Quel cirque !
– Hercule ! Qu’est-ce que tu fais sur le palier ? Les jumelles viennent de sortir de l’ascenseur... elles rentrent de l’école, je suis pris sur le fait ! – Normal, Joyeuse, explique Albane. Ce matin, quand on est parties, le chat a filé entre nos jambes ! Exact. Et puisque les filles étaient en retard (comme d’habitude), elles n’ont pas pris le temps de me rattraper. Ce qui m’a permis de flâner dans l’immeuble toute la journée. Bien sûr, j’aurais préféré explorer les toits ; c’est ma promenade favorite. Mais en automne, les parents des jumelles ouvrent rarement la porte-fenêtre de la terrasse. Et les occasions de m’échapper sont rares. À force de tourner en rond dans l’appartement du cinquième étage, j’avais des fourmis dans les pattes. – Allez, Hercule, rentre ! ordonne Albane. Au fond, je suis plutôt content de filer dans la cuisine pour finir mes croquettes. Ce matin, je les ai abandonnées dès que j’ai entendu les jumelles ouvrir la porte d’entrée... Je regagne mon poste d’observation préféré : l’accoudoir droit du canapé. De là, j’ai une vue panoramique sur la terrasse (les pigeons s’y risquent parfois), les toits des immeubles voisins – et même, au loin, sur la Seine où passent les péniches. Eh oui, ce vieil immeuble se trouve sur l’île Saint-Denis ; les parents des jumelles, Max et Logicielle, n’ont qu’un pont à franchir pour rejoindre leur commissariat... Je suis à peine installé que la porte s’ouvre : ce sont eux. Albane et Joyeuse se jettent à leur cou. – Papa ! Maman ! annonce Joyeuse, Émilie va nous emmener au cirque ! – Émilie ? répète Max en fronçant les sourcils. – Notre copine du CM2, explique Albane. Émilie Duroy. – Celle qui vit au premier étage, avec son papa. – En face du cabinet médical. – Tu sais bien, Max, lui rappelle Logicielle : le locataire du studio. M. Duroy, l’homme au chien. Ah, ce chien... une horreur ! Ce matin, je passais sur son palier quand un géant chauve (M. Duroy) a jailli avec, en laisse, son énorme bouledogue qui (comme toujours) s’est jeté sur moi alors que je ne lui avais rien fait. L’homme l’a retenu en criant : – Du calme, Diabolo. Fiche la paix à Hercule. Depuis la rentrée, je redoute de m’aventurer dans les escaliers : Diabolo y rôde parfois en liberté. Si je ne courais pas si vite, il ne ferait de moi qu’une bouchée. – Ah oui ! s’écrie Max. Tu veux dire : l’homme à la moto. C’est vrai que Max et lui sont passionnés de moto. Celle de M. Duroy est une grosse machine pleine de chromes qui porte un prénom et un nom, comme un être humain : Harley Davidson ! – Doucement, les filles, fait leur mère en levant la main. Expliquez — nous d’abord : c’est quoi, ce cirque ? – Celui de la nouvelle amie du papa d’Émilie ! précise Joyeuse. – Oui : Stella. Elle travaille là-bas. – Elle est illusionniste ! – Non, rectifie Albane. Plutôt trapéziste. – Bon, elle fait un truc en iste. Et elle a donné trois invitations à Émilie pour le spectacle de samedi ! – On pourra y aller avec elle, maman ? Dis oui, s’il te plaît ! – Pas si vite, déclare Max. Je vais d’abord descendre voir M. Duroy. Et sa nouvelle amie Stella. – Elle ne sera pas là, dit Joyeuse. – Non, explique Albane : elle vit dans un camping-car, au parc Chantereine. Faire du camping en banlieue parisienne, certains humains ont de drôles d’idées ! – J’y suis ! fait Logicielle en désignant la terrasse et les toits. C’est là que le cirque Bravo s’est installé en septembre. Il paraît qu’il va rester toute l’année... – On pourra y aller, dis, maman ? insiste Joyeuse. – Laissez-nous réfléchir et souffler un peu, grogne Max. Votre mère et moi, on a une vilaine affaire sur les bras... Sur les bras ? C’est pourtant sur la table qu’il a posé un dossier. Ça doit être sérieux : d’habitude, en rentrant du commissariat, les parents des jumelles sont plus détendus que ça. – Une affaire ? répète Albane qui sait que ce mot a plusieurs sens. – Oui, des vols, précise Max. Et ils ont eu lieu dans le quartier. Très déçue, Joyeuse hausse les épaules. – Les vols, pour vous, c’est de la routine, non ? – Cette fois, c’est différent, annonce sa mère d’un air découragé. Parce que le voleur semble traverser les murs...
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