Christian Grenier, auteur jeunesse
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( Une enquête de Logicielle - 4 )



Editeur : Rageot - Collection : Cascade policier  (2003)
 


Le Making Off

     Après avoir publié successivement Coups de théâtre, L'Ordinatueur et Arrêtez la musique, j'étais frappé par plusieurs évidences :
     1/ Logicielle était devenue l'héroïne récurrente d'une série policière.
     2/ Sur les trois enquêtes qu'elle avait menées, seul le roman L'Ordinatueur évoquait le monde de l'informatique.
     3/ Si mon héroïne avait une nouvelle enquête à mener, il était indispensable qu'elle se trouve à nouveau confrontée à un problème lié à sa spécialité.

     Pourquoi enquêter sur le meurtre de Cyrano de Bergerac ?
     Depuis l'adolescence, le personnage de Cyrano me fascine.
     Ce vif intérêt est sans doute né de la pièce d'Edmond Rostand, un spectacle auquel j'ai assisté vingt ou trente fois, au début des années soixante, à l'époque où mon père était régisseur à la Comédie Française. C'était lui, en effet, qui « conduisait » la pièce, jouée à l'époque en alternance dans le rôle titre par Paul-Emile Deiber ( avec une humanité touchante... je pleurais, à quinze ans, au baisser du rideau ! ) et Jean Piat ( dont la truculence et la verve étaient communicatives ! ). La pièce, d'ailleurs, avait un succès fou ! La Première, en 1960 ( ou plutôt la « reprise de la pièce », puisqu'elle avait été donnée pour la première fois en... 1898 ! ) avait marqué les annales du Théâtre Français : une demi-heure d'applaudissement et de rappels !
     Je commençai alors à m'intéresser à Cyrano de Bergerac.
     J'appris qu'il avait existé, fréquenté Molière, écrit des pièces et des pamphlets, participé à La Fronde, bravé les autorité religieuses... et surtout écrit l'un des tout premiers récits de science-fiction : L'Autre Monde, une œuvre audacieuse, inachevée, jamais publiée de son vivant, et qui mêlait habilement hard science, utopie et critique du pouvoir ! En grandissant, j'approfondis ma connaissance de cet écrivain, entrepris une véritable enquête, et compris qu'il avait, comme le soupçonnait Edmond Rostand, été vraisemblablement assassiné à l'automne 1654 ! Grièvement blessé après avoir reçu une poutre ( ou une bûche ? ) sur la tête, il était mort quelques mois plus tard.
     Qui avait fait le coup ?

     Des personnages suspects...
     Cyrano, dont la sœur, très pieuse, s'appelait réellement Catherine ( eh oui ! ) n'a connu aucune Roxane. Certes, l'écrivain appréciait la compagnie des dames... mais aussi celle des messieurs — une évidence que l'Histoire a révélé mais qui, à l'époque, devait être tenue cachée : il ne faisait pas bon être homosexuel au XVIIe siècle, Léonard de Vinci, 250 ans auparavant, en avait fait la douloureuse expérience !
     Après avoir rompu avec d'Assoucy, Cyrano devint l'ami d'Henri Lebret, puis le protégé ( en tout bien tout honneur ! ) du duc d'Arpajon. Ce qui ne l'empêcha pas d'être toujours en lutte moins contre le pouvoir royal, ou plutôt Mazarin, que contre celui de l'Eglise. Nul doute en effet que depuis des années, sa police ( l'Inquisition, rebaptisée le Saint-Office ) tentait de mettre des bâtons dans les roues d'un écrivain pamphlétaire qui affichait son athéïsme et, en bon disciple de Gassendi ( il avait été son élève ) mettait la science au-dessus des superstitions et des croyances ! Il ne faisait pas bon, en 1654, déclarer à qui voulait l'entendre :
     — Dieu n'existe pas !
     Bien des gens avaient donc intérêt à voir Cyrano disparaître : l'Eglise, d'Assoucy ( son ancien amant écarté), de nombreux poètes épinglés par l'écrivain frondeur... et peut-être même Henri Lebret lui-même, dont la préface à l'Autre Monde, publié après la mort de Cyrano, témoigne de sentiments troubles. Henri Lebret est en effet l'héritier spirituel de Cyrano, il a — sans raison valable puisque l'ouvrage a été prudemment publié hors de France — censuré le texte de son ami lors de deux publications successives, et s'est donné une place de choix, celui de l'exécuteur testamentaire... un rôle suspect à mes yeux !

     Un roman policier à la Renaissance ?
     Bien entendu, l'attentat perpétré contre Cyrano un jour d'automne 1654 n'a pas eu de témoins. Il n'a été suivi d'aucune enquête de police et les éléments permettant d'en connaître les circonstances sont maigres, quasi inexistants !
     Si j'avais voulu écrire un « roman policier historique », on aurait pu m'accuser de partialité. Rien ne prouve même que Cyrano a été vraiment assassiné !
     Pas question, donc, d'imaginer une enquête en 1654.
     Bien sûr, j'avais pensé à Logicielle comme enquêtrice. Mais comment la faire surgir dans le passé ? Au moyen d'une machine à explorer le temps ? Sûrement pas ! Mes récits précédents étaient trop réalistes. En revanche, l'idée d'un jeu vidéo était séduisante. Après tout, j'en avais déjà utilisé un dans L'Ordinatueur.
     A l'époque, en l'an 2000, existait encore sur le Net un site assez étonnant : Second World, le « Deuxième monde », une sorte de Paris virtuel désert dans lequel on pouvait se promener, louer un appartement, aller au cinéma, participer à des débats...
     Ainsi est née l'idée du Troisième Monde, qui reconstituerait non seulement le décor du Paris de 1654... mais aussi ses habitants !

     Des recherches approfondies...
     Certes, je connaissais bien le Paris du milieu du XVIIe siècle. Non pas pour y avoir vécu, mais pour avoir enseigné les Lettres en général et le théâtre en particulier ! Aujourd'hui encore, le dramaturge que je connais le mieux est Molière ( pas très difficile quand on a eu un père au Français et qu'on a vu dix ou quinze fois les pièces du répertoire, des Amants Magnifiques à Amphytrion ou Dom Juan ! ). Mais je connais aussi fort bien la vie et l'œuvre de Corneille ( Pierre et Thomas ), Racine, Rotrou... et celle de nombreux autres poètes et écrivains du XVIIe !
     Quand on me demande si je me documente beaucoup, je réponds d'ordinaire :
     — Le plus souvent, je choisis un domaine que je maîtrise déjà assez bien : la spéléologie, l'astronomie, le théâtre... Mais parfois, il est indispensable de rassembler d'autres éléments pour parfaire ses connaissances, et ne pas dire d'âneries.
     C'est ce qui s'est produit : après avoir résolu de lancer Logicielle sur les traces de l'assassin de Cyrano par le biais d'un super jeu vidéo, j'ai relu l'œuvre de Cyrano et je me suis replongé ( mais ce fut un plaisir ! ) dans la lecture des grands auteurs vivant en 1654 et... dans les ouvrages évoquant la vie quotidienne de ce siècle. Objectif : m'immerger dans le langage et les coutumes de l'époque !
     Par exemple, il m'a fallu trois jours pour déterminer le nombre d'habitants de Paris ( intra muros ) en 1654. A l'époque, il n'y avait pas de recensement régulier ! J'ai dû résoudre mille problèmes et répondre à des questions que ne se pose jamais le lecteur :
     — Où vivait le jeune Louis XIV en 1654 ? Comment se déplaçait-il ? Avec qui ?
     — Comment se rendait-on chez Scarron ? En quel équipage ? Comment était-on reçu chez un écrivain ? Où ? De quoi parlait-on ?
     — Les frères Corneille, qui habitaient Rouen, pouvaient-ils être venus à Paris en Automne 1654 ? Et Molière ?...
     Bref, il me fallait maîtriser une foule de problèmes et de détails avant d'écrire la première ligne de mon récit. D'ailleurs, en cours de rédaction, il m'arriva de devoir m'interrompre pour entreprendre une recherche concernant tel ou tel détail. Ne serait-ce que :
     — Où se trouvait l'hôtel d'Arpajon ? Où Cyrano y vivait-il ? Dans quelles conditions ?

     De longs mois d'écriture pendant l'été 2000 !
     Après m'être longuement documenté, et avoir rôdé le scénario du récit, je me suis mis à l'ouvrage avec, face à moi, un plan géant du Paris de 1680 : le « plan de Colbert », cadeau de mon camarade et ami Robert Bigot, qui me l'apporta lors d'une de ses visites chez nous, dans le Périgord !
     Au XVIIe siècle, on ne publiait pas chaque année le plan de Paris ; et celui-ci, malgré sa précision, fut la cause d'une erreur que pointa heureusement l'éditeur lors de la relecture du manuscrit !
     La rédaction débuta, comme c'est souvent le cas, pendant l'été ( en l'an 2000 ) et elle se prolongea jusqu'à fin octobre. J'ai noté, à la date du 30 octobre, la réponse enthousiaste de l'éditeur, Caroline Westberg, qui lut mon manuscrit ( ou plutôt le « document joint » à mon mail ) en quelques heures. Elle décida de le faire paraître pour le salon du Livre de Paris en mars de l'année suivante.

     Une erreur pointée par l'éditeur !
     Je ne me souviens plus quelle église j'avais choisie pour le rendez-vous donné par Cyrano à Laure de Gicièle. Toujours est-il que Caroline Westberg, fort prudemment, confia mon manuscrit à une spécialiste du XVIIe siècle qui eut la lourde charge de pointer d'éventuelles invraisemblances historiques. Elle en piégea une, relative à cette fameuse église qui, sur le plan de Colbert, existait mais qui, renseignement pris, ne possédait que ses fondations en 1654 ! Certes, cette invraisemblance n'aurait pu être relevée que par fort peu de lecteurs... mais il n'était pas question de la laisser ( même dans un jeu vidéo !).
     Je jetai mon dévolu sur l'église Saint Gervais dont l'existence était bel et bien attestée en 1654 !
     Mais du coup, je dus modifier tout l'itinéraire de mon héroïne dans Paris...

     Un titre qui a changé...
     Le titre du roman a changé. Il a d'abord changé dans ma tête, et est passé de Qui a tué Cyrano ? à Cyrano.com. Mais aux yeux de l'éditeur, le nom de Cyrano évoquait peu le monde de l'informatique et des jeux vidéo, dont la place était prépondérante dans le récit. J'imaginai donc, parmi de multiples essais non retenus ( Le Troisième Monde, etc. ) @ssassins.net, qui avait l'avantage de mettre l'accent sur l'aspect informatique et sur l'intrusion sur le Net de la fameuse secte inspirée de l'Inquisition...

     Une couverture qui a changé...
     La première en effet, lors de la parution de l'ouvrage en mars 2001, montrait Logicielle face à un écran traditionnel d'où jaillissait un petit fantôme.
     Or, tenu à l'écart des projets de couverture ( comme c'est le cas la plupart du temps ), j'ai été aussitôt contrarié de découvrir le visage de cette Logicielle !
     Elle surgissait soudain, trop précise, rousse, et selon moi plus âgée que mon personnage. Jusque là je n'avais jamais indiqué, et c'était volontaire, la couleur des cheveux de Logicielle, ceci afin de laisser les lecteurs libres de l'imaginer.
     A ma demande, et avec l'accord de l'éditeur, Marc Mosnier fut pressenti pour la couverture de la nouvelle édition. Marc me proposa d'ailleurs plusieurs crayonnés et je choisis, toujours en accord avec Caroline Westberg, cette main armée d'un couteau surgissant d'un circuit imprimé sur fond de crépuscule parisien... une couverture que j'aime beaucoup ( je possède aujourd'hui l'original ! Merci Caroline ! ) mais qui se révèle très dissuasive pour d'éventuelles traductions ! En effet, à l'étranger ( en Allemagne ou même aux Etats-Unis ! ) cette couverture, sanglante, n'est pas conforme à ce que les éditeurs étrangers attendent d'un « roman policier pour la jeunesse » !
     Quand Heure Noire remplaça Cascade Policier, la couverture fut « relookée ».
     En six ans, ce roman a donc déjà eu trois couvertures différentes !

     Des personnages tirés du réel.
     Les lecteurs l'ignorent, mais Jean Perrot existe ! Il est bel et bien ( ou plutôt il était encore, en l'an 2000 ) professeur d'université à Paris XIII. Il fut même mon directeur de thèse ! Seule différence : il s'appelle Perrot et non Perrault, l'orthographe de son nom, contrairement au personnage de mon roman, n'est donc pas celle de l'auteur des Contes. Mieux : Jean Perrot a lui aussi une sœur... qui s'appelle Catherine !
     J'ignorais ce fait quand j'ai écrit @ssassins.net... sinon, j'aurais été plus prudent. En effet, si j'utilise souvent, avec leur accord ( ou sans leur permission, quand il s'agit d'amis écrivains, c'est une vieille tradition entre nous ! ) le nom de personnes existantes, je leur donne rarement le mauvais rôle. Pas question de transformer un ami en assassin, du moins pas sans sa permission !

     Un récit qui touche à plusieurs genres littéraires.
     @ssassins.net est avant tout un roman policier. Il relève même du roman à énigme traditionnel ( et pas de ce qu'on appelle aujourd'hui le polar ) puisqu'il s'agit de découvrir le coupable d'un meurtre ! Mais c'est aussi, dans une large mesure, un roman historique puisqu'une grande partie du récit trouve place en 1654, avec des descriptions conformes à la réalité — jusqu'à ce que cette réalité dérape, avec l'intrusion d'une secte sur Internet. C'est également un roman qui flirte avec la SF ou du moins la « hard science » puisque les technologies que je mets en œuvre n'existent pas encore.

 
UN EXTRAIT DU TEXTE  ( @ssassins.net )
 Début du CHAPITRE 1
     Logicielle lisait l'article consacré à l'accident de la centrale nucléaire du Blayais quand Max entrebâilla la porte de son bureau :
     — J'ai un client qui insiste pour te parler. Tu peux le recevoir ?
     On était le vendredi trois août, à neuf heures du matin. Le commissaire Delumeau était parti en vacances la veille ; excepté six vols de voitures et quelques larcins au marché de St Denis, la semaine avait été calme. Les cambrioleurs patientaient encore quelques jours pour être sûrs que les pavillons seraient vidés de leurs propriétaires.
     Logicielle invita le visiteur à s'asseoir. Avec son costume gris et ses petites lunettes, il semblait gauche, inoffensif. D'un autre âge. C'est d'une voix éteinte, presque timide, qu'il demanda :
     — Quand un meurtre a été commis, Mademoiselle, et que l'assassin n'a pu être identifié, peut-on clore le dossier ?
     — Un dossier n'est jamais vraiment clos. On peut toujours le rouvrir.
     L'inconnu n'avait pas la tête d'un assassin. Ni celle d'une victime.
     — Pourrais-je savoir qui vous êtes et ce que vous désirez ? reprit Logicielle, sur la défensive.
     — Je m'appelle Jean Perrault. J'enseigne à l'Université de Paris XIII. En littérature comparée. Ma spécialité, c'est le théâtre du XVIIe siècle. Ce que je désire ? Identifier un meurtrier. Car l'un des membres de ma famille a été assassiné, j'en ai la conviction. Or, on a longtemps voulu faire passer ce crime pour un accident.
     Dans cette déclaration gravissime, un mot intrigua Logicielle.
     — Qu'entendez-vous par longtemps ? Et de qui s'agit-il ?
     Elle s'était résignée à prendre des notes. Le plaignant se pencha vers le bureau pour murmurer poliment :
     — S'il-vous-plaît... Perrault s'écrit comme Charles Perrault, l'auteur des contes, vous savez ? Non, non : a-u-l-t, voilà, merci.
     A cet instant, Logicielle devina que Jean Perrault était un homme dangereux. Dangereux parce qu'obstiné. Elle comprit que s'il parvenait à semer le doute dans son esprit, elle le suivrait jusqu'au bout. Parce qu'elle se savait capable du même entêtement.
     — Monsieur Perrault, reprit-elle, vous n'avez pas répondu à mes questions : qui a été assassiné ? Et quand ce crime aurait-il eu lieu ?
     Le professeur hésita. Puis, avec le plus grand sérieux, il annonça :
     — Les faits remontent à l'automne 1654. La victime est l'un de mes ascendants, à la onzième génération. Oh, vous en avez entendu parler...
     Clouée par la stupéfaction, Logicielle était incapable de répondre.
     Jean Perrault avoua enfin :
     — Il s'agit de Cyrano de Bergerac.

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