L’Impossible Mlle Muche

     A L'ORIGINE DE CET OUVRAGE ?...

     L'idée m'en est venue sur le bateau qui nous rapatriait, Annette et moi, de Belle-Ile à Quiberon, un jour de printemps 1996 ! Je venais d'assurer là-bas, au Domaine de Bruté, un atelier d'écriture avec une classe — une sorte de marathon d'une semaine à l'issue de laquelle, par contrat, devait être bouclé par les enfants — des CM 2 — un petit roman !

     — Je vais écrire un roman sur ce sujet, ai-je dit à Annette alors que nous étions en mer.

     — Sur quel sujet ? Le sujet qu'ont utilisé les enfants ?

     — Bien sûr que non !

     Jamais je n'utilise pour mes romans les thèmes des enfants qui, le plus souvent, me paraissent, euh... un peu trop simplistes !

     — Non. Je vais écrire l'histoire d'une classe qui vient écrire un roman à Belle-Ile.

     — Et tu en possèdes le sujet ?

     — Oui. Pour l'essentiel. Ce serait une mystification. Une mise en abyme.

     — Et tu as le titre ?

     — Oui. Le jeune héros narrateur s'appellera Abel, le roman pourrait s'intituler Abel à Belle Ile.

     LE MAKING OFF...

     Bien entendu, l'écriture du roman ne fut ni immédiate, ni simple...

     Une fois encore, ce récit est un mélange de réalité et de fiction. Car si Abel n'existe pas, si l'histoire est imaginaire, tout le reste est strictement conforme à la réalité. Le domaine de Bruté existe, ainsi que l'organisme qui sollicite la participation d'auteurs chargés d'animer des « classes-écriture » dans les mêmes conditions que celles que je décris dans mon récit.

     Le moment le plus délicat, pour l'écrivain mis soudain face à la classe, est celui qui consiste à décider et à oraliser le projet avec les jeunes : quelle histoire allons-nous raconter ? Et comment allons-nous procéder ? Aussi, au-delà d'une intrigue policière que je voulais à la fois serrée mais dépourvue de sang, je souhaitais donner un aperçu des multiples problèmes auxquels se trouve confronté un écrivain, qu'il s'agisse d'un vieux routier ou d'un débutant. En même temps, je souhaitais installer une mise en abyme destinée à faire s'interroger le jeune lecteur : en fait, qui écrit cette histoire ? L'auteur Christian Grenier, l'auteur Dan Pacal, Abel — après tout, le récit est rédigé à la première personne — ou bien un collectif, la classe d'Abel ? Le récit a-t-il été écrit d'un coup ou a-t-il subi des remaniements, en fonction à la fois des événements mais aussi des propositions de corrections de l'auteur, de l'institutrice, de l'inspectrice ?

     Je voulais enfin, au cours de la mystification finale, montrer que le lecteur avait toujours eu en main les éléments de la résolution de l'énigme. Une énigme dont la clé, dès le départ, est la faculté que doit posséder un auteur de maîtriser tous les personnages de son récit.

     Le titre, on le voit, a changé. J'ai fait de multiples propositions, et Chloé Moncomble, la responsable de Milan Poche, a elle aussi beaucoup cherché un titre qui permettrait de montrer que ce récit est à la fois un policier, un roman humoristique, une quête, une histoire d'écrivain... Ah, il est souvent plus facile d'écrire un bon roman que de trouver un bon titre !

UN EXTRAIT DU TEXTE  ( L’Impossible Mlle Muche )

          Il y a deux mois, Isa nous a déclaré :

          — En juin, nous allons partir en voyage.

          — Où ça ? a demandé mon copain Eric.

          — Nous passerons une semaine dans un grand domaine, Bruté, à Belle-Ile-en-mer !

          Dans la classe, il y a eu des cris de joie.

          — C'est loin, Belle-Ile-en mer ?

          — Oui. C'est en Bretagne. Nous prendrons le train et le bateau.

          Dans la classe, il y a eu des cris d'allégresse.

          — Attention : ce ne seront pas vraiment des vacances...

          Dans la classe, il y a eu un silence déçu.

          Se trouver sur une île sans être en vacances, c'est dur à imaginer.

          — L'après-midi, a précisé Isa, vous ferez des promenades à cheval, des ballades sur la plage, vous irez à la pêche à pied.

          — C'est quoi, la pêche à pied ? a demandé Eric.

          Isa n'a pas répondu. Elle ne répond pas toujours aux questions d'Eric. Parfois, à bout d'arguments, elle réplique : « C'est comme ça ! ». Alors, sans se formaliser, Eric passe à la question suivante.

          — Et le matin, qu'est-ce qu'on fera ?

          — Le matin, vous écrirez un roman !

          Dans la classe, il y a eu des cris d'étonnement.

          — Un roman ? Un vrai ? Un livre ?

          — Oui. Un écrivain vous aidera.

          Là, j'ai eu quelques doutes. Eric aussi :

          — Un écrivain ? Un vrai ? Qui ça ?

          — Il s'appelle Dan Pakal.

          Ce nom ne nous disait rien du tout.

          Je ne connais que deux sortes d'écrivains : ceux qui sont morts et ceux qui passent à la télévision. Dan Pakal faisait donc partie d'une troisième catégorie : celle des écrivains qui ne sont ni morts ni célèbres, et qui écrivent des romans à Belle-Ile avec des enfants.

          — On n'écrit pas un roman en une semaine, protesta Julie.

          Son intervention a jeté un froid.

          Julie, c'est la peste de la classe. Elle ne pose jamais de questions mais elle n'est jamais d'accord avec la maîtresse.

          — Mais si Julie, c'est possible, je t'assure ! lui a chuchoté Malika, sa voisine. Nous en avons écrit un l'an dernier !

          Malika est petite, brune, et jolie comme une affiche de cinéma. Elle double son cours moyen parce qu'elle a été malade. Malika est très utile en cas de problème ou de conflit. Surtout si c'est un problème de math ou un conflit avec Julie, sa copine.

          — Oh, ce sera un petit roman puisque nous ne passerons qu'une semaine là-bas.

          — Pourquoi une semaine et pas deux ? a encore demandé Eric.

          — Parce que c'est comme ça ! a répliqué Isa.