En tant que chef de rubrique, je rédigeais des articles documentaires et je m'occupais du courrier. Chaque jour parvenaient à la rédaction des dizaines de lettres d'enfants qui félicitaient, s'indignaient, posaient mille questions sur les personnages et sollicitaient de multiples conseils, parfois d'ordre très intime. Le lecteur-type, un garçon âgé de dix ans, commençait toujours sa lettre par : Cher Pif, formule qui englobait aussi bien le fameux chien que la rédaction du journal. Je répondais à chacun, brièvement, sur une simple carte au dos de laquelle était dessiné ce personnage fétiche. Parfois, j'avertissais le lecteur que la réponse à sa question figurerait bientôt dans le journal. Bientôt, mais jamais la semaine suivante ! Comme la plupart des hebdomadaires, le texte du journal qui sortait le mercredi avait été bouclé près de trois semaines auparavant...

          Chez Pif, j'appris à viser ce qu'on n'appelait pas encore « le coeur de cible », à choisir des photos, à monter une couverture avec Sacha Kleinberg, le directeur artistique, à gérer à l'intérieur du magazine « le petit Pif » qui rassemblait en vrac des infos, des trucs, des articles, des recettes et des blagues. Après un accueil un peu méfiant, j'eus vite l'impression d'avoir été intégré dans une équipe où régnaient camaraderie, complicité et efficacité.

          Chez Pif comme ailleurs, les ventes chutaient doucement. Quelques années auparavant, le fameux gadget joint au journal avait créé une vraie révolution et dopé les ventes. Aujourd'hui, le gadget existait encore mais on avait du mal à le renouveler. Quelle acrobatie, de trouver et faire fabriquer chaque semaine un objet original et nouveau dont le coût devait être assez bas pour l'encarter à un journal à peine plus cher qu'un magazine télé ! Pour redresser la barre, le navire Vaillant avait besoin d'un sacré capitaine. Moins d'un an après être entré chez Pif, j'avouai à Jean et René que je souhaitais partir. Ils n'en furent pas étonnés et me demandèrent de continuer à écrire les aventures d'Argyr. Mon héros survivrait six mois et le journal quelques années.