POUR EN SAVOIR PLUS :
Il y a une dizaine d'années, Robert Bigot ( un ami et un camarade auteur que je connais et apprécie depuis 35 ans ) m'a persuadé que nous devrions écrire un roman ensemble. Mon enthousiasme était modéré. A l'époque, j'étais immergé dans l'écriture simultanée de deux cycles : le Multimonde ( quatre volumes pour Hachette ) et La fille des Etoiles ( Aïna, six volumes pour Nathan ! ) et les rares expériences d'écriture collective avaient été longues, douloureuses et parfois décevantes. Mais Robert insistait. A l'époque, il déprimait et j'avoue avoir en partie cédé à cause de sa solitude et sous sa pression. C'est moi, je crois, qui ai évoqué le principe d'un roman épistolaire. Robert habite la région parisienne et moi le Périgord. Même en admettant que nous nous rendions mutuellement visite assez souvent, écrire ensemble restait problématique. Alors qu'en se mettant d'accord sur une trame de départ et deux personnages principaux, nous n'aurions qu'à procéder à un échange de courrier. Il tomba d'accord. Dans un premier temps, il me proposa un roman historique dans lequel je serais une jeune fille juive. Je n'eus aucun mal à le convaincre que j'aurais des difficultés à assumer ce rôle. Je ne suis pas historien, et j'avais l'impression que beaucoup d'ouvrages, souvent excellents, avaient déjà abordé ce thème de la déportation. Dans un deuxième temps, l'actualité de l'époque me suggéra de lui proposer un récit qui aurait lieu dans un pays d'Europe centrale. Mais je ne voulais pas qu'il y soit question de la Bosnie ni de Sarajevo. J'avais l'ambition ( comme l'aurait dix ans plus tard Marie-Hélène Delval avec Ciel Jaune ) de situer les faits dans un pays en guerre, sans autre précision. Quant au sujet principal du récit, la jeune fille recueillie devenue aveugle — sa maladie et sa guérison — ce fut Robert qui en eut l'idée. Peut-être ( mais comment m'en souvenir ? ) lui ai-je proposé d'assurer le rôle de Patrick, ce jeune pharmacien. Ma belle fille est pharmacien et c'est un métier que je connais un peu. Par ailleurs, en cas de difficulté, je pourrais faire appel à elle. Le récit se construisit ainsi, sous une forme presque improvisée. Robert — Romain réagissait au courrier de Patrick-Christian, sans que ni l'un ni l'autre ne sachions avec précision ce que l'autre allait lui révéler. Je me souviens d'une lettre violente, presque insultante, que je lui adressai. Elle choqua Robert au point qu'il me téléphona aussitôt, persuadé que j'étais fâché contre lui. — Que se passe-t-il, Christian ? Qu'ai-je fait qui t'a ainsi irrité ? — Toi ? Mais rien, Robert ! J'écris à Romain ! Son ton geignard m'irrite. Je réponds dans un moment de colère. Cela peut faire rebondir l'action, cela t'oblige à réagir... et moi, plus tard, à m'excuser de mon emportement. L'ouvrage achevé, nous l'avons adressé, sous pseudonyme et avec une fausse adresse, à Germaine Finifter, la responsable de la collection. Nous connaissions très bien Germaine, c'était une vieille amie. Et nous voulions d'une part qu'elle lise notre récit avec un regard objectif — donc en ignorant quels étaient les véritables auteurs — et d'autre part lui faire une surprise et lui dédier ce roman. La réponse nous parvint peu après, adressée à l'auteur Romain Trisbort, l'adresse était celle d'un cousin de Robert ! Le roman était accepté. Alors nous avons appelé Germaine et lui avons révélé la supercherie. Robert et moi avons encore dans l'oreille le ton amusé avec lequel elle nous lança : — Ah... les petits chameaux ! Deux mois plus tard, notre amie Germaine disparaissait, tuée dans un accident de voiture. La collection, privée de responsable, entra dans un long sommeil. Pris par d'autres écritures, je ne m'occupai plus de ce texte qui fut rangé dans un tiroir. Quelque temps plus tard, Robert me fit savoir qu'il était las d'attendre chez Syros et qu'il allait adresser notre roman à un autre éditeur. Je le relus. Je trouvai des longueurs, des faiblesses. Et Robert me laissa le reprendre entièrement à ma manière. Puis je n'entendis plus parler de ce manuscrit. Les années coulèrent. La collection Les uns et les autres reprit le dessus. Et Robert m'avoua que le fait que les lieux ne soient pas réels ( l'action se déroulait à l'origine dans un pays imaginaire, la Bukovine, si mes souvenirs sont bons ! ) nuisait sans doute à la vraisemblance et au réalisme du récit. Pourquoi ne pas le situer en Bosnie, à Sarajevo ? Il me révéla également que la place réservée à la jeune fille recueillie était trop réduite. A son avis, il fallait non seulement que son rôle soit plus important, mais aussi qu'elle s'exprime et écrive. Même dans un français approximatif. Son courrier devrait être mêlé aux lettres des deux hommes qui, d'une certaine façon, l'avaient sauvée. Je laissai alors à Robert carte blanche. C'est donc lui qui, en dernier lieu, remania ce roman — tout en enlevant le courrier dans lequel je me mettais en colère contre Romain ! Tout naturellement, c'est Syros qui en hérita et c'est à Germaine qu'il est dédié. In memoriam.
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