Pour en savoir plus...
Ces renseignements, condensés et adaptés, sont extraits de mon ouvrage : Je suis un auteur jeunesse, Rageot Editeur 2004
L'Ordinatueur est... la suite de Coups de théâtre !
Mon premier roman policier, qui met en scène Logicielle ( et Germain ! ), était Coups de théâtre. Ecrit en 1993 et publié l'année suivante, il constituait une incursion brève et unique dans le policier. Je n'avais jamais envisagé réutiliser mes personnages. Mais dans les collèges où j'étais invité, les lecteurs me posaient toujours les mêmes questions : — Que deviennent Germain et Logicielle ? Je haussais les épaules, dérouté. Ils insistaient : — Vont-ils se revoir ? Enquêter à nouveau ensemble ? On aurait bien voulu savoir s'il n'existait pas entre eux... des sentiments. On aurait juré qu'ils s'aimaient !
Pourquoi j'ai écrit L'Ordinatueur
Les lecteurs avaient noté qu'une tendresse particulière unissait Germain et Logicielle. Là où ils soupçonnaient un sentiment amoureux n'existait que l'amour complice d'un père ( l'auteur ) pour sa fille ( qui lui avait servi de modèle pour construire le personnage de Logicielle ). Dans Coups de théâtre, Logicielle utilisait peu sa spécialité. Au cours des mois suivants, je résolus d'écrire un nouvel ouvrage. Ne serait-ce que pour rectifier le tir. Puisque Germain, dans Coups de théâtre, avait mené l'enquête, dans ce nouveau roman, Logicielle aurait la vedette. Le crime qu'elle aurait à résoudre serait lié à l'informatique, ce qui justifierait qu'on la mette sur l'affaire. Mis à l'écart, Germain resterait présent, dans l'ombre ; les lecteurs n'auraient pas aimé qu'il disparaisse et le transporter à Bergerac m'arrangeait plutôt dans un premier temps. Enfin, pour lever les doutes sur les sentiments unissant Germain et Logicielle, il me faudrait créer un nouveau personnage de l'âge de mon héroïne, et qui tomberait amoureux d'elle, à moins que ce ne soit l'inverse... Nouvellement promue lieutenant de police, Logicielle serait forcément nommée dans ce qu'on appelle « une banlieue difficile ». Ainsi, s'établirent le décor et les personnages, leurs liens et lieux de résidence.
Comment est née l'intrigue ?
Restait à définir l'essentiel, le noeud de l'histoire. Un crime lié à l'informatique, certes... mais lequel ? Une idée évidente s'imposa : une personne... non, plusieurs, forcément, étai(en)t retrouvée(s) morte(s) devant son (leur) ordinateur ! Logicielle allait donc enquêter sur l'origine de ces décès suspects qui, bien entendu, se révéleraient être des crimes. Ce scénario de départ me permettait d'aborder plus en profondeur un domaine à la fois redouté des littéraires et apprécié des jeunes lecteurs : l'informatique ! Restait à expliquer ces décès, à trouver le mobile du meurtrier et à justifier la façon dont il s'y était pris. La logique vint à la rescousse : si des gens mouraient devant un écran, c'était peut-être parce qu'ils utilisaient une nouvelle machine, révolutionnaire et dangereuse ? Pourquoi pas un ordinateur à réseau de neurones ? Mon vieil ami Daniel Collobert, chercheur au CNET de Lannion travaillait justement à l'époque sur des ordinateurs de ce type. En réalité, je rôdai pendant deux ans le scénario avant de me décider à écrire le roman. Mais le titre existait : cet ordinateur-qui-tue, c'était L'ordinatueur. Un néologisme qui, outre sa simplicité, avait l'avantage d'être explicite, le lecteur savait aussitôt qu'il s'agissait d'un roman policier se déroulant sur fond d'informatique, où l'ordinateur était l'assassin présumé ! Et puis à ma connaissance, un ordinateur n'avait encore jamais été utilisé comme arme du crime .
Le château de Grimoire...
A vingt kilomètres de notre village existe, au Sud de Bergerac et à trois kilomètres de Monbazillac, un superbe château abandonné bâti entre le XIIe et le XIXe siècle : Bridoire. Une promenade là-bas me livra l'une des clés dont j'avais besoin... Niché dans un vallon et hissé sur un rocher, c'est vraiment le château de la Belle au bois dormant, entouré de taillis épais et de ronces ! Son histoire est compliquée. Autrefois magnifiquement meublé, vendu en 1978, il n'a jamais été habité par son propriétaire qui l'a laissé à l'abandon. Très vite, des gens mal intentionnés ont compris que le bâtiment était sans surveillance. En quelques semaines, il a été visité, vidé, pillé puis vandalisé. Après l'avoir dépouillé de ses tableaux, lustres, tapisseries et meubles, les malfrats se sont attaqués aux rampes en fer forgé, aux cheminées de pierre puis aux parquets en chevrons de chêne. Une association, dont je fais partie, a été créée pour tenter de convaincre l'état de protéger ce monument historique et d'exproprier l'acheteur indélicat qui, en vingt-cinq ans, n'a jamais payé d'impôts locaux ni fonciers. Aujourd'hui, le château a été racheté pour un franc symbolique. Il m'arrive de penser que la publicité faite à l'affaire Bridoire grâce au roman et à l'émission télévisée qui en a été tirée a peut-être permis de hâter les choses... C'est en visitant le domaine et en ruminant contre ceux qui l'avaient abîmé que l'idée d'une vengeance se fit jour.
( Si dans Je suis un auteur jeunesse, je livre beaucoup d'autres détails précis, il m'est difficile de les rapporter ici, car ils livreraient de nombreuses clés du roman au lecteur qui, de cette façon, comprendrait à la fois les mobiles, la personnalité et l'identité du coupable )
Une image en trois dimensions...
Dans le vaste grenier qui me sert de bureau existe, derrière moi, un Vélux dont le carré, par grand soleil, apparaît sur mon écran. Les phrases de mon texte sont alors noyées de clarté et j'aperçois au loin mon bureau dont l'image m'est renvoyée en miroir. Or, je possède quelques « livres en trois dimensions » ; le meilleur moyen de voir apparaître les figures ou les paysages en relief, on le sait, est d'accommoder sur l'infini. Ce reflet gênant me permit d'imaginer une image en relief construite sur le même principe ! Mais je ne voulais pas que Logicielle ait cette révélation chez elle. La projection d'un film en relief au Futuroscope lui en livrerait l'occasion, au cours d'une promenade quasi sentimentale... Ce fut aussi pour moi l'occasion de faire apparaître Bruno Della Chiesa qui, à l'époque, travaillait bel et bien au Futuroscope !
Un personnage réel dans une fiction !
Il arrive que des personnages réels s'introduisent dans un récit sans que le lecteur s'en doute. Bruno était si content d'apparaître dans L'ordinatueur que lorsque l'ouvrage obtint le Grand Prix européen qu'on me remit à Poitiers, il surgit dans la foule pendant la cérémonie, s'élança sur le podium, s'empara du micro et cria : — Je suis Bruno Della Chiesa ! Un personnage du roman de Christian ! A cet instant, son portable se mit à sonner ( c'était prévu, un comparse était chargé de l'appeler ) et il s'excusa... répétant dans la réalité la scène que j'avais imaginée dans mon chapitre.
L'ordinatueur : écriture
Je consacrai tout l'été 1996 à sa rédaction. ( On lira en détail dans Je suis un auteur jeunesse comment je procède pour écrire un roman. ) Rédiger L'ordinatueur me posa peu de problèmes. Il n'y eut qu'une version, quotidiennement remaniée, et que je dus réduire de dix ou quinze pages pour qu'elle tienne dans les six cahiers d'un volume Cascade. Je me souviens que l'été fut très chaud et entrecoupé de violents orages. L'ambiance du récit en porte l'écho. Comme toujours, le début de la rédaction fut lent et pénible. Je ne voulais surtout pas d'un nouveau récit dialogué à la manière de Coups de théâtre. Je commençais à comprendre que mes personnages pourraient devenir récurrents. Mais au lieu de trouver un ton et un style définitifs, je songeais au contraire à varier les procédés : L'ordinatueur serait un roman traditionnel, relaté au style indirect libre, et Logicielle y aurait le premier rôle. Mais dans le roman suivant, Max serait le narrateur. Puis j'envisageais une nouvelle histoire rédigée par Germain, à la première personne, un morceau de son journal. Ensuite, un roman épistolaire où le lecteur n'aurait, pour débrouiller l'enquête, à se mettre sous la dent que le courrier de Logicielle, Germain, Max, Delumeau et d'autres protagonistes dont, bien sûr, les suspects et l'assassin... On verra comment et pourquoi ce projet littéraire avorta. En attendant, j'hésitais entre plusieurs formulations. Je rédigeai trois débuts différents de vingt pages chacun, qui relataient exactement les mêmes faits. Ma femme, qui est ma première lectrice, arrêta son choix sur celui qu'on connaît, une version très classique au style indirect libre. A ses yeux, c'était la plus claire, la plus forte, la plus attachante. Débuter d'une façon faussement dialoguée était un clin d'oeil aux lecteurs de Coups de théâtre : ils pouvaient croire que ce nouveau roman était rédigé de la même façon puisque le nom des héros apparaissait avant leurs paroles exprimées. On comprenait vite qu'il s'agissait d'une conversation via Internet... Mon objectif était de présenter très tôt Max, amoureux transi, mais aussi la problématique générale que l'on pourrait ainsi résumer : l'informatique est-elle dangereuse ? Peut-on l'utiliser comme une arme ? Faut-il se méfier de son ordinateur ?...
Quand la réalité nourrit la fiction...
Si Logicielle utilise le TGV pour se rendre chez Germain, qui l'attend en gare de Libourne, c'est bien sûr parce que notre fille utilise le même moyen de transport. La maison de Germain, grande maison carrée flanquée de deux pigeonniers au milieu d'un village, au bord de la Dordogne, c'est évidemment la nôtre. Six mois sur douze, nous prenons bien le petit déjeuner sur la terrasse, sous un grand tilleul. Tous les détails historiques sont authentiques : l'ombre d'Henri IV, de la reine Margot et de Catherine de Médicis flotte toujours sur le village, où fut signé en 1580 la Paix des Amoureux, c'est à dire le brouillon de l'édit de Nantes. Et quand je traverse la rue pour me rendre chez la voisine, qui habite les anciennes écuries du château ( détruit ), je croise le fantôme de personnages historiques, ne serait-ce que Montaigne et La Boétie puisque la route au bord de laquelle nous habitons, qui relie St Michel de Montaigne à Sarlat, n'a pas changé de tracé ! D'ailleurs, quand l'équipe technique de la 5ème chaîne est venue passer quelques jours dans la région pour des repérages, la réalisatrice, Micheline Paintault, s'est écriée en entrant dans notre séjour : — On jurerait qu'il s'agit de la maison de Germain ! Dis-moi Christian, tu ne vois pas d'inconvénient à ce que nous tournions les intérieurs chez toi ? Ce qui fut fait. Hélas, le petit déjeuner sous le tilleul dut être annulé puisque le tournage eut lieu... en janvier ! Quant aux plans extérieurs, ils furent tournés au château de Bridoire, clandestinement investi avec des groupes électrogènes. Pourquoi chercher un autre décor que celui qui m'avait inspiré le récit ? Mais nous touchons là à des problèmes techniques hors sujet, du moins hors littérature.
Des invraisemblances informatiques ?
Mon roman achevé, j'en adressai une copie à mon fils ( il est informaticien ) et une autre à Daniel Collobert. Leur mission : piéger les invraisemblances. Ils en trouvèrent deux. Je n'eus aucun mal à les rectifier en changeant une formulation et en transformant une phrase. Je ne voulais surtout pas qu'un lecteur spécialiste ricane en lisant tel ou tel passage. Je ne me trompais pas : L'ordinatueur circula aussitôt parmi de nombreux informaticiens. A l'université de Bordeaux 3, un mois avant que je ne le rencontre au cours d'un colloque à Bergerac, un enseignant en informatique décida même de livrer l'ouvrage en pâture à ses étudiants pour qu'ils y relèvent d'éventuelles invraisemblances. Grâce à la sagacité de mon fils et de Daniel, ils n'en trouvèrent pas ! Bien entendu, à la réédition ( en 2004 ) de l'ouvrage dans la collection Heure Noire, je remis au goût du jour certaines informations. Par exemple, mon CD réenregistrable, baptisé CDEX en 1996, devint un DVDX... la technologie que j'avais imaginée ayant été dix ans plus tard rattrapée par la réalité !
Une conclusion ambiguë ?
La fin laisse souvent les lecteurs perplexes. Elle est pourtant logique : avant de disparaître, l'assassin a prévu et enregistré les réponses à une énorme quantité de questions qui, il s'en doutait, lui seraient posées par les enquêteurs. Parfois, aucune réponse ne figure dans le logiciel LTPG, ce qui entraîne la phrase récurrente : — Je ne comprends pas ta question, Logicielle. Peux-tu la reformuler autrement ? Si l'assassin tutoie Logicielle et l'appelle par son sobriquet, c'est parce qu'elle a livré ces renseignements. Quand elle a dû choisir voix et niveau de langage pour dialoguer avec la machine, il lui a bel et bien été demandé : — Sous quel nom désirez-vous que l'OMNIA 3 s'adresse à vous ? Si elle avait opté pour le vouvoiement et monsieur Dupont, l'assassin l'aurait appelée ainsi ! Bien naïfs sont les lecteurs qui croient qu'une mémoire humaine se cache dans l'ordinateur ! Le coupable s'est contenté d'utiliser toutes les capacités de l'OMNIA 3. Et quand, dernière phrase, l'assassin déclare : — Je te souhaite la bienvenue, Logicielle. Viens, je t'attendais. L'héroïne accède tout simplement à un autre niveau de dialogue, sans doute plus approfondi et intime, au cours duquel le coupable va se livrer à quelques confidences... préenregistrées ! Mais comme à mon habitude, j'aime conclure sur une nouvelle ouverture qui sollicite l'intelligence et la sensibilité du lecteur, qui l'invite à réfléchir ou à rêver sans qu'il y ait irruption dans un univers irrationnel ou fantastique.
Un succès ?
L'ordinatueur a été publié en février 1997. Son titre, une couverture réussie dans une collection ( Cascade, à l'époque ) déjà très appréciée, l'attente des lecteurs et l'attrait d'une enquête dans un univers informatique expliquent sans doute qu'il ait touché un large public. Récompensé par de nombreux prix, il a été plébiscité par des lecteurs aux âges et aux intérêts si divers. Il est la meilleure vente de Rageot non seulement depuis sa sortie, mais aussi depuis la création de la maison en 1942.
L'ordinatueur... et après ?
Je refuse de me laisser déborder par mes personnages. Mais parfois, un auteur est dépassé par son propre texte. Ou plutôt, les conséquences de son succès modifient son projet initial. Malgré la demande pressante des lecteurs, je ne me précipitai pas pour écrire une nouvelle enquête. Oh, les idées ne me manquaient pas mais j'avais d'autres engagements, d'autres projets. Pas question de me lancer tout à coup dans la rédaction de cinq ou six polars dans l'année ! Mais voilà : un succès, même modeste, est handicapant. Je m'étais attaché à Logicielle. D'année en année, j'écrivis une demi-douzaine de polars et autant de nouvelles policières la mettant en scène Finalement, Logicielle, Max et Germain ( le « trio d'enfer » comme Caroline, ma directrice littéraire, aime à les surnommer ) n'ont pas dit leur dernier mot. Et il se peut, au fil du temps, que je prenne certains risques et que l'un ou l'autre de ces personnages révèle des surprises.
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