Christian Grenier, auteur jeunesse
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Interview publiée dans Bifrost N°7
( Janvier 1998 )

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     Ces affirmations méritent d'être sérieusement nuancées. Il est vrai qu'aujourd'hui encore, en France, on est catalogué « auteur jeunesse » ou « auteur vieillesse ». Malgré les efforts des uns et des autres pour passer d'un domaine à l'autre, la barrière, surtout dans l'esprit des lecteurs, reste tenace. A y regarder de près, les auteurs jeunesse qui se risquent parfois dans la S-F sont assez rares. Il y eut William Camus, Claude Cénac, Gérard Moncomble, Valérie Groussard... Peut-être un ou deux autres, que j'oublie, je classe à part Jacqueline Held, à l'imaginaire fantastico-poétique, ainsi que Pelot qui, à vingt-cinq ans, abordait déjà tous les thèmes et toutes les tranches d'âge. Mais la plupart des auteurs jeunesse sont rebutés par l'écriture et l'imaginaire de la S-F A tort ou à raison, ils jugent les écueils trop grands.
     En revanche, nombreux sont les auteurs de S-F à se risquer dans le domaine jeunesse : Andrevon fut le premier, suivi de Jeury, puis Durand, Wintrebert, Ligny... ainsi que certains auteurs un peu oubliés comme Forgit, Villaret, Renard... ou même, il y a longtemps, Maurice Limat !
     Je serais très fier d'être jugé comme « l'unique auteur spécialisé S-F jeunesse jusque dans les années 90 ». La réalité est différente : quelqu'un comme Philippe Ebly a sans doute joué ce même rôle — même si, il est vrai, il n'a publié que chez Hachette, dans la « Verte », deux séries qui se sont par ailleurs beaucoup vendues et ont contribué à populariser la S-F chez les jeunes. Je pense aussi à mon camarade et ami Christian Léourier, qui jusqu'à son Chemin de Rungis n'avait publié que de la S-F — mais aussi, il est vrai, de la S-F « adulte ».
     Aujourd'hui, avec une quarantaine de titres de S-F jeunesse disséminés chez une dizaine d'éditeurs (et après avoir créé et animé Folio-Junior S-F) je bénéficie sans doute de l'image de marque que tu soulignes. Mais toute mon « oeuvre », comme tu dis, ne peut pas être étiquetée S-F jeunesse et j'ai eu, en effet, la tentation d'écrire d'autres choses... Dois-je énumérer les titres ? Le premier, La guerre des poireaux (Cascade) date de 1978. Voici vingt ans qu'il s'en vend quatre ou cinq mille exemplaires par an ! Il y eut ensuite (en 1979) Le moulin de la colère. Plus récemment, chez Syros, Un printemps sans cerises puis, en Cascade encore, deux romans jumeaux, Le pianiste sans visage et La fille de 3ème B, qui ont obtenu le tam-tam des 10/14 ans au Salon du livre jeunesse de Montreuil. Sans parler de quelques romans policiers comme Coups de théâtre et L'ordinatueur. J'ai écrit aussi pendant très longtemps des nouvelles (dans les magazines Jeunes Années, puis Gullivore) qui n'étaient pas toujours de la S-F. Enfin, dans la collection « Contes et légendes » de Nathan, j'ai sorti l'an dernier Les contes et récits de la conquête du ciel et de l'espace (qui ressortissent à l'histoire plus qu'à la S-F ) et je publie en octobre prochain... Les douze travaux d'Hercule !
     Mais tout ceci entre en effet encore dans le domaine Jeunesse.
     Dans le domaine « adulte » ou plutôt « littérature générale », ma production est plus maigre. Un roman (non S-F) chez Denoël et plusieurs essais sur la littérature — mais le dernier, il est vrai , traite encore et toujours de la S-F. Ecrire de la S-F « pour adultes » ? Non, cette tentation ne m'a jamais effleuré ! Peut-être parce que très vite, je me suis fait une place (ce n'était pas difficile, on ne se bousculait guère !) dans la littérature jeunesse — et que je m'y suis senti à l'aise ; mais sans doute aussi parce que le domaine S-F adulte, au début des années 70, était formidablement représenté, tant par les auteurs français qu'étrangers. A quoi bon vouloir rejoindre un Dick ou un Jeury alors que dans le domaine S-F jeunesse, tout restait à faire ? A y bien réfléchir, l'occasion ne s'est jamais présentée ... En 1978, Gérard Klein a tout naturellement fait appel à moi quand il a lancé sa collection « L'âge des étoiles », destinée aux ados. S'il m'avait lancé : « Et ça ne te tenterait pas d'écrire un roman pour Ailleurs et Demain ? », je suis sûr que je me serais mis à l'ouvrage ! Il ne me l'a jamais demandé. Peut-être était-il convaincu, comme beaucoup, qu'un auteur jeunesse n'est pas en mesure d'écrire un texte pour adultes ?
     Je crois enfin que j'ai toujours essayé d'explorer, dans le domaine de la S-F des voies sinon inconnues, du moins peu encombrées : le théâtre par exemple. Ou même l'écriture de scénariis de dessins animés aux antipodes idéologiques (et graphiques) de la S-F japonaise et des mangas.

     Ton affirmation « toute ton oeuvre peut être étiquetée S-F jeunesse » rejoint les préjugés de la plupart des enseignants et des bibliothécaires pour qui un « auteur de S-F » ne sait et ne peut écrire que ça. Combien d'instits m'ont lancé, stupéfaits : « La guerre des poireaux, c'est vous ? »
     Récemment encore, une libraire a voulu me convaincre que La fille de 3ème B était de la S-F Une enseignante de collège, à Belfort, a été fort contrariée d'apprendre que j'étais l'auteur du Pianiste sans visage : elle venait de le lire, de le faire lire à ses élèves ; elle venait de m'affirmer qu'elle n'aimait pas la S-F.,, et ignorait que j'étais l'auteur de ce bouquin qu'elle avait aimé ; elle était très vexée !

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Dernière mise à jour du site le 12 octobre 2021
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