Elle court, elle court, elle furète...
Joëlle Wintrebert est née en 1949, mais son nom
est apparu à la fin des années 70 dans les milieux de S.-F., avec quelques
nouvelles dans Horizons du Fantastique et Alerte !,
l'anthologie porte-voix d'une S.-F. qui se voulait politique. Son premier
roman, Les Olympiades truquées (1980), est d'ailleurs paru chez le
même éditeur, et elle ne renie rien de l'engagement militant. Même si les
temps ont changé, et son oeuvre aussi. Surprise : son premier roman
pour J'ai Lu, Les Maîtres-feu (1983) est un chef-d'oeuvre de
légèreté inventive, logique, et bien menée. Deux autres le suivront,
Chromoville (1984), à la fois dystopie, fantaisie biologique et
récit très construit d'une révolte réussie, et Le Créateur
Chimérique (1988), qui demeure son chef-d'oeuvre en S.-F. : les
Ouqdars vivent dans un monde qui a été le nôtre, mais qui a oublié une
bonne part de son histoire. La race humaine a été radicalement transformée
pour se reproduire par scissiparité, et tout le livre est construit sur
les rapports complexes et souvent antagonistes de géniteurs avec leur
bourgeon, leur double en creux, leur frère/soeur ennemi... thème du
double, effacement des frontières du corps, androgynie, tous les thèmes
majeurs de Joëlle Wintrebert se retrouvent dans
l'oeuvre.
Tous, accompagnés de cette
prédilection pour des protagonistes qui vivent leur adolescence - cet âge
où l'on cesse d'être un hermaphrodite social, où l'on gravit la marche qui
mène à des relations d'égalité (encore admirative) avec les adultes. Si
Wintrebert fut, dit-elle, une petite fille qui se
comportait comme un garçon, elle a gardé une prédilection pour
l'adolescence, et plutôt les adolescentes - comme protagonistes. Depuis
quinze ans, elle a eu l'occasion d'en créer une belle série, puisque les
romans destinés à la jeunesse (enfants ou "jeunes adultes") constituent
désormais la majeure partie de sa production. Au début des années 1980, on
n'attendait pas Wintrebert sur ce terrain, qu'elle a
pourtant bien arpenté de Nunatak (1983) à L'Océanide (1992)
en passant par La fille de Terre Deux (encore un double !)
(1987). On n'est pas si loin, parfois, des Maîtres-feu, et toujours
dans la science-fiction.
C'est sans
heurts, pourtant, que Wintrebert est passée de la
S.-F. - surprise encore ! - au roman historique. Il présente à ses
yeux avec notre genre de prédilection de nombreuses similitudes (comme la
nécessité de construire le monde aussi bien que les personnages, et celle
de se documenter). Comme Un Feu de sarments (1990) met en scène la
révolte des vignerons du Languedoc en 1907 (normal pour quelqu'un qui a
une maison de campagne à Bise - à deux pas de Narbonne - depuis une
éternité, peut-être ; mais la réalité occitane de l'époque est
remarquablement décrite, ce qui montre que nul n'est besoin d'être
originaire du pays pour le comprendre). Les Diables Blancs (1993)
commence dans la Commune de Paris et se termine par un exil en
Nouvelle-Calédonie tandis que Colonie Perdue (1998) se déroule
entièrement sur l'île. Révolte, et rencontre de l'autre, voici deux thèmes
transversaux entre la S.-F. de Wintrebert et ses
romans historiques, et de bonnes raisons pour espérer son vrai retour à la
première, au-delà des nouvelles que l'on voit trop rarement sortir. Les
projets existent, et on peut espérer encore une bonne surprise.
Car Wintrebert ne
s'est jamais beaucoup éloignée du milieu S.-F., ne serait-ce que par ses
activités paralittéraires : le journalisme, qu'elle a pratiqué dès
avant l'écriture de fictions (et a fait preuve d'une belle longévité dans
sa chronique de S.-F. pour (À Suivre) ; l'écriture pour la
télévision, souvent en tant que "nègre" non-crédité et mal payé ; la
correction de traductions de Barbara Cartland
(si!) ; et la direction de l'anthologie annuelle Univers, de
1981 à 1984. Wintrebert en doublure de
Jacques Sadoul, qui l'eût cru ? Aujourd'hui,
corollaire de sa renommée comme auteur pour la jeunesse, elle assure des
animations scolaires autour de l'écriture. Dur de garder le temps pour
écrire ! Mais seule cette variété d'activités permet d'assurer un
revenu minimal à la plupart des écrivains (s'ils se refusent à engloutir
leurs forces dans la traduction). Même si, comme pour beaucoup d'autres
auteurs, la présence d'un conjoint salarié permet de lisser les
fluctuations des revenus du ménage, Wintrebert a
toujours tenu - et est toujours parvenue - à vivre de sa
plume.
Les hommes, on le sait, sont une
minorité sur-représentée parmi les amateurs et les auteurs de S.-F.. Comme
il se trouve que Wintrebert est une femme, cette
particularité a fait l'objet de beaucoup d'attention. Mais
Wintrebert est aussi un écrivain qui a su constamment
déjouer les attentes, pratiquant une S.-F. solidement fondée
scientifiquement qui n'avait rien à voir avec celle de la plupart de ses
devancières francophones (ou américaines), parant d'un côté humoristique à
ses révoltes politiques, passant à la littérature pour la jeunesse sans
abandonner une certaine dureté des situations (voir Nunatak et ses
enfants-gladiateurs). Wintrebert n'est jamais là où on
l'attend dans son écriture, mais je crois pouvoir affirmer que l'été
prochain, elle sera à Lodève, où nous l'attendrons tous. Et nous ne
devrions pas regretter l'attente.
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