Picasso, à qui l'on posait la question pour ses tableaux, avait l'habitude d'affirmer :
— Une heure et toute une vie !
Pour le parodier, j'ai envie de répondre :
— Deux mois et cinquante ans...
La rédaction d'un récit, on l'a bien compris, n'est pour moi que la deuxième partie du travail, la première consistant à mûrir longuement toute l'histoire. Et cette première phase de création peut s'étaler, on l'a vu, sur des années, elle se nourrit de toute la vie, de l'expérience humaine et littéraire du créateur. Cela n'est pas quantifiable.
L'écriture d'un roman comme
Ecoland, par exemple, s'est étalée sur près de vingt ans, de 1984 à 2003, et j'en ai rédigé six versions différentes ! Un autre récit — plus court, il est vrai, une vingtaine de pages —
Les exilés du Fleuve, m'a demandé trois heures d'écriture... puis, dans un second temps, trois ou quatre jours d'ajustements successifs. Ces deux exemples montrent deux extrêmes du « temps mis pour écrire » et de la difficulté à l'estimer, c'est si variable d'un texte à l'autre !
Mais habituellement, quand je monte un matin dans mon bureau pour me lancer dans l'écriture d'un roman, je sais que va commencer un long travail de rédaction : un, deux, trois mois pendant lesquels je vais, chaque jour, rédiger mon texte. Je me lève alors très tôt, surtout l'été. Je monte dans mon bureau et j'écris pendant six, huit, dix heures. Je ne m'interromps qu'à deux ou trois reprises : à dix heures et demie pour lire le courrier, à treize ou quatorze heures pour boire un café...
C'est Annette, ma femme, qui m'interrompt souvent vers quinze ou seize heures pour me demander combien de temps je pense encore écrire. Je lui dis : un quart d'heure. Elle traduit : une bonne demi-heure. Et quand je descends, nous déjeunons. Il est parfois très tard mais je sais que si je m'interromps à midi, j'aurai du mal à me remettre au travail. Cela m'arrive, pourtant. En ce cas, j'essaie de déjeuner rapidement et légèrement. Je fais une brève sieste de dix minutes ou un quart d'heure ( j'ai de la chance, je suis capable de dormir quasiment sur commande et de programmer mon réveil ). Et je suis à nouveau dans mon bureau à 14 heures. Mais là, je n'en décollerai plus jusqu'au soir — 19 ou 20 heures.
Cela dit, il m'arrive de descendre à treize heures et de décider que ma journée est finie, parce que j'ai bouclé un chapitre ou que je suis fatigué par une lourde matinée.