En achetant une revue Gare Montparnasse, Emma a raté son train de 8H46. Elle appelle ses grands-parents qui ignorent qu'elle a pris le TGV suivant et vont partir l'attendre à Libourne.
Hélas, personne n'a décroché. Le répondeur s'est déclenché et mon portable a affiché « batterie faible ». C'était ça, l'oubli qui me préoccupait : la veille, j'aurais dû la remettre en charge ! Mes grands-parents avaient déjà quitté leur maison. Sans doute voulaient-ils faire des courses au supermarché de Libourne avant de se rendre à la gare. Pas grave, ils devineraient sûrement que j'avais raté mon train et que je prendrais le suivant... Après avoir relu ma nouvelle ainsi que les deux autres ( à mon avis moins bonnes que la mienne ! ), j'ai rejoint la voiture 11 peu avant 10H30. L'entrée était encombrée par une dame âgée qui tentait de hisser une valise. J'ai voulu l'aider et elle s'est rebiffée. — Laissez donc, Mademoiselle, j'y arriverai toute seule ! Parfois, dans le métro ou le bus, on veut gentiment laisser la place à un senior... et il arrive que ça le vexe ! Sauf qu'ici, cette passagère bloquait l'accès au train avec deux valises du même calibre. D'autorité, je les ai saisies l'une après l'autre. Je les ai traînées avec difficulté jusqu'au casier réservé aux bagages encombrants. En me livrant à cette opération, mon attention a été attirée par des taches sombres sur le sol. Des taches qui aboutissaient à la porte entrouverte des toilettes... CHAPITRE 2 Je n'ai prêté aucune attention à la dame qui me remerciait, ni aux passagers qui me bousculaient pour gagner leur place. Intriguée, j'ai voulu pousser la porte des toilettes ; elle était entrouverte, mais bloquée au niveau du sol par la lanière d'un sac à dos. J'ai alors aperçu, assise sur le siège, une jeune fille noire de mon âge qui sanglotait, la tête entre les mains. — Qu'est-ce que tu fais là ? Tu es malade ? Elle a relevé vers moi des yeux remplis de détresse. Elle semblait épuisée. Elle a baissé la tête pour fondre en larmes. — Tu as besoin d'un tampon, d'une serviette ? Elle a secoué la tête. Non, ce n'était pas ça. — Tu es blessée ? Attends, je vais chercher un contrôleur. — Non ! Non, surtout pas ! Là, j'ai deviné que c'était plus grave que j'avais cru. — Je n'ai pas de billet ! Je me suis enfuie... N'appelle pas le contrôleur ! Surtout pas ! Enfuie ? Cette fille n'avait pas l'air d'une criminelle. — Il faut qu'on te soigne, tu saignes ! Qu'est-ce que ?... — C'est une hémorragie. Mais je crois que ça s'arrête. Elle a sorti de sous le siège un mouchoir plein de sang frais. J'ai étouffé un cri. — On t'a agressée ? — Non... non, pas exactement. C'était rocambolesque : on dialoguait par l'intermédiaire d'une porte de WC entrouverte ; pendant ce temps, sans nous prêter attention, les voyageurs me frôlaient ( je gênais le passage ) pour rejoindre leur siège, c'était leur préoccupation ! Un haut parleur a diffusé un bref message avertissant que le TGV à destination de Bordeaux allait partir et desservirait « les gares de Saint-Pierre-des-Corps, Poitiers, Angoulême et Libourne ». — Surtout ne fais rien ! me suppliait la jeune inconnue. Il faut que je parte, que je quitte Paris ! — D'accord. Mais tu dois sortir d'ici. J'ai fait glisser la lanière sous la porte et demandé : — Tu m'aiderais à enlever ton sac ? Tu peux le soulever ? A deux, on est arrivées à l'extirper ; je l'ai posé à côté des miens, que j'avais entassés au-dessus des deux valises de la vieille dame. Le TGV a démarré au moment où la jeune Black sortait des toilettes. Elle a paru soulagée. A présent, nous étions en tête à tête dans cet espace exigu réservé aux deux WC et aux bagages. L'inconnue a passé la main sous son jean ; sa main était poisseuse de sang. Elle a murmuré : — Ca s'est arrêté. — Si tu m'expliquais... comment tu t'appelles ?
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