Christian Grenier, auteur jeunesse
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Le pianiste sans visage

( Jeanne et Pierre )



Editeur : Rageot - Collection : Métis  (2003)
 
     CONSEIL

     RESUME :
     Jeanne et Pierre sont deux journaux intimes d'adolescents. Dans le sien, Pierre révèle qu'il aime en secret La fille de Troisième B ; comment attirer son attention, gagner son coeur ? Jeanne, elle, confie une découverte : son père, mort depuis dix ans, était sans doute un grand compositeur ! Elle voudrait le faire revivre à l'aide des partitions qu'elle a récemment retrouvées et que nul n'a interprétées. Le pianiste sans visage accepterait-il cette mission ? Hélas, ce jeune et séduisant virtuose qui fait depuis peu la une de tous les médias se laisse difficilement approcher !

     A L'ORIGINE DE CET OUVRAGE ?...
     Le sujet de ces deux histoires croisées est né le 11 juin 1994, lors d'un déjeuner dans un restaurant de l'île d'Oléron où Yves Pinguilly et moi avions été invités à l'occasion du Salon du Livre de St Pierre. Entre Yves et moi, la conversation avait glissé de la littérature à la musique.
     — Pourquoi n'évoques-tu jamais la musique classique dans tes romans ? me lança soudain Yves. Tu la connais si bien ! Et tu en parles avec tant de passion !
     — Je ne sais pas... Peut-être parce que mes livres, comme les tiens, s'adressent aux jeunes. Et la musique classique les concerne peu.
     Cependant, l'idée fit son chemin. J'avais très envie de quitter l'univers de la SF ou du polar pour explorer des genres littéraires différents, où les sentiments l'auraient emporté sur la structure narrative et l'action.
     J'hésitais entre deux sujets. Une première histoire, quasi autobiographique, aurait suivi le parcours d'une fille découvrant la musique classique grâce à un concert ou à des disques. Une seconde aurait raconté le destin d'un élève du Conservatoire devenant un soliste reconnu. Mais pour le premier récit comme pour le second, le scénario faisait défaut. C'est en mêlant ces deux sujets que l'intrigue s'est nouée. Car c'était bien d'un noeud qu'il s'agissait. Et de deux trames !

     LE MAKING OFF...
     Aussitôt se sont imposés à moi une évidence et un défi. L'évidence, c'était le journal intime. Seul ce procédé narratif me permettrait de faire vivre de l'intérieur les émotions musicales de mes protagonistes : l'un, spectateur, qui découvrirait la musique en se laissant bercer, imprégner, conduire... l'autre, acteur, qui se servirait d'elle comme un langage — mieux : un moyen de séduire ! Le défi, lui, était d'ordre littéraire : chacun de ces récits serait indépendant. Le lecteur pourrait lire une seule de ces deux histoires en ignorant qu'il en existait une autre. Le second journal intime ne constituerait pas une suite mais une autre version, une autre vision de cette année scolaire vécue très différemment par chacun des héros.
     Dès lors je conçus ce récit stéréophonique en semant dans chacune des histoires de multiples indices isolés ou croisés. Ainsi, l'épisode du banc ne figure pas dans le journal intime de Jeanne : pourquoi noterait-elle qu'elle a discuté un quart d'heure avec un SDF ? En revanche, cette scène, pour Pierre, est essentielle puisqu'il tombe amoureux à ce moment-là ! Il a tort de déplorer que Jeanne ait choisi de s'asseoir à côté du clochard plutôt qu'à côté de lui : si elle ne l'avait pas fait, comment aurait-il apprécié cette fille plus attentive à un déshérité qu'à un garçon de son âge ? De même, la mort du père de Jeanne, sujet tabou chez les Lefleix, est relatée... dans le journal de Pierre, qui rapporte les confidences de Jeanne, au café, un soir d'hiver.
     En revanche, le lecteur attentif peut, en superposant les informations livrées dans les deux récits, comprendre des faits qui échappent aux héros ! Par exemple, ce n'est pas un hasard si Jeanne ( le 2 octobre ) accuse Mme Lefleix d'avoir vendu le piano de son mari et si Pierre ( le 6 janvier ) se félicite que son père ait acheté un Bösendorfer dix ans auparavant : en effet, c'est le même instrument : Pierre joue sur le piano du père de Jeanne ! Jeanne, sa mère et Mme Dhérault croient d'ailleurs à plusieurs reprises reconnaître son timbre particulier.
     A propos, pourquoi justement « Jeanne » et « Pierre » ? Je voulais des prénoms simples, évidents, bibliques. Peut-être ai-je été influencé malgré moi par le Pierre et Jean de Maupassant ?
     ***
     Ecrire ces deux récits m'a occupé pendant sept mois.
     J'ai eu l'imprudence d'en commencer la rédaction en août 1994, dans un petit studio où je ne disposais d'aucun disque ni même de la radio. C'est en faisant appel à ma mémoire que j'ai reconstitué les morceaux de tous les concerts — même si je me suis empressé, dès mon retour, d'en vérifier la ligne mélodique et les nuances ! Je travaillais alors avec le calendrier scolaire ( 1994/95 ) face à moi pour ne commettre aucun impair et suivre en parallèle les péripéties de Pierre et Jeanne. Après avoir écrit une dizaine de pages du Pianiste sans visage ( le concert du 1er octobre ), j'ai commencé La Fille de 3ème B. allant désormais sans cesse d'un récit à l'autre.
     ***
     Souvent, les lecteurs me demandent :
     — Cette histoire est-elle vraie ? L'avez-vous vécue ?
     La réponse est toujours ambiguë et la réalité nuancée : un écrivain se nourrit de la réalité qu'il transforme. Un récit autobiographique ou historique n'est jamais strictement fidèle aux faits. De même, une fiction totale et échevelée possède des racines secrètes, enfouies dans le vécu de son auteur.
     Pierre et Jeanne relève totalement de la fiction : je ne suis pas Pierre puisque mes parents n'étaient pas musiciens et que je n'ai jamais été pianiste ! Je ne peux pas non plus être Jeanne ; je n'ai pas perdu mon père à l'âge de cinq ans, ma mère n'était pas enseignante. Et pourtant...
     Pourtant, j'habitais le même quartier que Pierre et Jeanne ; comme eux, j'ai été élève à Chaptal — mais avant 1960, à l'époque où ce lycée n'accueillait que des garçons ! La rencontre de Pierre et Jeanne sur fond musical est donc imaginaire.
     Pourtant, à seize ans, j'étais, comme Pierre, amoureux en secret d'une jeune fille ; elle n'imaginait pas que je l'aimais et je n'osais lui révéler mes sentiments. Comme Pierre, chaque soir, en quittant Chaptal, je m'asseyais sur ce fameux banc, à vingt mètres du métro Rome pour écrire. J'apprenais moi aussi le piano — mais j'en jouais très mal et même s'il m'arrivait de composer, je n'avais pas l'ambition de devenir pianiste !
     Comme Jeanne, j'ai découvert la musique d'un coup — mais grâce à un disque que le professeur me fit écouter en Sixième. Par la suite, il me confia chaque année une carte qui me permettait d'assister, le dimanche après-midi, à la répétition générale des Concerts Fernand Oubradous. C'était un enchantement car je n'avais pas d'électrophone, et les disques coûtaient bien cher !
     Plus tard, devenu enseignant, j'eus la chance ( grâce à un collègue qui le connaissait ) de me rendre chez Aldo Ciccolini ; Amado Riccorini est son double à peine déguisé.
     L'Allemagne a tenu une grande place dans ma vie, professionnelle ( je parle l'allemand, je l'ai enseigné un temps ) et affective : l'oncle de ma femme est allemand, et sa femme ressemble beaucoup à... Grete Lefleix !
     Les concerts évoqués par mes personnages, j'y ai moi-même assisté, par exemple celui d'Alexandre Lagoya, à Cogolin, un inoubliable soir d'été. Ou celui au cours duquel, à la Maison de la radio, fut donné un extraordinaire Sacre du Printemps.
     ***
     Certains lecteurs me demandent pourquoi j'ai écrit « deux fois la même histoire ». Or, ces deux destins sont différents, même s'ils finissent par se croiser. Pierre vit dans un milieu musical, Jeanne dans un monde constitué de femmes et d'enseignants. Les deux héros ont des objectifs différents — il suffit pour s'en rendre compte de résumer les deux récits ! Certes, il leur arrive de vivre une scène identique ( une rencontre, une heure de cours, un concert.. ) mais chacun, quand il juge utile de la relater, le fait à sa manière, trahissant ainsi ses choix, ses jugements, ses espoirs.
     Des lectrices s'étonnent que j'aie voulu ( et pu ? ) me mettre « dans la peau d'une fille de quinze ans ». Il le fallait bien ! Ce ne fut pas si compliqué : j'ai longtemps enseigné à des adolescents. Ma fille a eu quinze ans — et je m'en souviens. Pour rendre vraisemblables les paroles et les actions de leurs personnages, les écrivains doivent endosser des rôles multiples : enfants, souverains, criminels... Le plus étonnant, c'est que rédiger le journal de Jeanne m'a posé moins de problème que d'écrire celui de Pierre ! En effet, une fois les romans achevés, je me suis aperçu en les relisant que le style, enthousiaste et naïf, était identique. Problème : Pierre faisait preuve d'une maîtrise littéraire inexplicable ! Il prétendait parler peu et mal, ne savoir s'exprimer qu'en musique. Il me fallut donc revoir ma copie. Comme ce fut difficile d'écrire de façon faussement maladroite ! Hésitations, comparaisons et métaphores devaient témoigner de naïvetés grossières... mais rester littéraires. Bref, elles devaient illustrer ce que Pierre résume par la formule : quand je suis au piano, je ne cherche jamais mes mots, c'est surtout quand je parle que je fais des fausses notes.
     Il y eut plusieurs réécritures de La fille de 3ème B. Trois longs mois pendant lesquels je m'efforçai, comme le dit Chopin, dans un dernier effort, d'effacer jusqu'à la trace de l'effort.
     ***
     On peut reprocher à Pierre et Jeanne la renommée brutale d'un jeune pianiste, le hasard de certaines rencontres et une fin heureuse. A ces griefs, j'aimerais répondre que dans l'histoire de la musique, les solistes prodiges révélés à seize ans sont légion ! Pour exceptionnel qu'il soit, le destin de Paul Niemand n'est donc pas invraisemblable. Quant aux rencontres et aux hasards, la vie en est remplie. Et à ceux qui déplorent qu'une histoire d'amour finisse bien, j'affirme : c'est possible, j'en témoigne.
     Il me reste à espérer qu'ils ont pris plaisir à lire celle-ci, en attendant qu'ils en vivent une autre : la leur.

 
UN EXTRAIT DU TEXTE  ( Le pianiste sans visage )
          Il plaça un disque noir sur la platine et disparut dans la cuisine. Soudain, le son puissant d'un trombone éclata dans la pièce, égrenant un long thème solennel. Bientôt, l'orchestre tout entier vint ponctuer ce thème d'accords graves et puissants, allant crescendo. Puis le thème s'éteignit, pour laisser le relais à une sorte de marche funèbre terriblement inquiétante, où les trompettes, parfois, surgissaient comme autant d'avertissements divins.
          C'était superbe et grandiose.
          Grâce à la qualité des appareils, l'orchestre me paraissait aussi proche que si j'avais été dans une salle de concert. Et cette musique inconnue me faisait passer des frissons dans le dos. Pierre surgit :
           Tu aimes ?
           Oui. C'est extraordinaire ! Qu'est-ce que c'est ?
           Gustav Mahler. Sa troisième symphonie. On marche ou on ne marche pas. Mais quand on y est sensible, on entre dans un autre univers, n'est-ce pas ?
          C'était vrai. Aujourd'hui encore, quand il m'arrive d'entendre le début de cette symphonie, je ressens la même émotion que celle qui m'empoigna cet après-midi-là.
          Pierre refusa de me faire entendre le second mouvement :
           Je te laisse sur ta faim. C'est mieux. L'orchestre, c'est autre chose que le piano, n'est-ce pas ?
          Pierre vint s'asseoir sur le canapé à côté de moi.
           Eh bien ce que tu as entendu n'est rien à côté de la réalité. Jusqu'ici, tu n'as assisté qu'à des récitals de piano, n'est-ce pas ? Jamais à un vrai concert, avec un orchestre symphonique ?
           Non.
           J'aimerais te faire découvrir ça. J'aimerais...
          Pierre butait sur les mots, les tournait sept fois dans sa bouche. J'aurais voulu lui venir en aide, déchirer cette carapace qui cachait le sens de ses phrases. Car je sentais que c'était tout autre chose qui le tourmentait.
           Je voudrais que tu me laisses le privilège de te faire entendre un véritable orchestre... Tu acceptes ?
          J'acquiesçai sans comprendre. Il ne me regardait pas ; il me parlait presque mécaniquement, comme pour masquer ce que sa proposition comportait de délicatesse.
           J'ai deux places de concert pour samedi prochain. Le programme permettrait de te familiariser avec la musique contemporaine. Je crois que ça pourrait te plaire. Du moins t'intéresser.
          J'aurais juré qu'il avait préparé ce petit discours. Il me le débitait comme une leçon bien apprise.
           Si tu ne peux pas venir, c'est sans importance, l'occasion se représentera. Mais je voudrais être avec toi quand tu iras pour la première fois assister à un concert symphonique... Voilà !
          Il était en train de se battre avec un paquet de biscuits qu'il ne parvenait pas à ouvrir. Je saisis sa main et immobilisai son geste ; je n'avais pas faim. J'étais très émue et je ne savais pas comment le lui dire. Enfin, il leva vers moi un regard triste et penaud pour bredouiller :
           J'aimerais me faire pardonner ma maladresse de l'autre jour... J'ai l'impression que nous nous sommes ratés. Je ne voudrais plus que ça se reproduise. Tu pourrais, samedi prochain ?...
          Je n'avais pas lâché sa main.
           Oui. Je te remercie. Je suis ravie.
           Le concert a lieu dans cette fameuse Maison de la Radio où ton père a travaillé. Au studio 104. J'ai pensé que...
          Il se tut, embarrassé autant par ma stupéfaction que par ma main sur la sienne.
           Tu as eu raison. C'est très gentil.
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