Christian Grenier est un de nos grands écrivains de SF pour la jeunesse. On peut s'adresser à ce lectorat sans pour autant être simpliste ou bêtifiant. Christian Grenier est au contraire un auteur exigent, voire difficile (cela dépend des livres), qui respecte son lecteur. A cela, deux raisons : l'expérience et la passion. La passion d'abord. Né en 45, il a douze ans quand le « bip-bip » de Spoutnik fait enrager les Américains ; adolescent, il suit avec intérêt les étapes du programme Gemini. Les progrès de la conquête de l'espace le poussent à s'intéresser à l'astronomie puis à la littérature de l'imaginaire. En somme, il est tombé dans la SF quand il était tout petit et s'est mis à écrire dès son plus jeune âge, probablement poussé par un sens de la théâtralité hérité de ses parents acteurs. L'expérience ensuite. Curieusement, ses parents refusent de le voir épouser la carrière d'acteur, aussi se lance-t-il dans des études de lettres et devient enseignant. C'est donc sur les planches des estrades scolaires qu'il découvre le moyen de prolonger et faire partager ses passions ; en effet il anime dans un collège plusieurs clubs de... théâtre, d'astronomie, de SF et d'écriture. Avant l'apparition des ateliers d'écriture, il entraîne donc ses élèves à écrire des romans, expérience qu'il relate dans un essai, Ecrire Des Romans en classe (Magnard, 1978). Tout ceci lui permet d'acquérir une expérience profitable pour l'écriture de romans pour la jeunesse.
Mais avant d'être appliquée celle-ci est d'abord transmise dans des essais ; Jeunesse et science-fiction paraît chez Magnard en 1972, en même temps qu'il publie son premier roman, couronné par le prix ORTF. Une cinquantaine d'autres suivront, presque exclusivement de la SF, mais pas uniquement : La Guerre des poireaux (Rageot, 1978) est sans étiquette précise, La fille de 3eB (Cascade, Rageot, 1995) et Un printemps sans cerises (Syros, 1995) abordent le monde contemporain, Coups de théâtre et Arrêtez La Musique sont les policiers, lesquels flirtent parfois avec la SF, comme L'ordinatueur (Cascade, Rageot, 1997). Son parcours littéraire est jonché de prix littéraires : prix du salon de l'enfance en 76, de la SFF en 88, Tam-tam des 10/14 ans en 96 et 97, Prix Tatoulu et Prix de l'Imaginaire en 98.
Grenier n'exploite pas un thème précis mais est un touche-à-tout inspiré : La Machination, un de ses grands succès, régulièrement réédité depuis 73, pose (déjà !) le problème des monopoles financiers, met en scène des extraterrestres, une lointaine Atlantide exilée sur une lointaine planète et traite également de réalité virtuelle puisque le jeune héros est victime de cauchemars provoqués par la technologie de son époque. L'enfer publicitaire et les jeux commerciaux sont exploités dans Face au grand jeu (Messidor, 1975). Le voyage dans le temps est abordé avec Les Cascadeurs du temps (Magnard, 1977) ou Futurs antérieurs (Zanzibar, milan, 1989), le space opera est régulièrement présent dans son œuvre ( Il y a deux soleils chez les tortupatons, Le Secret des mangeurs d'étoiles, Les Fleurs de l'espace et, plus récemment, la série des Aïna, fille des étoiles, dont six titres sont déjà parus chez Nathan).
On remarquera que la SF de Grenier est à forte dominante sociale, dénonçant le totalitarisme ( Virus LIV3 ou la mort des livres présente une société où la lecture est obligatoire, ce qui est tout aussi inacceptable que celle de Farenheit 451 de Bradbury qui proscrit le livre), pointant les dangers de la technologie ( Virtuel : attention danger !, Zanzibar, Milan, 1995) invitant les peuples à la tolérance et à l'échange. Dans Cheyennes 6112, écrit en collaboration avec William Camus, un auteur jeunesse spécialisé dans le western, deux communautés vivent à l'écart l'une de l'autre ; la première, évoluée, est recluse dans des bulles étanches suite à une catastrophe nucléaire, la seconde, proche de la nature, a réinvesti les plaines et les prairies. Dans Le cœur en abîme, une société extraterrestre a enfermé et oublié au fond des grottes de sa planète la partie de la population à laquelle elle est opposée.
Son œuvre la plus célèbre actuellement est, à juste titre, la tétralogie du cycle du Multimonde ( La Musicienne de l'aube, Les lagunes du temps, Cyberpark, Mission en mémoire morte) qui présente les diverses formes de la science-fiction en promenant les héros dans des univers virtuels rêvés par un savant et auteur de science-fiction décédé au moment de transférer sa mémoire dans un ordinateur. C'est en même temps une réflexion sur la création littéraire puisqu'il est montré de façon transparente comment l'auteur a intégré dans son imaginaire des éléments tirés du réel. La démonstration est encore plus convaincante quand on voit comment l'auteur du cycle s'est, justement, mis en scène (l'écrivain Nigerre est un anagramme de Grenier) en même temps que ses amis (Denis Guiot par exemple). Cette réflexion sur la littérature, Grenier la mène depuis longtemps puisqu'il est également l'auteur d'un roman adulte cette fois, Auteur, auteur, imposteur ! (Denoël, 1990), roman atypique écrit à la première personne plongeant dans l'univers intérieur d'un écrivain.
La science-fiction n'est pas seulement redevable à Christian Grenier de quelques excellents romans pour la jeunesse, mais aussi de sa contribution à la connaissance du genre. La passion, encore, l'amène a régulièrement sur la science-fiction : La science-fiction ? J'aime ! (Messidor, 1981) était une défense et illustration du genre à l'intention des enseignants. Plus récemment, La science-fiction, lectures d'avenir (Presses universitaires de Nancy, 1994), montre en quoi le genre est un stimulant pour l'esprit et une lecture éducative.
Cet auteur multiforme a également travaillé pour le théâtre, la bande dessinée, le dessin animé (vous souvenez-vous de la série télévisée des Mondes engloutis ?) et écrit des contes et légendes comme Les Douze Travaux d'Hercule, qui rejoignent parfois son amour de la science-fiction et de l'astronomie : dans Contes et récits de la conquête du ciel et de l'espace, on navigue entre le réel et l'imaginaire.
Marié et père de deux enfants, Christian Grenier a abandonné l'enseignement depuis dix ans pour se consacrer entièrement à l'écriture. Mais à l'occasion il rencontre encore les élèves dans les classes et donne des conférences sur la science-fiction aux enseignants, dans des centres de formation.
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