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« A
GHOST IN THE
NIGHT » !
-
Meuchieu Vital ? Y a un chat dans la cour !
Zut,
Marin m’a repéré. J’ai reconnu sa voix et son défaut de prononchiachion. Je
l’aperçois par l’une des fenêtres ouvertes de la classe, il s’est levé et me
désigne du doigt.
Je
cours à toutes pattes hors de la vue des élèves pour me réfugier sous le préau.
Trop tard, puisque le maître réagit aussitôt.
-
Comment ? Que dis-tu, Marin ?
- Un
chat, meuchieu ! Je vous jure. Dans la cour. Et il courait !
-
D’accord, un chat court dans la cour, admet M. Vital qui n’en croit pas un mot.
Allons Marin, assieds-toi. On reprend la leçon d’anglais. Vous regardez le
tableau, les enfants ? Vous écoutez ?
Hum,
pas vraiment ! À en juger par le brouhaha, les élèves sont moins attentifs
que moi. Parce que je ne veux pas rater cette heure d’initiation d’anglais.
Ça
vous étonne, pas vrai ?
Eh
oui, je ne suis pas un chat comme les autres. Je comprends le langage des
humains. Je sais lire et compter ( parfois mieux que Joyeuse et Albane, les
jumelles qui m’ont adopté et qui profitent de cette interruption pour papoter
).
- A ghost
in the night ! poursuit M. Vital. Vous vous souvenez du sens du
mot ghost ?... Oui,
Joyeuse ?
- The night, c’est la nuit !
- Et a ghost, c’est un fantôme, ajoute sa
sœur qui, elle, répond à la question.
- All
right ! approuve M. Vital. Voyons, dans le récit… qui a
vu un fantôme ?... Oui, Marin ?
- Moi,
meuchieu ! Cette nuit, j’ai vu un fantôme dans l’école !
L’information
sème des rires dans la
classe. Et entraîne ici et là mille questions :
- Dans
l’école ?
- Un
fantôme, tu es sûr ?
- Il
ressemblait à quoi ?
-
Cette nuit ?
- Et à
quelle heure ?
Cette
fois, j’escalade les casiers des élèves. Je saute jusqu’au vasistas ouvert
entre la classe et le préau. D’ici, je domine les enfants qui me tournent le dos. Le seul à me faire face,
c’est le maître. Mais il a d’autres chats à fouetter : Marin est le centre
de l’attention.
-
Silence ! ordonne M. Vital. Et toi, Marin, ne dis pas de sottises !
Alors comme ça, tu te promènes la nuit, rue Jacques-Prévert ?
- Non,
admet-il en baissant la tête. À minuit, il faisait chi chaud que je me chuis
réveillé. J’ai ouvert la fenêtre et j’ai vu le fantôme. Il était recouvert d’un
drap et marchait dans la cour.
-
D’accord. Comme le chat de tout à l’heure ?
Vexé,
Marin boude. Joyeuse-la-blonde, sa voisine de pupitre, vient à son
secours :
-
C’est possible, monsieur ! Ses parents vivent au dixième étage ! - Oui, dans l’immeuble qui fait face à
l’école, confirme Albane-la-rousse derrière elle.
Une
sonnerie brutale fait hérisser mes poils : mes oreilles sont tout
près du haut-parleur de l’école !
En
contrebas, dans le CM1 bleu, ce
signal interrompt le débat. Ce qui soulage le maître.
-
Sortez ! On reprendra l’anglais après la récréation.
Quitter
mon perchoir ? Difficile : tous les élèves de Jacques-Prévert envahissent
la cour en hurlant de joie. Par chance, aucun ne se risque sous le préau, ils
préfèrent les tilleuls.
Tiens,
voilà Mme Janvier, la
directrice. Elle apporte une tasse de café à M. Vital qui
surveille la récré. Cette
semaine, il est de service.
-
Hercule ! Mais que fais-tu ici ?
Albane
m’a aperçu. Elle a rejoint son casier pour y récupérer son goûter.
-
Hercule ! s’étonne à son tour Joyeuse, jamais loin de sa sœur. Tu t’es
encore échappé !
Les
cris des jumelles ont ameuté les élèves du CM1 bleu. En dix secondes, tous les
enfants de l’école les ont rejoints.
-
Ouah, un chat !
-
Qu’est-ce qu’il est mignon !
-
C’est Hercule, le chat d’Albane et Joyeuse ! annonce fièrement Emilie à la
foule massée sous les casiers.
Emilie
vit dans le même immeuble que nous, avec son père et Diabolo ( un bouledogue de
vingt-cinq kilos ).
Albane
me tend les bras et je la laisse m’attraper. Cent mains s’offrent aussitôt pour
me caresser… au secours !
- Que
se passe-t-il ici ? tonne Mme Janvier, dont la voix rauque et grave
surprend car elle est très menue.
Elle
se fraie un chemin parmi les enfants et m’aperçoit.
-
C’est Hercule, notre chat, dit Joyeuse d’une petite voix.
- Il
s’est échappé, ajoute Albane. Désolée, madame, ça ne se reproduira plus.
Coupable,
je prends une mine apeurée et je miaule de façon désespérée. Une feinte qui
produit son effet : Mme Janvier sourit avec indulgence.
- Il
n’a pas l’air méchant.
- Oh
madame, il est adorable ! assure Emilie.
-
Croyez-vous qu’il ferait du mal à la tortue, monsieur Vital ?
Le
maître grimace, peu convaincu. Il m’observe avec perplexité et se tourne vers
Marin qui déclare devant deux cents témoins :
- Vous
voyez, j’avais raison, meuchieu : il y a un chat à l’école !
M. Vital
pâlit. Je ne suis pas télépathe mais je l’entends penser : Pour le chat, Marin n’a donc rien
inventé… Et si, pour le fantôme, il
avait dit aussi la vérité … S’il en avait vraiment vu un rôder dans l’école,
cette nuit ?
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