Est-ce une attaque personnelle ? Alors je ne frappe pas... mais je saute sur ma chaise. Objection : oh si, la S-F jeunesse se préoccupe d'être originale et novatrice ! Du moins la plupart de mes ouvrages, je l'espère, ont cette prétention — sauf peut-être Le satellite venu d'ailleurs qui est davantage de l'astronautique-fiction. Parmi mes titres, si La Machination semble encore plaire, c'est sans doute parce que :
— son style (sobre ? classique ?) n'a pas trop vieilli.
— le fonds du récit (idéologie ? critique de la société ? monopole des transports ?) reste actuel.
— son propos technologique est encore d'actualité (l'onirium, à y bien regarder, n'est rien d'autre qu'un casque de réalité virtuelle. En 1970, c'était assez novateur. Sans parler du flash back que constitue la première partie, qui est chronologiquement la seconde partie du texte).
Quant à Virtuel : attention, danger ! je crois, sans être novateur, être dans le mainstream de la S-F — avec, sans doute, les impératifs de lisibilité ou de clarté qui, de toute façon, seraient les miens si je publiais dans des collections pour adultes !
Le dernier volume du Multimonde (Mission en mémoire morte) me semble, très honnêtement, aussi novateur que ce qui sort en S-F aujourd'hui. Même si le décor est celui du Périgord de l'an 2001.
Celui qui se risque à « prendre un motif bien classique » fera illusion, sans doute. D'abord auprès d'une direction littéraire peu au fait de la S-F Puis auprès d'un lectorat peu exigeant. Mais son récit ne tiendra pas la route. Il sera vite balayé par des textes plus novateurs, ou du moins plus solides ou porteurs d'un meilleur imaginaire. Crois-moi, en 1980, j'ai voulu, comme tu dis, « sortir de la naphtaline » des romans pour adultes assez simples, sobres, efficaces et de grande qualité (sur le plan du style et de l'imaginaire). Eh bien j'ai trouvé Niourk. Et Le bréviaire des robots (qui a d'ailleurs fait un flop). Si les choses étaient si simples, les rééditions de S-F pour la jeunesse regorgeraient de Carsac, de Clifford Simak et de Van Vogt. C'est loin d'être le cas. Les « vieux » textes pour adultes, ceux du Fleuve comme ceux de chez Denoël, sont souvent à la relecture longs, ennuyeux, bavards, discursifs, flous ou tout simplement peu intéressants. Pas assez, en tout cas, pour en faire de bons et grands textes durables à destination de la jeunesse !
Flammarion vient de ressortir, dans sa nouvelle collection S-F jeunesse, de vieux bons romans S-F adultes. Par exemple le gros et superbe Des fleurs pour Algernon, de Daniel Keyes. A suivre...
Suivons ton assertion : « pour faire de la S-F jeunesse, il suffit d'avoir une certaine connaissance du genre, de ses motifs et thèmes classiques, et de piller ce catalogue — à condition de posséder un savoir-faire ».
Si c'était le cas, les auteurs de S-F jeunesse ne se compteraient pas sur les doigts des deux mains. Je ne veux pas croire, Francis, que cette question a un arrière — goût personnel — mais finalement, n'es-tu pas bien placé pour tenter (et pourquoi pas, réussir) l'expérience ? Car si quelqu'un possède du savoir-faire ainsi qu' « une bonne connaissance du genre »... c'est toi ! Tu l'as d'ailleurs prouvé en publiant une nouvelle dans le recueil « Folio-Junior S-F » sur Le jeu. Mais si tu tentes de gagner les rangs des auteurs S-F jeunesse, essaie donc d'être novateur (tu sais l'être !) au lieu de refaire Les cavernes d'acier en plus court et plus simple. Ou alors prends le risque d'être vite démodé et regardé avec une certaine condescendance d'abord par tes lecteurs, puis par tes propres pairs.