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Joëlle Wintrebert

Pascal J. THOMAS

Site de la Convention de Lodève, 1999

Elle court, elle court, elle furète...


          Joëlle Wintrebert est née en 1949, mais son nom est apparu à la fin des années 70 dans les milieux de S.-F., avec quelques nouvelles dans Horizons du Fantastique et Alerte !, l'anthologie porte-voix d'une S.-F. qui se voulait politique. Son premier roman, Les Olympiades truquées (1980), est d'ailleurs paru chez le même éditeur, et elle ne renie rien de l'engagement militant. Même si les temps ont changé, et son oeuvre aussi. Surprise : son premier roman pour J'ai Lu, Les Maîtres-feu (1983) est un chef-d'oeuvre de légèreté inventive, logique, et bien menée. Deux autres le suivront, Chromoville (1984), à la fois dystopie, fantaisie biologique et récit très construit d'une révolte réussie, et Le Créateur Chimérique (1988), qui demeure son chef-d'oeuvre en S.-F. : les Ouqdars vivent dans un monde qui a été le nôtre, mais qui a oublié une bonne part de son histoire. La race humaine a été radicalement transformée pour se reproduire par scissiparité, et tout le livre est construit sur les rapports complexes et souvent antagonistes de géniteurs avec leur bourgeon, leur double en creux, leur frère/soeur ennemi... thème du double, effacement des frontières du corps, androgynie, tous les thèmes majeurs de Joëlle Wintrebert se retrouvent dans l'oeuvre.
          Tous, accompagnés de cette prédilection pour des protagonistes qui vivent leur adolescence - cet âge où l'on cesse d'être un hermaphrodite social, où l'on gravit la marche qui mène à des relations d'égalité (encore admirative) avec les adultes. Si Wintrebert fut, dit-elle, une petite fille qui se comportait comme un garçon, elle a gardé une prédilection pour l'adolescence, et plutôt les adolescentes - comme protagonistes. Depuis quinze ans, elle a eu l'occasion d'en créer une belle série, puisque les romans destinés à la jeunesse (enfants ou "jeunes adultes") constituent désormais la majeure partie de sa production. Au début des années 1980, on n'attendait pas Wintrebert sur ce terrain, qu'elle a pourtant bien arpenté de Nunatak (1983) à L'Océanide (1992) en passant par La fille de Terre Deux (encore un double !) (1987). On n'est pas si loin, parfois, des Maîtres-feu, et toujours dans la science-fiction.
          C'est sans heurts, pourtant, que Wintrebert est passée de la S.-F. - surprise encore ! - au roman historique. Il présente à ses yeux avec notre genre de prédilection de nombreuses similitudes (comme la nécessité de construire le monde aussi bien que les personnages, et celle de se documenter). Comme Un Feu de sarments (1990) met en scène la révolte des vignerons du Languedoc en 1907 (normal pour quelqu'un qui a une maison de campagne à Bise - à deux pas de Narbonne - depuis une éternité, peut-être ; mais la réalité occitane de l'époque est remarquablement décrite, ce qui montre que nul n'est besoin d'être originaire du pays pour le comprendre). Les Diables Blancs (1993) commence dans la Commune de Paris et se termine par un exil en Nouvelle-Calédonie tandis que Colonie Perdue (1998) se déroule entièrement sur l'île. Révolte, et rencontre de l'autre, voici deux thèmes transversaux entre la S.-F. de Wintrebert et ses romans historiques, et de bonnes raisons pour espérer son vrai retour à la première, au-delà des nouvelles que l'on voit trop rarement sortir. Les projets existent, et on peut espérer encore une bonne surprise.
          Car Wintrebert ne s'est jamais beaucoup éloignée du milieu S.-F., ne serait-ce que par ses activités paralittéraires : le journalisme, qu'elle a pratiqué dès avant l'écriture de fictions (et a fait preuve d'une belle longévité dans sa chronique de S.-F. pour (À Suivre) ; l'écriture pour la télévision, souvent en tant que "nègre" non-crédité et mal payé ; la correction de traductions de Barbara Cartland (si!) ; et la direction de l'anthologie annuelle Univers, de 1981 à 1984. Wintrebert en doublure de Jacques Sadoul, qui l'eût cru ? Aujourd'hui, corollaire de sa renommée comme auteur pour la jeunesse, elle assure des animations scolaires autour de l'écriture. Dur de garder le temps pour écrire ! Mais seule cette variété d'activités permet d'assurer un revenu minimal à la plupart des écrivains (s'ils se refusent à engloutir leurs forces dans la traduction). Même si, comme pour beaucoup d'autres auteurs, la présence d'un conjoint salarié permet de lisser les fluctuations des revenus du ménage, Wintrebert a toujours tenu - et est toujours parvenue - à vivre de sa plume.
          Les hommes, on le sait, sont une minorité sur-représentée parmi les amateurs et les auteurs de S.-F.. Comme il se trouve que Wintrebert est une femme, cette particularité a fait l'objet de beaucoup d'attention. Mais Wintrebert est aussi un écrivain qui a su constamment déjouer les attentes, pratiquant une S.-F. solidement fondée scientifiquement qui n'avait rien à voir avec celle de la plupart de ses devancières francophones (ou américaines), parant d'un côté humoristique à ses révoltes politiques, passant à la littérature pour la jeunesse sans abandonner une certaine dureté des situations (voir Nunatak et ses enfants-gladiateurs). Wintrebert n'est jamais là où on l'attend dans son écriture, mais je crois pouvoir affirmer que l'été prochain, elle sera à Lodève, où nous l'attendrons tous. Et nous ne devrions pas regretter l'attente.

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