La SF pour la jeunesse existe, je l'ai rencontrée
J'aimerais pouvoir affirmer : la SF n'existe pas, ni la littérature pour la jeunesse ! Il n'y a que de bons et de mauvais livres. Hélas, c'est faux : la SF est un genre spécifique, à la structure narrative particulière 1. Quant à la littérature pour la jeunesse, il y a longtemps que personne ne conteste plus sa réalité. Le problème se situe ailleurs, dans le fait que l'on croit trop souvent que la SF et les ouvrages pour la jeunesse relèvent de la sous-littérature ! Balayons un préjugé : dans la littérature, en SF et en jeunesse, on trouve le pire et le meilleur !
En tentant de décliner toutes les conséquences d'une hypothèse en désaccord avec les lois sociales ou scientifiques de notre monde, elle rassemble deux qualités rarement présentes dans un récit : l'imaginaire et la logique. Car, à partir d'une hypothèse plausible, farfelue ou folle, l'auteur doit se plier à la plus stricte vraisemblance. La SF est jeune parce que c'est une littérature du jeu, de la contestation et de l'outrance. C'est un genre pédagogique qui porte sur nos sociétés un regard distancié et critique. Si la SF offre une évasion, celle-ci s'accompagne souvent d'une réflexion. Et quand on s'éloigne de notre époque ou de la Terre, c'est pour mieux en observer les défauts. En écrivant Micromégas, Voltaire n'avait pas d'autre projet.
Un genre destiné au jeune public ?
En 1699, Fénelon a écrit son Télémaque pour le petit-fils de Louis XIV. Les Voyages extraordinaires de Jules Verne, publiés entre 1863 et 1905, étaient tous destinés à la jeunesse bourgeoise. Et dès les années trente, aux États-Unis, sont nés dans ces fameux pulps, les superhéros Batman, Mandrake ou Superman. Vers 1970 en France, en dehors des rééditions des romans de Jules Verne, on ne trouvait dans les collections jeunesse que vingt-cinq récits classables dans la SF ! La plupart étaient de pâles remakes de voyages spatiaux ou temporels.
De 1972 à 2004 : que de collections !
Chez Rageot, en 1972, la collection « Jeunesse Poche anticipation » se risqua à publier des auteurs comme Michel Grimaud, Pierre Pelot — ou moi-même. C'est l'époque où mon premier essai, Jeunesse et science-fiction, et mon troisième roman, La Machination 2-, tentèrent de prouver aux lecteurs que cette littérature, nourrie par l'actualité spatiale et les problèmes d'environnement et de société, représentait un vaste terrain inexploré ! En 1978 naquirent deux collections spécifiques : « L'âge des étoiles » chez Robert Laffont et « Travelling sur le futur » chez Duculot. En 1981, Gallimard me demanda de créer et d'animer « Folio Junior SF ». Je ressortis de l'oubli des récits pour adultes comme Niourk de Stefan Wul et de nombreuses nouvelles françaises ou étrangères. Les jeunes les plébiscitèrent ! Ainsi entrèrent dans les collèges nombres d'auteurs SF français et étrangers. Ma collection et les autres furent cependant balayées par Les Livres dont vous êtes te héros et la vague montante de l'heroic fantasy.
En 1997, Denis Guiot prit les rênes de « Vertiges SF » chez Hachette puis, dès 2001, de l'excellente collection « Autres Mondes » chez Mango. On y trouve aujourd'hui d'excellents textes. Vous êtes sceptique ? Eh bien, lisez La SF à l'usage de ceux qui ne l'aiment pas\ J'y développe d'autres arguments et propose une analyse plus complète. Vous constaterez que les auteurs, aussi exigeants sur le style que sur les données scientifiques, abordent des questions extrêmement contemporaines. Les héros de ces récits affrontent mille problèmes d'aujourd'hui et de demain : environnement, pollution, chômage, violence... Les jeunes lecteurs ont découvert que la SF ne craint pas d'intégrer au récit les nouvelles technologies auxquelles ils doivent se roder, ni de proposer les futurs d'un monde dans lequel, de gré ou de force, ils devront s'intégrer.
Une littérature du questionnement et du vertige
À l'heure où triomphent dans le domaine jeunesse Harry Porter et l'heroicfantasy, peut-être faut-il remettre à l'heure les pendules des littératures de l'imaginaire — que je préfère appeler « les fictions invraisemblables ».
Elles sont trois, apparues dans cet ordre : le merveilleux, le fantastique et la science-fiction.
Avec ses contes où régnent dragons, fées et sorcières, le merveilleux symbolise la littérature de l'enchantement : c'est de l'irrationnel accepté.
Avec ses événements inexpliqués, ses fantômes et ses vampires, le fantastique est de l'irrationnel inacceptable — un genre qui plaît, car il joue avec nos peurs ancestrales, c'est une littérature de l'hésitation et de l'intime.
La SF, dernière venue, relève du social. Ses récits, qui supposent une modification du monde, de la science ou des lois, fonctionnent grâce à un pacte différent avec le lecteur, de l'ordre des sciences exactes ou humaines : il faut admettre que l'on peut désormais voyager dans l'espace ou dans le temps, programmer des êtres humains sur mesure, accepter des mœurs, des comportements inédits : c'est de l'irrationnel justifié. Souvent bercés par les contes de leur propre enfance, rebutés par les technologies, convaincus que la vraie littérature ne peut être l'écho du présent et encore moins se tourner vers le futur, les adultes préfèrent proposer aux jeunes des univers familiers. La SF se tourne vers d'autres interrogations, des questions qui hantent les chercheurs depuis toujours : elles concernent l'origine du monde et l'infini, le temps et les secrets de la vie, l'immortalité et le destin de l'humanité... excusez du peu. Ces questions, si vous ne vous les posez plus, sans doute êtes-vous devenu trop vieux. Alors laissez la SF de côté.
Christian Grenier
Notes : 1. Je définis la SF à l'aide de trois conditions : * Décalage avec le réel. * Logique et rigueur dans l'enchaînement des faits. * Style et ambiance réalistes.
2. Jeunesse et science-fiction, Magnard ; La Machination, prix ORTF.
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