EXTRAIT 1 ( De l'enfance de l'art à l'art de l'enfance )
Tous les enseignants se souviennent du moment critique où ils font face à une classe pour la première fois de leur vie. Ils peuvent imaginer mon angoisse, à vingt et un ans, à me retrouver devant quarante filles. Longtemps, j'avais espéré ce moment mais ce public était inattendu. Or je savais le premier contact décisif : pour ne pas se laisser déborder, il fallait se montrer sec, autoritaire, sûr de soi et, au moindre écart, réagir avec l'étonnement blasé d'un vieux briscard.
L'occasion s'en présenta rapidement (...)
EXTRAIT 2 ( Dans les coulisses de l'écriture )
Le quotidien est une source d'inspiration permanente. Quand on écrit, être attentif aux moindres petits événements de la vie courante relève vite de l'instinct. De même qu'un photographe ou un peintre découvre sans cesse un sujet ( scène, visage ou paysage ) où le promeneur ordinaire n'aurait pas levé les yeux, un écrivain se nourrit d'informations qu'il engrange pour — qui sait ? — les exploiter plus tard. J'utilise souvent une métaphore potagère, suggérant que l'esprit d'un auteur est semblable à un jardin : il y pousse des herbes folles, et des graines que l'écrivain prend soin de cultiver. Certaines germent, mais beaucoup ne donneront jamais rien. L'auteur s'attache bientôt à une plante particulière à laquelle il apporte tous ses soins. Parfois, elle grandit vite. D'autres fois, il lui faut des années pour parvenir à maturité, après de longues périodes où elle a tantôt fleuri, tantôt connu de longues périodes de léthargie.
EXTRAIT 3 ( auteur jeunesse ou « moteur jeunesse » ? )
Au-delà d'une écriture, la littérature raconte et témoigne. Ce faisant, elle livre l'état du monde, ce qui n'exclut pas le regard en arrière, la nostalgie ou l'évocation de l'enfance. Se réfugier en soi ou dans le passé peut être le moyen de montrer que le futur inquiète et le présent déçoit !
Mais témoigner, c'est aussi dénoncer, inviter à réfléchir, à réagir... voire à réagir. Aussi, la vraie littérature, au sens propre, dérange. Elle a cette fonction critique que prônait déjà Socrate. Le philosophe voyait dans l'Etat « un noble coursier que sa taille et sa lourdeur rendent indolent » et il jugeait être l'indispensable mouche qui, en le piquant, ne cessait de l'exciter. La littérature pourrait bien avoir cette fonction à la fois dérangeante et stimulante.
Dénoncer l'état des choses, inviter à la réflexion mais aussi à l'action, voire à la révolte... est-ce compatible avec ce que l'on peut proposer à des lecteurs peu armés ? Sans aucun doute. La capacité de s'étonner et de s'indigner s'émousse souvent avec l'âge. Et la littérature jeunesse est sans doute l'une des rares à cultiver la naïveté et la générosité dont l'enfance et l'adolescence sont porteuses !
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