Christian Grenier, auteur jeunesse
Recherche
   
Cliquer pour lire les questions précédentes 

Ses méthodes d’écriture
Page 7 / 9
 Cliquer pour lire les questions suivantes



     Autrefois, je pouvais écrire n'importe où, dans des conditions parfois acrobatiques. J'ai ainsi rédigé Les cascadeurs du temps en 1975 tour à tour à la campagne, sur une terrasse, dans un train, en classe pendant que mes élèves rédigeaient leurs propres romans...
     Ajourd'hui, c'est très différent !
     D'abord, je dois avoir devant moi une longue période de plusieurs semaines sans contraintes : pas de déplacement, de visites, de voyages, de salons du livre... J'aime avoir une perspective de liberté, je supporterais mal d'entreprendre un roman en sachant que je vais devoir en interrompre l'écriture dans quinze jours.
     Ensuite, je dois être en bonne condition physique et morale, c'est capital. Si je manque de dynamisme, si je suis fatigué, si j'ai des soucis ou des problèmes en cours à régler, inutile de me mettre au travail, ce que je ferai ne vaudra rien.
     Enfin, quand j'écris, j'aime ne pas être dérangé ou interrompu ; je monte dans mon bureau chaque jour et je m'immerge dans mon récit. Si le téléphone sonne, Annette répond et, sauf urgence, règle le problème ou demande à l'interlocuteur de rappeler en fin d'après-midi. Si l'on sonne à la porte, Annette essaie d'expliquer au visiteur que je travaille et qu'on ne peut pas me déranger. Ce n'est pas toujours si simple : dans mon village, aux yeux de beaucoup de gens, je ne travaille pas vraiment : j'écris. Je peux donc être interrompu, ce n'est pas grave, je me remettrai à écrire quand ils seront repartis.



     Non, j'ai besoin de silence.
     Cela dit, mon bureau n'a pas de porte, on y accède directement par un escalier. Aussi, il arrive souvent à Annette de monter, d'aller chercher un livre ou un document. Elle sait qu'elle peut me parler, me poser une question — mais ça ne porte pas à conséquence, c'est rapide et cela ne me déconcentre pas.
     En revanche, un coup de fil ( si j'ai l'imprudence de répondre ) peut me déstabiliser pour la journée : mon interlocuteur me demande si je peux me déplacer dans tel collège, il m'explique parfois longuement le travail qu'il a entrepris avec ses élèves, il me faut consulter mon agenda, prendre des notes, songer que je devrai lui faire un courrier, lui envoyer tel ou tel document... et en général, durant la conversation, j'ai un avis d'appel — en fait, répondre une fois au téléphone entraîne souvent une réaction en chaîne incontrôlable, et se remettre à écrire ensuite est pour moi difficile, mon esprit est occupé ailleurs !



     Le passage à l'écriture, justement, ce moment magique qui consiste à tenter de traduire en mots ce qui jusque là était de l'inexprimé. C'est le plus difficile, le plus délicat mais le plus passionnant. Là, on comprend soudain qu'on détient un pouvoir fabuleux, qu'on est en mesure d'entraîner l'esprit, le cœur et l'imaginaire du lecteur où l'on veut. Modifier un mot, une tournure, enlever ou ajouter une phrase, c'est orienter le récit — donc la préhension du lecteur, l'éclairage du texte. Cette phase d'écriture, de “ mise en mots ” relève aussi de la mise en scène théâtrale. Le décor, le texte, les personnages sont là ( dans ma tête ) mais il faut soudain leur donner vie, les mettre en mouvement, indiquer les intonations, les silences, les déplacements.
     Pendant un “ atelier d'écriture ”, le moment de plus difficile pour les néophytes est également celui-là : passer à la rédaction proprement dite. Mais c'est aussi, pour l'écrivain chevronné, l'instant décisif et magique, celui qui requiert de sa part le plus d'attention, d'efforts, d'inventivité. Croire qu'un écrivain rédige comme il respire serait une erreur. C'est un moment exaltant mais une mise en danger, une corde raide soudain tendue sous ses pas. Face aux mots qui vont jaillir parce que je vais les écrire, je suis saisi de la même exaltation et du même trac que l'acteur qui entre en scène. Avec une différence gigantesque : le public n'est pas encore là, je vais pouvoir répéter, reprendre, modifier le texte et le ton autant que je le voudrai.



     Quand j'écris, je possède la structure de mon récit. Il m'arrive même souvent, avant d'écrire le premier mot, d'avoir en tête sinon la dernière phrase du moins la “ situation finale ”.
     Un récit, c'est toujours une tranche de vie, un choix dans une ou plusieurs existences. Il n'y a guère que les textes fondateurs ( comme la Bible ) qui commencent... par la création du monde ! Il faut donc admettre que lorsque l'histoire commence, les personnages du récit sont déjà nés, le problème est de présenter de façon discrète, rapide et efficace la situation dans laquelle ils se trouvent et le problème auquel ils sont confrontés.
     Ma façon de concevoir un récit a sans doute un rapport étroit avec le théâtre classique : si je prends de grandes libertés avec l'unité de lieu et de temps, je crois l'unité d'action fondamentale. Si bien qu'une fois le problème posé dès l'introduction, je juge qu'il faut conclure peu après qu'il a été résolu, même si je laisse souvent le lecteur sur sa faim.



     Soit : Virus LIV 3 ou la mort des livres. A quoi bon raconter l'enfance d'Allis ? Le roman commence le jour où se pose le problème des livres qui commencent à mourir, rien de plus simple. Et le récit s'achève non pas quand on a mis au point un antidote, mais lorsque le complot contre Allis est découvert et que les Zappeurs sont enfin admis à l'Académie.
     A mes yeux, c'était là l'essentiel : ouvrir une brèche dans cette tyrannie déguisée, introduire la notion de tolérance chez les Lettrés. Je n'ai alors aucun scrupule à abandonner Allis et le fils d'Emma. A quoi bon préciser, comme dans les contes, qu'ils se marient, vivent heureux et ont beaucoup d'enfants ? Après tout, écrire ce roman m'a demandé un gros travail ; et j'invite le lecteur à travailler un peu à son tour, à réfléchir — et à imaginer la suite, ou à lui offrir un tremplin susceptible de le faire rêver... ou s'interroger.

Cliquer pour lire les questions précédentes Page précédente   Page suivante  Cliquer pour lire les questions suivantes

Dernière mise à jour du site le 12 octobre 2021
Adresse postale : Christian Grenier, BP 7, 24130 Le Fleix