Question souvent posée aux auteurs pour la jeunesse alors qu'on ne la pose pas aux écrivains pour adultes. D'ailleurs il n'y a pas d'écrivains pour adultes... dans ce cas, on dit écrivain tout court. Pour répondre à cette question, j'oscille entre deux attitudes :
* Non, il n'y a pas de différence : j'aborde les mêmes thèmes, je n'appauvris pas exprès mon vocabulaire ( même s'il me faut parfois ramer à contre-courant d'éditeurs effarouchés ), je ne joue pas systématiquement de l'assimilation en animant des personnages à l'âge du lecteur... cette affirmation a ses limites. J'ai jusqu'à présent réservé certains thèmes hard science à des éditeurs pour adultes : le rapport réeel/représentation/ connaissance, la théorie des catastrophes... Non que je croie ces thèmes indifférents au public ado, mais parce que de tels sujets s'adressent en priorité à de bons lecteurs de SF, si on veut les traiter un peu en profondeur.
* Ecrire pour la jeunesse est un autre métier. Par métier, j'entends la pratique, la mise en oeuvre de techniques acquises par un apprentissages sur le tas, sans cesse perfectible. Ce n'est pas le matériau ( le vocabulaire ) qui compte le plus dans ce cas, ni l'intention ( le thème ), mais la façon dont on utilise le premier pour aboutir à la seconde. En fait, la différence se joue sur la structure. Structure du récit, tout d'abord : ne pas trop le désarticuler, et si on le fait, que ce soit d'une manière aisément décryptable par le jeune lecteur, le flash-back par exemple, auquel le cinéma l'a habitué ; mais je recule devant l'entrelacement. Structure de la phrase ensuite. Cela tombe bien, je suis, par nature, plutôt porté vers une écriture dépouillée. Mais tout est relatif. Les textes qui m'ont donné le plus de fil à retordre sont ceux que j'ai écrits pour des petits enfants ( niveau CP ) : ne pas tomber dans la monotonie en n'utilisant que des phrases simples ( sujet, verbe, complément ) est une gageure. Mais aussi un excellent exercice.
De là cette boutade qui n'en est pas vraiment une : la littérature pour la jeunesse est une littérature d'apprentissage ( la boutade, c'est parce que tout le monde croit, quand je dis cela, que je pense au lecteur ). Je pourrais le dire autrement : écrivain, c'est une profession, écrivain pour la jeunesse un métier.
Il reste une autre distinction, plus triviale sans doute, mais réelle : quand on écrit, on sait à qui on va proposer le texte. Les Jarvis, publiés chez Hachette, auraient pu éventuellement trouver leur place au Fleuve Noir. En revanche, je ne vois pas quelle collection adulte aurait accepté Le Chemin de Rungis. Et pour être tout à fait honnête, je me demande si, ces dernières années, ce critère n'a pas été le plus déterminant dans les orientations données à mes textes !