Moi, c’est Hercule
Je suis un chat que les jumelles ont baptisé Hercule. Mon nom, je ne l’ai pas choisi. Je laisse croire aux jumelles que ce sont mes maîtresses. En réalité, c’est moi qui les ai adoptées ! Elles s’appellent Albane et Joyeuse. À dix ans, Albane est aussi rousse que Joyeuse est blonde. À part la couleur de leurs cheveux, elles se ressemblent un peu... même si ce sont de fausses jumelles comme l’affirment leurs parents, Max et Logicielle. Tous deux travaillent dans la police à Saint — Denis, dans la banlieue de Paris. Quant aux jumelles, elles sont en CM2. Dans la même classe où, paraît-il, elles s’assoient toujours côte à côte. Mais en ce moment, ce sont les vacances de la Toussaint et nous les passons dans le Périgord, près de la ferme du jeune Thibaut, là où je suis né.
Mon premier souvenir est celui d’un gros chien qui m’entoure de ses pattes. C’est là que j’ai grandi, l’an dernier, entre les canards, les chèvres, le verger et la forêt toute proche. Je ne me souviens pas de ma mère, ni du père de Thibaut qui est mort cet hiver, et encore moins des vaches qui faisaient la richesse de la ferme. À onze ans, Thibaut Rignac va au collège mais il aide aussi sa mère du mieux qu’il peut : il nourrit les canards et les chèvres. Il cultive un joli potager et cueille les fruits du verger. Au marché du village, il vend du fromage, de la confiture, du foie gras... des produits délicieux, très appréciés par les touristes ! Je me souviens aussi des visites de notre voisin : Germain. Germain est un vieil ami de Logicielle et Max, un commissaire retraité qui vit seul dans sa propriété. Les jumelles le considèrent un peu comme leur grand-père. Il est très ami avec tous ses voisins. Peu après ma naissance, comme Thibaut oubliait parfois de me donner à manger, j’ai fini par m’installer chez lui. En somme, Germain est le premier humain que j’ai adopté ! Quand les jumelles arrivent ici pour les vacances, Thibaut accourt aussitôt. Oh, ce n’est pas moi qu’il vient voir, ce sont plutôt les jumelles : il en est un peu amoureux... mais de laquelle ? Je crois qu’il ne le sait pas lui-même ! C’est comme ça qu’elles m’ont récupéré, l’an dernier. En me voyant, Joyeuse s’est écriée : – Oh, comme il est mignon ! – Il est à toi, Germain, cet adorable chaton ? a demandé Albane. – Pas vraiment. Mais il me rend souvent visite. – Alors il est à toi, Thibaut ? a supposé Joyeuse. – Un chat n’est à personne ! a assuré le garçon. – Si on l’adoptait ? – Papa... s’il te plaît ? – Vous rêvez, les filles ! – Maman ? Allez... – Pas question ! Vous croyez qu’il serait heureux dans notre appartement de Saint-Denis ? Pourtant, un mois plus tard, j’y entrais ! Les parents avaient capitulé. Moi, j’étais d’accord, bien sûr. Sinon, je me serais échappé. Eh oui : quand vous croyez que les chats obéissent... c’est une illusion. Parce qu’ils font toujours ce qu’ils veulent. Et c’est encore plus vrai pour moi, qui suis un chat exceptionnel... La preuve, c’est que je comprends le langage des humains. Depuis que Max et Logicielle m’ont déposé avec leurs filles chez Germain, fin octobre, j’espérais passer des vacances paisibles... eh bien, c’est raté ! Ce matin, des cris me réveillent en sursaut, moi qui dormais sur la couette du lit des jumelles. Du rez-de-chaussée me parvient la voix de Thibaut, une voix désespérée... Je dresse mieux l’oreille. Celle que je viens juste de laver. Je trottine jusqu’au palier pour m’installer en haut de l’escalier. C’est mon poste d’observation préféré. Dans le séjour, en contrebas, les jumelles entourent Thibaut. Le garçon sanglote. Donc, c’est grave. – Allons, ton chien reviendra ! affirme Albane la rousse. – Il s’enfuit souvent, tu sais bien ! ajoute Joyeuse la blonde. Elle plaque une bise sur la joue de Thibaut. Germain sort de la cuisine et demande au visiteur : – Eh bien, Thibaut, qu’est-ce qui t’arrive ? – C’est une catastrophe... Brutus a disparu !
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