Christian Grenier, auteur jeunesse
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Le Complot ordrien



Editeur : Multivers éditions - Collection : Collection SF  (2014)
 
 
UN EXTRAIT DU TEXTE  ( Le Complot ordrien )
 Préface 2014 et extrait
Préface à l'édition numérique ( Multivers éditons — 2014)

     Impossible de republier ce roman sans expliquer le contexte de sa création, en 1978...

     Pendant l'été 1976, je reçois un appel et une visite.
     L'appel est de Gérard Klein.
     — Christian ? Je vais lancer l'an prochain une collection de SF pour juveniles, une sorte d'Ailleurs et Demain jeunesse. En hommage à Robert Heinlein, elle s'appellera L'âge des étoiles. Ces futurs romans privilégieront le space opera. Et je compte sur toi pour me donner un manuscrit.
     Alors que je me mets à écrire Le Montreur d'Etincelles, Annette et moi recevons la visite, en Picardie, dans la maison de mes beaux-parents où nous passions nos vacances, de Christiane Lapp, éditrice belge responsable de Travelling une collection pour ados chez Duculot. Elle me confie vouloir créer une collection de SF — je lui révèle que Robert Laffont va faire la même chose !
     — Notre orientation sera différente, m'assure-t-elle : « des anticipations proches » sur fond de problèmes de sociétés. Pas de fusées, pas d'extra-terrestres ! Et je compte sur vous pour me livrer un récit !

     Toujours prof à temps complet, il me faudra un an pour livrer mon texte à Gérard Klein. En été 1977, je me lance dans l'écriture du Complot ordrien.

     Résumé :
     Régis Lissier, enseignant utopiste, est indigné qu'en 2040, la gauche au pouvoir soit si timide. Un vote se prépare : la Loi d'Accueil, qui ouvrira nos frontières à tous les étrangers. Les Ordriens y sont farouchement opposés. A la suite d'une manifestation, Régis découvre un document prouvant que les Ordriens, une fois la loi acceptée, fomenteront des troubles pour prendre le pouvoir... Il veut avertir l'opinion, mais se voit vite traqué. Il tente alors de rejoindre un mystérieux éditorialiste, Kalbrik, dont il partage les idées généreuses... mais sa quête lui réserve bien des surprises.

     Quel est le contexte social et politique en cette année 1977 ?
     En 1974, battant de peu ( 50,81% ) François Mitterrand, Giscard d'Estaing est devenu président. Le Front National a obtenu... 0,75% des voix, encore moins que le premier candidat écologiste René Dumont ( 1, 32% ).
     Me projetant 65 années en avant, j'imagine que la gauche est enfin au pouvoir — mais que sa politique trop timide mécontente et déçoit l'aile gauche de la majorité. Pour des raisons techniques, mon roman sortira... en avril 1981, un mois avant la victoire de Mitterrand !
     Cela dit, je prévois que la droite va vite se radicaliser. Et mes « Ordriens » ( en 1977, l'extrême droite se réclame du mouvement Ordre Nouveau ) ont à leur tête Ogra Tellurion, un histrion inspiré par un Jean-Marie Le Pen auquel je prédis ici... un bel avenir.
     Sur le plan politique, j'imagine en effet que l'extrême droite va agir pour jeter le trouble dans l'opinion et prendre le pouvoir de façon légale, en profitant d'une loi qui permettrait aux étrangers d'entrer dans le pays.
     Sur le plan social, j'envisage le rapprochement des populations progressistes : tutoiement facile, admission des handicapés dans les collèges où les activités relèvent de la « multidisciplinarité ». L'établissement de mon héros porte le nom de Pierre Juquin, dont le nom a été oublié mais qui avait l'envergure d'un Lionel Jospin. Les éoliennes sont arrivées en ville, où la voiture est bannie au profit de la bicyclette et de véhicules électriques municipaux gratuits. Fumer et manger de la viande est devenu politiquement incorrect — j'ai même bien malgré moi inventé... la future vaporette, baptisée ici Fulmmithol.
     En relisant mon texte, j'ai d'abord eu la tentation de le réactualiser, ne serait-ce que sur le plan technique ; mais j'y ai vite renoncé. Par facilité, par honnêteté et pour lui conserver son aspect... comment dire ? Vintage !
     Aussi, on pourra sourire en constatant des espoirs qui seront par la suite peu couronnés de succès : dans mon roman, favorisées par l'état, la presse, la lecture et la culture ont progressé ( ! ) ; on verra aussi que m'ont échappé ( comme à la plupart des auteurs de SF ) l'avenir de la micro-informatique, la naissance d'Internet, des mails, du téléphone portable, du GPS — j'en passe !
     Eh oui, même si les foyers sont ici doté de téléviseurs 3D, on ne trouvera dans mon récit ni CD, ni DVD, ni micro-ordinateurs, ni GPS, ces technologies n'étaient pas sur le marché.
     En revanche, ce qui reste sans doute d'actualité dans ce vieux Complot ordrien, ce sont les préoccupations des utopistes et des écologistes, notamment en ce qui concerne la politique d'immigration et les injustices d'une mondialisation qui ne profite qu'aux trusts.
     On pourra s'étonner de la naïveté, de la générosité de mon héros ; mais ses prises de position pourraient bien être toujours d'actualité...
     Si la fin est ( volontairement ) pessimiste, si j'ai tenu ( audace détestée par les lecteurs ! ) à faire disparaître mon héros aux deux tiers du récit, on notera cependant que ce sont les femmes, d'où qu'elles viennent, qui prennent le relais de la lutte.
     Cet avertissement, à mes yeux nécessaire, n'avait pas pour objectif de quêter la moindre indulgence, mais d'éclairer le contexte dans lequel mon ouvrage avait été écrit : un espoir visionnaire balayé par l'ascension, sinon la ( provisoire ? ) victoire du consumérisme et de l'économie de marché.
Christian Grenier


Extrait

     Régis, un enseignant utopiste, vient rendre visite à son vieil ami Vivien, un écrivain qui écrit des articles polémiques sous le pseudonyme de KalbriK. Vivien alias KalbriK vit reclus dans ses Vosges natales. Après avoir dîné ensemble en plein air, Régis tente de convaincre Vivien d'écrire un article encore plus engagé.
     — Un jour, Vivien, tu évoqueras une probable rencontre cosmique... Les extra-terrestres... Peut-être ne nous contactent-ils pas parce que nous sommes à leurs yeux un monde de barbarie. Un monde qu'ils cherchent à expliquer, à comprendre, persuadés que tant d'horreurs et de lâchetés ne peuvent que cacher une autre logique, une cosmogonie différente de la leur. J'imagine que cette rencontre a lieu... Qu'ils sont là. Qu'ils nous demandent :« Qui êtes-vous ? Qu'avez-vous réalisé ? Quels sont vos canons de la sagesse et de la beauté ? » Alors, je fais les comptes. Et je trouve mille raisons d'être fier. J'imagine une sorte de grand gala cosmique. Un spectacle comme le monde n'en aurait jamais vu. Je voudrais pouvoir leur dire : « Voilà ce que nous avons accompli ! » Dans ce show du futur, je mettrais l'Acropole et les pyramides, et la Grande Muraille de Chine ; l'histoire de Bouddha, celle de Jésus-Christ. Et de Beethoven, la neuvième symphonie. J'y mettrais un corps de ballet, une statue de Michel-Ange des tableaux de Léonard de Vinci. Et j'organiserais un grand spectacle. Oui, là se produiraient ceux qui ont poussé aux limites extrêmes les possibilités de l'esprit et du corps. Les danseurs et les athlètes. Ceux qui ont fait de l'homme une merveilleuse machine douée d'intelligence et de beauté.
     Vivien rompit le silence en mêlant sa voix à celle de Régis, d'une façon si naturelle qu'un auditeur peu attentif eût pensé qu'il s'agissait toujours du même orateur :
     — Mais je leur montrerais aussi les guerres de religion. Les attentats, l'Inquisition. L'apartheid et le racisme. Le nazisme et ses camps d'extermination. Je ne leur cacherais rien des abominations passées, afin qu'ils sachent de quoi nous nous sommes rendus coupables. Afin qu'ils jugent mieux le chemin parcouru.
     — Cette rencontre, Vivien, hâtons-nous de la rendre possible !
     Régis avait saisi le bras de son ami ; et aucun des deux hommes n'aurait pu dire si leurs paroles étaient le futur article de KALBRIK ou l'un des dialogues passionnés dont ils étaient coutumiers depuis l'enfance.
     — Faisons en sorte d'en être dignes ! poursuivit Régis. Nous n'en sommes qu'au moyen âge du socialisme. Nous persistons à vivre comme le faisaient nos ancêtres. Ceux-là criaient à l'injustice parce que la prospérité et l'abondance étaient réservées à une minorité, une élite. Aujourd'hui, malgré les apparences, nous sommes cette minorité, nous sommes cette élite à l'échelle du monde. Nous sommes les profiteurs aveugles d'une humanité moribonde. J'ai honte pour nous tous, Vivien, j'ai honte...
     Très loin dans la montagne, une clochette tinta, et le bêlement précis d'un mouton fut porté jusqu'à la clairière par une bouffée de vent frais. Les braises palpitèrent.
     — Sois désormais Kalbrik, dit Vivien dans un souffle. D'ailleurs Kalbrik, c'est toi. Tu as toujours été ma bonne conscience. Régis, deviens Kalbrik. Je te cède la place.
     Un grillon lança un appel dans la nuit. Il fit trois essais timides, crincrin trouant l'obscurité : puis il se décida, comme s'il avait trouvé le ton.
     — Vivien, c'est impossible. Et tu le sais très bien.

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Dernière mise à jour du site le 12 octobre 2021
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