Christian Grenier, auteur jeunesse
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Le rendez-vous de Bergerac
(dictée)

 
Dictée donnée le 2 février 2006 au Cloître des Récollets à Bergerac

     Le deux février mille cinq cent soixante-trois, Montaigne avait frêté dès potron — minet un carrosse qui s'était mis en route vers Bergerac. Le futur auteur des Essais avait appris, au cours de récents échanges épistolaires, que son ami La Boétie était atteint d'un mal dont les causes, ambiguës, n'avaient pu mettre les médecins d'accord.
     La Boétie, cette sommité des Lettres françaises, Montaigne l'avait croisé à Paris neuf ans auparavant. Mais leur authentique rencontre avait eu lieu au cours de l'été mille cinq cent cinquante-sept, au Parlement de Bordeaux où Montaigne avait acquis le statut de conseiller à la Cour des Aides. Le dessein de Montaigne n'était pas encore d'écrire, bien qu'il fût impressionné par l'œuvre de son aîné, dont il goûtait sans remords les forts accents de stoïcisme.
     Les deux hommes s'étaient vite liés d'amitié. Mais La Boétie habitait Sarlat !
     Aussi, ce matin-là, Montaigne rongeait son frein dans son petit coche aux allures de carriole auquel avaient été attelés deux alezans bâtards au crin rougeâtre.

***

     Vers midi, Bergerac apparut et Montaigne aperçut son ami, déjà arrivé, assis face à un relais de poste et penché sur d'étranges fruits secs indéhiscents. Après que les deux amis se furent salués, serré la main et en fin de compte embrassés, l'aîné s'écria :
     — Voyez, Michel, ces jolis caryopses !
     — Seriez-vous passionné de botanique ? demanda Montaigne, atterré par le teint hâve et la mine exsangue de son alter ego.
     — Les téguments qui protègent la graine de ces spermatophytes dicotylédones sont intacts ! N'est-ce pas une chance inouïe ? s'entêta La Boétie.
     Il n'avait plus sa raison. Les deux hommes se séparèrent après avoir évoqué les séditieux Huguenots.
     Montaigne ne reverrait son ami que pour assister, peu après, à son agonie aggravée par la dyspnée, la dysphagie et la dysurie.
     Plus tard, la ressouvenance du rendez-vous de Bergerac déciderait Montaigne à se montrer digne de l'auteur du Discours de la servitude volontaire. Cénobite retiré dans sa librairie, le célèbre anachorète deviendrait le premier ermite de la littérature.
Christian Grenier



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