Christian Grenier, auteur jeunesse
Recherche
   
Cliquer pour lire les questions précédentes 
Interview publiée dans Bifrost N°7
( Janvier 1998 )

Page 4 / 11
 Cliquer pour lire les questions suivantes


     Cette affirmation mérite aussi d'être très nuancée ! Une certaine littérature de jeunesse a pu, autrefois, avoir un côté « fabriqué ». Quand on est familier de la littérature de jeunesse d'aujourd'hui, force est de constater que ce défaut a été éliminé. Et que c'est, à l'inverse, une certaine littérature pour adultes qui peut sembler fabriquée. Certains auteurs caressent le lecteur dans le sens du poil en leur donnant des petits textes intimistes et « originaux » dont l'éditeur sait qu'ils constitueront de bons produits...
     S'il y a, depuis une vingtaine d'années, un domaine où la littérature se renouvelle (tant sur le plan de l'imaginaire, de la forme, du style, du ton, des thèmes abordés), c'est sans nul doute la littérature de jeunesse. C'est là que l'on peut innover, faire preuve d'audace, d'originalité... certes pas partout — mais notamment dans le domaine de l'album. Oui, je l'affirme : la littérature qui bouge, depuis un quart de siècle, c'est celle-là ! Nombreux sont les auteurs qui n'écrivent plus pour des collections précises, ni pour une tranche d'âge définie. Quant au genre, les directeurs littéraires, heureusement, s'en moquent pour la plupart ! Par exemple (et pardonne-moi de me prendre comme exemple) Coups de théâtre n'est pas vraiment classable : Polar certes, mais écrit comme une pièce de théâtre (alors que ce n'en est pas une). Quel autre éditeur pour adultes aurait pu ou voulu publier un texte pareil ? Quel éditeur pour adultes aurait publié ce « récit à deux voix » que constituent mon « roman jumeau » Le pianiste sans visage et La fille de Troisième B ? Enfin, mon dernier Polar, L'ordinatueur, aurait tout aussi bien pu trouver place, je crois, dans une collection de Policiers pour adultes. Mais il flirte aussi avec la S-F... Quant au nombre de signes ou de pages, on triche : mon Multimonde chez Hachette est en réalité un roman de mille pages que j'ai (volontairement) coupé en quatre récits distincts.
     Du coup, ta question sur les responsabilités des uns et des autres perd un peu son sens. Le seul secteur à me poser problème est celui des représentants (ou le « secteur commercial », si tu préfères). La tendance qui m'inquiète est celle qui pourrait consister à privilégier les « textes qui marchent », les «  thèmes à la mode »... Il y en a : le succès de la collection « Chair de poule », chez Bayard, entraîne de la part de certains éditeurs une surenchère du côté de « l'horreur soft » ou d'un Fantastique parfois bon marché, II existe aussi une demande du côté des textes qui traitent de l'école, des monstres, des sorcières... Bon. Mais ces dérives sont dérisoires par rapport, à la richesse et à la diversité d'une littérature dont de formidables directeurs littéraires sont les promoteurs passionnés. Je ne lèche les bottes de personne — par ailleurs, aucun de mes directeurs littéraires ne lira sans doute cet entretien... à l'exception d'un, sans doute, qui se bat justement avec le secteur commercial et ceux et celles qui sont au-dessus de lui !
     Te souviens-tu de l'époque où je dirigeais « Folio-Junior S-F » ? Eh bien Pierre Marchand, responsable de Gallimard Jeunesse, m'avait laissé les mains totalement libres. Je n'aurais certes pas pu éditer un pavé de mille pages mais jamais il n'a exercé la moindre censure ou pression sur les textes que je sélectionnais. J'ai réédité Niourk de Stefan Wul sans demander l'avis de personne. Et les Grimaud se souviennent encore de leur manuscrit Le Tyran d'Axilane qu'ils m'ont donné un matin et que j'ai accepté le soir même, sans rien demander à personne... Les responsabilités étaient partagées : les Grimaud savaient ce qu'ils écrivaient, je savais ce que je faisais en acceptant leur texte et Pierre Marchand savait sans doute ce qu'il faisait... en me faisant confiance !



     Un grand nombre de textes de littérature de jeunesse relèvent de la création authentique. Ipomée ou les Editions du Rouergue passent pour être à la pointe de ce qui se fait dans le domaine de l'album — mais Rageot, Flammarion, Milan, Nathan, l'Ecole des Loisirs, Gallimard, Le Seuil, Actes Sud jeunesse,.. inutile de me lancer dans une liste — bref, tous ces éditeurs publient, ici ou là, des textes souvent étonnants par leur ton, leur écriture, leur thème. Les enseignants (et les jeunes lecteurs) ne s'y trompent pas. Cela dit, il reste la même proportion de scories dans cette littérature que dans la littérature pour adultes, cela va de soi. Et pourquoi en serait-il autrement ?

Cliquer pour lire les questions précédentes Page précédente   Page suivante  Cliquer pour lire les questions suivantes

Dernière mise à jour du site le 12 octobre 2021
Adresse postale : Christian Grenier, BP 7, 24130 Le Fleix