « Une forteresse de médiocre étendue consistant en un donjon ou grosse tour haute et carrée, et en des bâtiments plus bas disposés autour d'une cour intérieure » 9. L'intérêt, d'ailleurs, serait nul. Moins qu'un « objet » repérable, le Château d'Otrante est le lieu d'une « scène » au double sens du terme : scène théâtrale et « autre scène » au sens de O. Mannoni 10.

          Le mystère du Château

          Cet ensemble de détails signifiants — ou de « signes purs », pour citer O. Mannoni — impossibles à totaliser en une représentation crée deux types d'effets.
          Le premier, par son aspect syncrétique, peut faire penser aux tableaux des peintres « primitifs », c'est-à-dire d'avant l'invention de la perspective albertienne : on peut penser aux châteaux, et à leur insertion dans les paysages de rochers d'un Giotto par exemple. On peut aussi ajouter, en prenant appui sur le théâtre, que les scènes médiévales, comme encore Shakespeare, plaçaient leurs scènes à faire dans des « mansions », que l'on retrouve dans les tableaux d'avant le Quattrocento.
          Le second pourrait déboucher directement sur la visée fantastique, avec l'impossible représentation du Château-Monstre. Mais, dans une certaine mesure, on y échappe. En effet, il y a un moment où l'on change de point de vue sur le Château, c'est au moment où le Géant s'en extrait : « Un coup de tonnerre ébranla le Château jusqu'en ses fondements, la muraille devant laquelle se tenait Manfred s'abattit » (p. 78). A ce moment précis, le Château est vu d'en haut, et le Saint, reconstitué dans son « apothéose » parle et dicte sa loi aux hommes, donnant le point de vue de Dieu, et donc le sens des événements, mais avec des lacunes : le signifié de la parole divine n'épuise pas toutes les marques du signifiant.
          En effet, le Château, après la sortie du Géant, n'est plus intact, il n'en reste debout qu'une partie, « la partie du Château qui était encore debout » (p. 79). Le reste est devenu « des ruines » (p. 78). Le Château n'est donc visible / lisible en son entier qu'un bref instant : celui qui sépare sa rédemption spirituelle de ses suites terrestres, à savoir sa ruine. Ruine qui est à mettre en parallèle avec la « mélancolie » qui « a pris possession de l'âme » de Théodore, dont il reste, comme pour le Château, une simple partie « encore debout ». Ce « lieu » ou cette « scène » n'a donc d'intérêt que par les modalités de sa destruction : c'est aussi le moment où le sens se donne par le secret qui se dévoile. L'ordre généalogique se rétablit, par la grâce de la Surnature. Par là aussi le texte échappe, malgré tout, à une visée fantastique finale, avec laquelle il a longtemps flirté 11.
          Reste un autre mystère. Si ce Château n'a pratiquement qu'une existence fantomatique, comment est-il possible qu'il ait nourri tout un imaginaire ultérieur, gothique, historique, fantastique et jusqu'aux surréalistes ?
          Mon hypothèse n'a rien d'original, mais la voici 12. Loin d'être un monument, le Château d'Otrante est donné à ressentir comme une « chose », et le lieu de coalescence de diverses traditions mythiques et oniriques 13. C'est la rencontre devenue possible d'éléments et de signes, par ailleurs hétérogènes, qui donne à ce Château un pouvoir que les surréalistes nommeraient — sans doute — d' « aimantation » pour l'imaginaire 14. Quels sont ces signes ?

          La force du destin

          Le Château d'Otrante nous introduit dans un lieu exotique, puisque Otrante, situé à la pointe de la botte italienne, est presque en Orient, d'où revient l'épée du Géant, portée par les compagnons du croisé. Nous sommes aussi dans un temps exotique. Celui d'un pays catholique où la puissance des saints est avérée — à la différence de ce qui a lieu dans l'Angleterre anglicane — et où le merveilleux des miracles apparaît comme normal. Tout est en place pour que l'impossible advienne.
          Dans ces temps et ces lieux, posons un personnage de l'époque, montrons-le en butte à ses passions, et peu accessible à la répression de ses pulsions 15. Livrons-le à la terreur : une prophétie lui signifie la malédiction qui touche la perpétuation de sa race et de sa légitimité à cause d'une usurpation criminelle. Proposons-lui comme seule issue une autre transgression, proche de l'inceste cette fois. Sa « folie » et sa « violence » — qui manifestent une volonté désespérée de persévérer dans son être, même à tort, se manifesteront 16. Elles ne peuvent se manifester qu'en ce lieu, le Château, qui est celui de son pouvoir absolu. Le Château, métonymiquement, représente l'esprit affolé de Manfred 17.
          Le récit commence lorsque nous en sommes aux derniers actes, et, comme dans les tragédies raciniennes, l'arrière-fond nous sera donné par des récits, où le sens de la prophétie est explicité. Comment l'action peut-elle alors se poursuivre ?
          Walpole emploie ce qu'on nommera plus tard au cinéma un montage alterné, générateur de suspense et d'angoisse, que l'on retrouvera — et ce n'est pas un hasard — dans La Chute de la Maison Usher.
          Chez Poe, la lecture du Mad Trist 18 et les coups d'épée des chevaliers en duel contre le dragon feront écho à la sortie de la tombe par Lady Madline, et à sa remontée au long des escaliers qui mènent à la chambre où se tiennent son frère Roderick et le narrateur.
          Ici les tentatives folles faites par Manfred pour contrecarrer l'imminence de son châtiment sont rythmées par l'habillement du Géant innommé qui hante le Château. Après l'advenue de son heaume qui a écrasé Conrad, l'héritier de Manfred, il enfile les pièces de son armure sous les yeux affolés des serviteurs, en attendant que son épée lui soit apportée depuis la Palestine. Au moment où Manfred — qui vient de tuer sa fille Mathilde dans l'Eglise — pense avoir enfin réussi à convaincre Frédéric de lui donner sa fille Isabelle en mariage, pour ainsi retrouver éventuellement un héritier, le Géant fait éclater le Château et dicte sa loi. Comme dans les tragédies, tout était déjà en place pour la catastrophe finale. Place maintenant aux épigones.

          D'un Château l'autre

          Le Château d'Otrante, dont on a vu qu'il n'avait rien de « gothique », va pourtant engendrer des textes qui s'y référeront. Tous les textes relevant du « roman gothique », mais aussi certains romans historiques, et jusqu'à La chute de la maison Usher qui en renouvellera l'impact.
          Ann Radcliffe, on l'a vu, ne dédaigne pas les références au Château d'Otrante, mais elle édulcore les éléments qu'elle emprunte. De plus, elle ne fait pas se rencontrer en un seul Château les personnages de ses récits. Ceux-ci gagnent en pittoresque ce qu'ils perdent en violence irrationnelle. Même Les mystères du château d'Udolphe ne présente pas cette unité. Avant d'accéder à Udolphe, on traverse de multiples lieux et un autre château, sans compter Venise. Après s'être échappée, l'héroïne retrouve encore deux châteaux et un couvent avant de se marier. Comme la Justine de Sade poursuit son éducation philosophique, aussi bien Emilie ici qu'Elena dans Le confessionnal des Pénitents Noirs 19, de château en château, de cloître en cloître, approfondissent leur éducation sentimentale.
          Dans Les Chouans, roman historique, si le château de la Vivetière est vu par Mademoiselle de Verneuil en héroïne gothique, il n'occupe pas une place centrale 20. Il en va de même chez Walter Scott. Quant à Hugo, il prend le regard d'un « historien » (p. 312), même si par instant ses descriptions deviennent hallucinées 21. Aucun de ces épigones n'a jamais pu nous faire à nouveau rencontrer la magie terrifiante du Château.

          De la Maison d'Otrante au château d'Usher

          Il existe cependant un texte qui, sans se référer explicitement au Château d'Otrante retrouve la qualité sulfureuse de son ombre, c'est La Chute de la Maison Usher 22.
          Il s'agit dans les deux cas de Châteaux isolés, de deux maisons anciennes. L'une entourée de marais, et se reflétant dans un étang ; l'autre proche de la mer. Elles comportent toutes deux des souterrains, des grilles, des caveaux, bien que la Maison Usher ne soit reliée à aucune chapelle, ce qui n'est pas sans signification. Les deux fois, l'arrivée d'un étranger va concourir à la catastrophe. Théodore remarque la ressemblance entre le heaume gigantesque et celui de la statue d'Alphonse le Bon ; le narrateur poesque remarque la « fissure à peine visible qui partant du toit de la façade se frayait une route en zigzag à travers le mur et allait se perdre dans les eaux funestes de l'étang » 23.
          Les deux fois, la maison est liée à un secret qui porte sur la perpétuation de la lignée. Le secret d'Otrante est matérialisé par une prophétie, celui d'Usher par une sorte de malédiction : une filiation en ligne directe est la seule possible. Dans les deux cas, le lien est si étroit entre « la famille et l'habitation de la famille » (Maison Usher, p. 408) qu'on ne les différencie pas, et d'ailleurs Roderick dans son poème du Palais Hanté assumera cette osmose.
          Roderick et Manfred sont confrontés à l'impossibilité, sauf inceste, de perpétuer leur Maison. Dans les deux cas, la Surnature intervient. A Otrante pour désigner la lignée authentique, mais en détruisant la moitié du Château. Chez Usher, en faisant remonter la morte-vivante depuis son caveau, au son des coups d'épée assénés au dragon dans le récit épique, et pour un impossible coït. Sacrilège qui ne peut qu'accélérer la fin de la Maison : quand Madline se conjoint avec son jumeau dans un embrassement mortel, la Maison Usher rejoint son reflet dans l'étang « funeste ».
          Mais dans le texte de Poe, point de Saint reconstitué pour donner le fin mot de l'histoire : ne demeure que le regard épouvanté du narrateur qui fuit le lieu maudit. La Surnature chrétienne, dans Le Château d'Otrante, prend la folie passagère du tyran comme un soubresaut de l'âme contre les décrets de la Providence, et la soumission ultime de Manfred montre qu'il sera pardonné, car la Surnature est encore donnée comme porteuse de sens dans cet univers romanesque.
          Dans La Chute de la maison Usher, la folie est à l'œuvre : annoncée par la lézarde, par l'aveu du Palais Hanté et par le nom même de la sœur, Mad/line. Cette malédiction n'a pas de cause extérieure, fait partie de la réalité humaine et rien ne la rachète que la mort, que l'on entend (re)monter vers l'impossible lumière du sens, pendant la lecture du Mad Trist. Ce qui hante le Château d'Usher, ce n'est pas une énigme. C'est la réalité impensable de la mort, que le fantastique tente de figurer par l'écho d'un sens ancien, celui présent dans un univers défunt, et dont les événements contés dans Le Château d'Otrante sont peut-être contemporains 24.
          Dans aucun de ces deux textes, qui se renvoient en miroir leur mystère, les traces d'une violence liée à des événements extérieurs ne sont visibles. Mais, par la charge d'irrationnel qu'ils proposent, ils constituent sans doute les véritables « châteaux de la subversion » 25.



Notes :

1. Paul Eluard, préface au Château d'Otrante in Romans terrifiants. Bouquins, 1984, p. 3.
2. C'est DAF de Sade qui, le premier sans doute, a soutenu cette proposition dans Idées sur le roman, où il situe Justine par rapport à d'autres textes gothiques dont Le Moine. Les surréalistes lui emboîteront le pas : « Les ruines n'apparaissent brusquement si chargées de signification que dans la mesure où elles expriment visuellement l'écroulement de la période féodale ; le fantôme qui les hante marque avec une intensité particulière l'appréhension du retour des puissances du passé » (André Breton : « Limites non frontières du surréalisme ». Nouvelle Revue Française, N° XLVIII, 1937, p. 209). Annie Le Brun (in Les Châteaux de la subversion, Folio essais, 1986) est plus circonspecte : « C'est comme si les bouleversements sensibles préparaient les bouleversements sociaux et non l'inverse » (p. 19).
3. Walpole : Le Château d'Otrante.
4. Maurice Levy : Le roman « gothique » anglais. 1764-1824. Presses de l'Université de Toulouse, 1968 (rééd. Albin Michel, 1999).
5. Walpole : Le Château d'Otrante. Préface de la première édition, op. cit. p. 5.
6. Dans sa seconde préface, Walpole fait allusion à Shakespeare, pour justifier la présence des « grossières plaisanteries » des servantes et des valets. Cela étant, il cite aussi, explicitement, Hamlet. Ce rappel n'est pas vain : dans Hamlet aussi, un Château est hanté par un fantôme, et un usurpateur y est présent, qui a, comme les ancêtres de Manfred, empoisonné le propriétaire légitime.
7. En revanche, les épigones ne se priveront pas d'utiliser ce terme de « château » qui contribuera à créer un « effet de genre ». Ann Radcliffe (in Les mystères du Château d'Udolphe. Corti, 1984), par exemple : « Emilie regarda le Château avec une sorte d'effroi, le style gothique et grandiose de son architecture » (p. 96). Le Château d'Otrante n'est pas un édifice comme celui que proposera encore Radcliffe, s'appropriant même « le géant » présent dans le Château d'Otrante : « Ses hautes et vieilles murailles grises faisaient de ce géant de pierre un objet imposant et terrible.... cette masse isolée semblait dominer toute la contrée » (p. 96).
8. Cette articulation entre le lieu où réside le tyran et le lieu où se trouve le couvent par des souterrains sera reprise et dévoyée dans Le Moine. Le couvent sera, pour Agnès, plus malheureuse qu'Isabelle, un lieu de châtiment. Quant aux souterrains, qui passent pas des cryptes emplies d'ossements, ce sera le lieu où le Moine violera Antonia. Et quand le couvent sera détruit, ce sera par la violence de la révolte contre l'ordre féodal/religieux, qui permettra à Breton de parler du « magnifique ciel d'orage » du Moine.
9. Walter Scott : Ivanhoé (1819). Folio junior, tome1, p. 264.
10. Octave Mannoni : Clés pour l'imaginaire ou l'Autre scène. Seuil, 1969 : « Il existe ainsi des lieux, aussi bien dans le monde »réel« que dans l'esprit le plus »raisonnable« , où les signes ne se présentent par seulement comme arbitraires, mais pour ainsi dire comme des signes à l'état pur, c'est à dire comme trompeurs sans pourtant pouvoir tromper personne. Une foule... reconnaît sa vérité, qui est aussi son illusion, devant les mensonges du théâtre, de ses rêves... partout, en nous comme au dehors, peut toujours s'ouvrir la scène, où ce qui est toujours autre » (pp. 7-8).
11. Sauf à considérer que la « mélancolie », ou impossible deuil de l'harmonie, préfigure la « Sehnsucht » des romantiques, dont le fantastique d'un Hoffmann, puis d'un Gautier se nourriront. On peut rapprocher la mélancolie de Théodore de celle d'Octavien dans Arria Marcella.
12. Roudeau (Jean) : « Entrer dans le Château... un lieu qui non seulement échappe au contrôle social extérieur, mais aussi à celui des divinités... c'est devenir le personnage d'un rêve » (« Les demeures dans le roman noir » in Critique n°147-8, 1959, pp. 723-5 ; cité par M. Levy).
13. Les rêves peuvent être considérés comme des mythes personnels, les mythes comme des rêves sociaux.
14. On pourrait, avec Denis Mellier ajouter ceci : le Chateau, dès le premier chapitre, met en scène la peur devant l'impensable et pourtant là. cela se marque par le geste du serviteur qui désigne un objet dans la cour sans pouvoir rien en dire mais avec terreur. Voir Denis Mellier : « Le point fantastique : une poétique de l'effet spécial » in Les écrans meurtriers. CEFAL, Liège, 2002, pp. 31-52.
15. Norbert Elias : La civilisation des mœurs. Pluriel, Livre de poche, 1973, ch. 7 : Les modifications de l'agressivité.
16. Ann Radcliffe gardera quelques traits de cette violence en créant le personnage de Montoni dans les mystères du Château d'Udolphe. Mais elle a perdu de la dimension jupitérienne de Manfred, et se cantonne dans le domaine du caractériel. « Le voilà dans une colère affreuse, et vous savez comment est Monsieur (Montoni) quand il est en colère » (p. 104).
17. Comme Strawberry -Hill est, pour Madame du Deffand, à l'image de l'esprit de Walpole : « Je m'imagine que votre âme et votre château se ressemblent par leur singularités... et par leurs bizarreries » (lettre du 27 février 1771, citée par Maurice Levy). Le « Palais hanté » représentera de la même façon l'esprit de Roderick Usher.
18. Le Mad Trist signifie fort opportunément Le rendez vous insensé.
19. Ann Radcliffe : Le confessionnal des Pénitents noirs in Romans terrifiants, op. cit.
20. Balzac : Les Chouans. Livre de Poche, 1983 : « Cette maison, située sur la croupe d'un promontoire était enveloppée par deux étangs profonds... en entendant crier les gonds rouillés de la porte et en passant sous la voûte en ogive d'un portail ruiné... le Château dont les portes et les volets pendants et pourris, les balustrades rouillées, les fenêtres ruinées paraissaient devoir tomber au premier souffle d'une tempête. La bise soufflait à travers ces ruines auxquelles la lune prêtait par sa lumière indécise, le caractère et la physionomie d'un grand spectre... La vue de cette carcasse vide et sombre. Ses pierres disjointes, ses croisées sans vitres, sa tour à créneaux, ses toits à jour lui donnaient tout à fait l'air d'un squelette ; et les oiseaux de proie qui s'envolèrent en criant ajoutaient un trait de plus à cette vague ressemblance.... Mademoiselle de Verneuil... le contempla toute seule avec terreur... et une exclamation involontaire lui échappa quand le portail fut fermé et qu'elle se vit dans cette espèce de forteresse naturelle » (pp. 161-163).
21. Hugo : Notre Dame de Paris. Livre de Poche : « Le croissant de la lune, qui venait de s'envoler à l'horizon, était et semblait s'être perché, comme un oiseau lumineux au bord de la balustrade découpée en trèfles noirs... il trouva dans l' église une obscurité et un silence de caverne... les longues fenêtres du chœur montraient au dessus de leurs ogives... une espèce de violet de blanc et de bleu dont on ne retrouve la teinte que sur la face des morts » (pp. 468-469).
22. On prétend habituellement que c'est dans Metzergerstein que Poe a imité et même parodié Le Château d'Otrante, cf. Claude Richard : Edgar Allan Poe in Bouquins, 1989, p. 1288. C'est peut-être vrai, mais cela n'empêche en rien Poe de s'inspirer du même texte pour un autre conte.
23. Poe : La chute de la maison Usher in Edgar Allan Poe, Bouquins op. cit. p. 408.
24. Dans sa préface, Walpole annonce son désir de mêler à des aspects contemporains le « merveilleux » des anciennes « romances », « romance » qu'illustre le Mad Trist.
25. Le Brun (Annie), op. cit. p. 157 : « Le Château d'Otrante est ce drame plastique au cours duquel une pensée explore son espace ». On pourrait poser la même assertion à propos du texte de Poe.

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