— Bonjour, il est 7H30 ! Nous sommes le 26 juin 2115.
Jason émergea du sommeil.
Comme chaque matin, il plongea son regard sur l’image affichée au plafond – le dernier cadeau de son père avant sa disparition : une plage baignée par de paisibles vagues, bordée de palmiers bercés par un vent léger. Paysage qui devint le fond d’un océan où dansaient des dauphins, où évoluaient des baleines. Puis celui d’une banquise où de gros ours polaires semblaient se dandiner.
— Le taux de pollution est de 8/10 et la température de 41°.
Jason bondit hors de son lit tandis que l’ordinateur poursuivait :
— Rappel : vous avez épuisé tous vos crédits et vos dettes ont atteint le seuil maximum autorisé. D’autre part...
— Stop ! ordonna Jason.
L’ordinateur se tut. La suite, Jason la connaissait par cœur : s’il ne décrochait pas un emploi aujourd’hui, il ne pourrait pas rentrer dans son studio ce soir, la serrure de sa porte serait bloquée. Il rejoindrait alors les hordes de clandestins qui erraient par milliers en Europunie...
— Et si, par miracle, tu es embauché, ajouta-t-il à mi-voix, ton salaire sera amputé pendant deux ans des sommes que tu dois.
Il renonça à en dresser la liste : loyer, factures, abonnements multimédia, mensualités de sa monauto qui croupissait sur le parking, en panne depuis le mois dernier.
Demander de l’argent à Rémi ? Impossible. Dans la même situation que lui, son ami d’enfance, avait disparu sans laisser d’adresse.
Aussi, comment résister aux messages publicitaires qui défilaient jour et nuit sur son poignordi et le mur-écran de son studio ? A force d’y céder, Jason avait fini par dépenser deux fois plus d’argent qu’il n’en gagnait.
Jusqu’ici, il avait été Surveillant Provisoire d’Enseignement. Un emploi consistant à veiller à ce que cent élèves regroupés dans l’amphi fixent un écran, suivent les cours magistraux et effectuent les exercices proposés ( et autocorrigés ) en ligne. Or, Jason avait été licencié pour faute le mois dernier, les caméras l’avaient surpris en flagrant délit de nostalgie critique : à voix basse, il évoquait à un étudiant l’époque où n’existaient ni pollution, ni réchauffement, ni catastrophes climatiques.
Voilà longtemps que le métier de prof, le salaire minimum, la sécurité d’emploi — et les indemnités de chômage — avaient été supprimés. Il soupira.
— Et puisque tu ne peux plus te connecter, tu devras rejoindre le plus proche Polemploi à pied.
Elle se trouvait Porte de Clichy. A cinq kilomètres de son domicile. Un vrai parcours du combattant...
Arrivé sous la douche, il se souvint qu’on lui avait coupé l’eau. Et en ouvrant le frigo, il constata qu’il était vide.
Son mur-écran s’alluma sur la présentatrice chargée des infos prioritaires :
— Cette nuit, un nouvel incident a opposé nos robopols à des clandestins qui envahissaient le cosmodrome d’Orly. Ils ont été arrêtés, jugés dans la nuit et déportés dans le bagne de Krion 13. La surpopulation des prisons spatiales pose problème...
Depuis trente ans, les prisons se trouvaient sur des stations orbitales où les détenus travaillaient dans de dures conditions. Malgré cela, la misère et la faim poussaient les chômeurs à piller les dépôts de Ma Zone, la chaîne de distribution qui avait remplacé les supermarchés au milieu du siècle dernier. Désormais, ce serveur informatique ravitaillait les citoyens avec des véhicules automatisés, ce qui évitait des déplacements coûteux et risqués. Les clandés les plus hardis se risquaient dans les zones rurales. Ils y dérobaient les fruits et légumes qui poussaient sous la surveillance de robopols et de caméras.
— Bonne journée ! Et prenez garde aux clandestins...
Jason jeta un coup d’oeil par la fenêtre. Mais depuis le 23ème étage de sa tour de Bois-Colombes, il n’y avait rien à voir.
Longtemps, il s’était interrogé sur le nom de sa banlieue ; on n’y trouvait plus de bois. Encore moins de colombes. Les bons jours, avec une pollution 5 ou 6, il distinguait l’immeuble d’en face. Quand ses parents habitaient l’appartement voisin, ils affirmaient qu’autrefois, on apercevait parfois le sommet de la Tour Eiffel émergeant de la brume.
La Tour Eiffel... Jason ne l’avait jamais vue qu’en images. Il se demandait si elle existait pour de bon.
Gorge serrée et ventre vide, il enfila son casque à oxygène. Une précaution devenue une nécessité coûteuse.
Comme l’ascenseur était en panne, il dévala l’escalier de béton et parvint dans le vestibule qui servait de sas.
Puis il s’élança à l’extérieur... comme on se jette à l’eau !
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