Après son idylle, puis son hyménée réussi avec la poétesse Rosemonde Gérard, Edmond Rostand s'interrogeait sur les affligeants déboires de ses écrits tout en déambulant dans le capharnaüm du salon. Cette pièce était l'un de ses crève-cœur : il avait toujours haï les tissus vert-de-gris des rideaux, dont il jugeait les lisérés orange inesthétiques, presque obscènes. Pourquoi tant d'échecs littéraires ? Son recueil de poésies « Les Musardises » avait été salué par de cruels libelles ; son vaudeville « Le Gant rouge » par des pamphlets acerbes et sa pièce « Les Deux Pierrots » par des satires malintentionnées. Pourquoi sa poésie et son théâtre étaient-ils si peu goûtés ? A cause des iambes trop osés ? Des hémistiches oubliées ? Des acrostiches trop compliqués ? Hélas, que d'opuscules publiés en vain ! Vis-à-vis de son épouse, ces opprobres répétés étaient autant de vilenies, d'infamies et de camouflets. Face aux arcanes de la critique et à tant d'anathèmes injustifiés, Edmond ruminait un rampeau. *
Voilà plus de dix ans qu'Hugo s'était éteint, songeait-il en rêvant à des alexandrins. Icône adulée des foules, Hugo avait été aussi un prophète, c'est-à-dire un héraut. Comment le rejoindre dans le panthéon des auteurs immortels ? Edmond aperçut alors, déformée, l'image de son nez dans sa psyché au tain terni. En un tournemain, il eut une idée : raconter la vie d'un poète à l'appendice nasal proéminent. Il songea à ce prosélyte de l'athéisme que fut Cyrano. Cyrano qui par surcroît avait été un bretteur, un hâbleur arrogant, truculent à l'excès. Sans surseoir à sa décision, Edmond se mit sur-le-champ à griffonner sur son écritoire vernie. Terminées, les échappatoires ! Plus d'anagrammes saugrenues ni d'anicroches risquées avec des critiques analphabètes, des béotiens susceptibles de s'immiscer dans sa littérature, de s'arroger le droit de juger ! D'une traite, il griffonna alors l'exorde passionné de la fameuse tirade... du nez !
Christian Grenier
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