C'était la pleine lune et Valentin rêva...
Il se trouve en forêt, tout est silencieux. Il marche lentement sur un sentier, aux aguets. Parfois au loin jaillit l'appel interrogatif et désespéré d'une chouette. Il prend alors conscience que c'est la nuit. Mais il fait si clair que les hauts troncs des pins dessinent de longs traits noirs au sol, sur les mousses. Comme à l'approche de ces événements ambigus qu'on souhaite et qu'on redoute, il songe : « Elle va venir. »
Et en effet, il l'aperçoit.
D'abord, ce n'est qu'une brume mouvante et floue, dans le lointain. Une ombre blanche qui hésite à se matérialiser. Au fur et à mesure qu'il avance, elle se précise.
Il s'agit d'une jeune fille vêtue de blanc. Son visage est aussi pâle que son vêtement — une longue chemise de nuit, peut-être ? Elle s'approche de lui mais elle ne marche pas, elle glisse sans à-coup, sur le chemin. Valentin essaie de détailler ses traits — en vain. Il devine que son visage exprime l'effroi, une peine infinie qui se confond avec la sienne. Car une sympathie le lie à l'inconnue.
Ils sont près l'un de l'autre et la douleur augmente : un tourment très violent et qu'il ne comprend pas. Il avance la main et la silhouette recule. Il se met à hurler :
— Qui es-tu ? Que veux-tu ? Pourquoi es-tu encore là ? Qu'est-ce que tu attends de moi ?
Mais aucun son ne sort de sa bouche. L'ombre blanche a pourtant deviné ses questions. Elle répond de la même façon : sans formuler de mots.
— J'ai mal, je souffre. Aide-moi.
Ses bras baissés frissonnent jusqu'à ses épaules ; elle écarte ses mains jointes et révèle une large tache de sang. Valentin se sent désemparé, malheureux, impuissant. La jeune fille se met à marcher dans la forêt et il la suit de près.
Ils parviennent à un croisement que balise un vieux piquet de bois. C'est un panneau de signalisation brisé. Valentin se penche sur la pancarte sans parvenir à la déchiffrer. Les lettres apparaissent pourtant, gravées en majuscules. Désespéré, il songe : « Ce n'est pas encore cette fois que je pourrai la lire... »
Il lève alors les yeux vers une tour en bois, mirador incongru au sommet camouflé en abri de branchages.
La jeune fille, elle, ne s'est pas arrêtée. Elle a bifurqué à gauche et se faufile entre les troncs. Il repart à sa poursuite et débouche dans une clairière. Là, tranquille, s'étend un petit lac. Valentin reconnaît la touffe de roseaux, la barque amarrée à l'aide d'une lourde chaîne et, tout près de la berge, la cabane de pêcheur.
Au milieu de l'étang aux eaux noires et immobiles, un œil blanc le fixe : la lune. Plus exactement son reflet.
— Viens, suis-moi ! semble dire la jeune fille qui s'éloigne.
Après un bref trajet, ils émergent de la forêt et font face à la vallée. Loin d'être soulagé, Valentin sent son angoisse monter d'un cran. Il voudrait s'arrêter, détailler le paysage nocturne ; mais il doit avancer et tourner ses regards vers la maison. Cette demeure, il la reconnaît, même s'il ne l'a jamais vue que dans ce rêve. C'est un manoir en pierre flanqué d'une tour ronde, situé entre vallée et forêt. Tout près de là, parmi les vignes, à côté d'un chêne imposant se dresse une grange en bois dépourvue d'ouverture.
La jeune fille s'en approche.
Valentin, lui, ralentit ; il hésite à se risquer plus loin. Elle se tourne vers lui, pressante et désespérée.
— Il le faut, aide-moi, je veux que tu comprennes.
Elle pénètre alors dans la grange... Oui : elle y pénètre, son corps y disparaît, il s'y fond tout entier.
Et un hurlement jaillit.
Je me réveillai en sursaut. J'étais sûr d'avoir crié.
Je me redressai sur l'oreiller et passai la main sur mon front. Il était trempé de sueur. Le radio-réveil indiquait trois heures et demie. Mon cœur battait la chamade ; je me levai pour aller écarter les rideaux de ma chambre, ouvrir la fenêtre et les volets.
Bien sûr, la pleine lune était là. Désormais, le même rêve venait me hanter, chaque mois.
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