Christian Grenier, auteur jeunesse
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Pierre et Jeanne – un roman à deux voix

( La Fille de troisième B + Le pianiste sans visage )



Editeur : Rageot - Collection : Magnum  (2003)
 
     REEDITION
     Se reporter aux romans Le Pianiste sans visage & La fille de 3ème B ( 1995/2003 ) puisqu'il s'agit de la réédition en un seul volume de ces deux « journaux intimes croisés ».
     Attention : cette version comporte une postface dans laquelle j'explique longuement la genèse de ce roman et mes intentions. Ce volume comporte de légères modifications par rapport aux éditions originales.

     A L'ORIGINE DE CET OUVRAGE ?...
     J'avais très envie d'écrire une histoire en stéréophonie. C'est à dire à deux mains. Pour lui donner un nouveau relief. Bien sûr, au coeur de cette histoire, il y aurait la musique. Et deux voix solistes. Deux voix indépendantes qui, sans le savoir, participeraient au même concert.
     Les deux journaux intimes de ces adolescents se croisent, se répondent, et traitent parfois du même événement. Pourtant, les faits qu'ils relatent sont toujours très différents, même quand chacun raconte de son côté un moment exceptionnel que les protagonistes ont vécu ensemble
     Une histoire, c'est un seul point de vue. Celui de l'auteur. Et moi, je voulais montrer qu'une histoire, ce n'est jamais simple. Qu'il y a peut-être autant d'événements que d'individus. Je voulais illustrer le relief particulier que prend le même souvenir relaté par deux personnes différentes.
     On s'est étonné que j'aie donné pour titre Le pianiste sans visage au journal de Jeanne et La fille de 3ème B au journal de Pierre. Mais toute l'année scolaire de Jeanne tourne autour de deux centres d'intérêt : d'abord ce mystérieux pianiste, ce jeune prodige qui lui a fait découvrir la musique et dont elle est tombée amoureuse ; et ensuite Pierre, son camarade de lycée trop discret qui lui prête des disques et qui l'aime en secret. Quant à Pierre, ce personnage double et ambigu, il n'a qu'un objectif : faire comprendre à Jeanne combien il l'aime. Et tous les moyens lui sont bons : la séduction, la tricherie, le mensonge. Et bien sûr, la musique, qui est son seul vrai moyen d'expression.

     En écrivant ces deux romans, je passais de jour en jour d'un personnage à l'autre. Je donnais tour à tour la parole à Pierre ou à Jeanne, tout en veillant à garder ma place de chef d'orchestre. C'est sans doute l'un des grands prodiges de l'écriture que celui qui permet à un écrivain de cinquante ou soixante ans de se mettre dans la tête d'une jeune fille qui en a quinze. Je ne sais pas si j'y suis parvenu. Je n'ai pas écrit ce livre pour des lecteurs de quinze ans. Ni pour des jeunes filles. Ni pour des amateurs de musique.
     Je l'ai écrit pour retrouver l'écho de mes émois d'adolescent. L'écho de mes deux grandes passions, qui ne se sont pas éteintes : la jeune fille que j'aimais et la musique.

 
UN EXTRAIT DU TEXTE  ( Pierre et Jeanne – un roman à deux voix )
          Je venais de m'asseoir sur mon banc quand un vieux clochard est arrivé. Non : pas si vieux que ça après tout. Quand on est pauvre ou au chômage, on fait toujours plus vieux que son âge. Il portait un pardessus élimé grand comme des ailes de vampire et de grosses chaussures de clown. Il m'a réclamé une pièce et je la lui ai donnée, bien sûr. Puis il s'est assis sur le banc qui était en face du mien.
          Je ne rédigeais pas mon journal. J'étais en train de transpirer sur ce fameux exposé que je dois présenter vendredi prochain. J'ai choisi Schubert, c'est mon musicien préféré. Mais bientôt, je me suis levé. A cause de l'odeur. Ce pauvre bougre puait tellement que les pigeons eux-mêmes l'évitaient.
          Alors, une fille est arrivée. Quinze ans, blonde, propre — et souriante comme une publicité. Elle respirait le bonheur, la santé. Il y a comme ça, dans la vie, des filles extraordinaires qui passent — et vous savez qu'elles ne s'arrêteront pas. On croirait qu'elles se déplacent sur un écran de cinéma : on peut les regarder, les entendre. Mais inutile d'essayer de communiquer, elles font partie d'une autre dimension, d'un univers tabou et fermé.
          Pourtant, c'était sûrement une élève de mon lycée.
          Pas gêné, mon SDF l'a apostrophée pour lui réclamer de l'argent. Alors elle s'est arrêtée pour fouiller dans son sac. Elle a sorti son porte-monnaie. Mais quand elle l'a ouvert, son sourire s'est fermé. Je ne sais pas ce qu'elle a dit au bonhomme, mais je suppose qu'elle a oublié de respirer, sinon elle aurait filé tout de suite. Et puis j'ai entendu le type lui murmurer :
           Bah, ça ne fait rien, ma p't'ite dame. Y a qu'l'intention qui compte, comme on dit ! Moi, quand j'demande une pièce, c'est surtout histoire de causer un peu...
          Aussitôt, elle a paru rassurée. Là, je me suis rendu compte qu'elle était vraiment jolie : on paraît toujours plus beau, je crois, quand on est heureux. Et justement, elle s'était remise à sourire. Elle s'est assise sur le banc, a fouillé dans son sac. Elle a sorti une boîte de biscuits avec l'air de quelqu'un qui a gagné au loto. Elle semblait plus contente que l'homme. A voir sa tête, je pense qu'il aurait préféré un sandwich avec un verre de vin.
          Mais elle a fait comme si de rien n'était. Elle a grignoté ses biscuits avec lui, en papotant ; en somme, ils faisaient salon. Le SDF s'est déridé. A un moment donné, ils ont ri. Et moi, je les observais avec un grand vide dans le ventre. Comme si j'avais eu faim, moi aussi.
          Je crois que j'ai dû ricaner — à l'intérieur, bien sûr. Fallait-il qu'elle soit timbrée, cette fille-là, pour préférer discuter avec lui plutôt qu'avec moi. Mais au fond, tout au fond cette fois, je savais qu'elle avait raison. Je crois que le courage, c'est ça : faire ce qu'on sait vrai et juste, en se moquant du regard des autres et du qu'en dira-t-on.
          Enfin, elle s'est levée, s'est éloignée. Je l'ai suivie des yeux jusqu'au bout. Jusqu'à ce qu'elle traverse l'allée au niveau de la vieille fontaine Wallace, et s'engage dans l'une des ruelles perpendiculaires au boulevard des Batignolles.
          Je me sentais seul, ridicule. Très digne, le SDF a fourré dans sa poche ce qui restait de la boîte de biscuits ; puis il s'est allongé sur son banc et il s'est endormi. Après ça, comment parler de Schubert ? Schubert a mal vécu et il est mort dans la misère. Il était laid et pauvre en amour. Moi, j'étais avec mon Schubert comme cette fille avec son SDF : j'apportais à ce musicien de l'intérêt, du réconfort — mais deux cents ans après sa mort. C'est tellement plus facile d'aimer les gens à distance.
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Dernière mise à jour du site le 12 octobre 2021
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