Après avoir consacré à Jean-Paul Nozière et Christine Féret-Fleury nos deux premiers « portraits d'auteurs », c'est à Christian GRENIER que nous souhaitons rendre hommage cette fois-ci. Parce qu'il est l'un des écrivains pour adolescents les plus prolifiques sur le marché français depuis de nombreuses années. Parce que la grande majorité de ses œuvres, destinées aux 11-18 ans, est tout simplement excellente...
Christian Grenier C'est à la fin de la seconde guerre mondiale que Christian Grenier voit le jour à Paris, dans le 17e. Ses parents, Roger et Jeanne, sont comédiens et connus dans la période de l'Entre-Deux-Guerres sous le pseudonyme de Roger Charmeuil et Jeanne Yva. Lorsqu'il est enfant, Christian passe donc beaucoup de temps dans les théâtres. Après ses primaires à l'Ecole Communale Georgette Agutte et au Lycée Chaptal, il suit ses études secondaires, d'abord, au Collège Clignancourt et, ensuite, au Lycée Colbert. Au niveau supérieur, son amour des livres le dirige tout naturellement vers un Deug de lettres à l'Ecole Normale d'Auteuil. Mais ce n'est que beaucoup plus tard que son cursus scolaire s'arrêtera, définitivement, avec l'obtention à Nanterre d'une licence et d'une maitrise en Lettres qui déboucheront, en 1990, sur un doctorat d'Etat consacré à la science-fiction. Christian Grenier a exercé de nombreux métiers avant de se consacrer pleinement à l'écriture (depuis 1990) : professeur de Lettres, journaliste, scénariste de BD — et de dessins animés — correcteur, lecteur et rewriter dans l'édition. Christian Grenier est marié, père de deux enfants et trois fois grand-père.
L'écriture, l'écriture, encore l'écriture... Quand on demande à Christian Grenier de citer les événements qui ont marqué sa vie, il évoque sa « fréquentation assidue de la Comédie Française, la lecture de romans d'aventures, la conquête spatiale suivie en direct de 12 à 24 ans, un amour de jeunesse à 16 ans, et l'écriture, l'écriture, encore l'écriture... ». Pas de doute donc : l'auteur de Mercredi mensonge a besoin d'écrire pour exister et s'il estime qu'il n'a pas de projet d'écriture global, son activité littéraire est quand même guidée par une ligne de faite fondatrice : le désir de transformer le monde, de le rendre meilleur, de faire partager ses espoirs et ses angoisses à ses lecteurs. Mais du point de vue formel, il est mû, encore, par une autre idée fondamentale qui explique à elle seule son appartenance au cercle longtemps fermé des écrivains pour adolescents : l'envie d'être le plus efficace, le plus concis et le plus précis possible. Selon lui, « si la littérature vieillesse met souvent un point d'honneur à exprimer des choses simples avec des moyens compliqués, la (bonne) littérature jeunesse a l'ambition de dire des choses complexes avec des moyens simples ». Et l'auteur parisien d'ajouter cette anecdote qui, malgré sa modestie, en dit long sur son cheminement littéraire : « A une directrice littéraire qui me disait : — Je vous demande peu, Christian : des histoires courtes et simples ! J'ai un jour répliqué : — Si vous saviez comme c'est long, de faire court... et compliqué, de faire simple ! » D'après Christian Grenier, il est donc bien plus difficile pour un écrivain de « faire simple » que de laisser aller sa plume là où elle veut. Cette opinion, que nous partageons, met, bien évidemment, le doigt sur un des obstacles fondamentaux qui se dressent entre la littérature pour adultes et celle qui s'adresse aux ados. Et elle montre surtout à quel point cet homme a trouvé sa voie et elle prouve que ses succès en littérature pour adolescents ne sont pas du tout hasardeux. Certes, il ne voulait pas consciemment, au départ, écrire pour les 10-15 ans. Ce sont ses éditeurs qui l'ont orienté dans cette voie. Mais, comme ses romans relèvent assez souvent de l'apprentissage, aident les lecteurs à grandir, à rêver et à réfléchir, ils s'adressent tout naturellement aux adolescents qui sont en pleine construction d'eux-mêmes, qui mutent et gardent leur capacité de s'émouvoir et surtout de s'indigner.
Un remarquable touche-à-tout Lorsqu'on observe de très près sa bibliographie, Christian Grenier apparaît, avant tout, comme un touche-à-tout de la littérature, capable de briller dans tous les genres littéraires et tous les styles romanesques. De l'essai à la nouvelle, en passant par le conte, la saga, le roman ou la bande dessinée, rien n'échappe à sa plume, ni les scénarios de films ni, bien entendu, les textes de théâtre. Mais son éclectisme se manifeste aussi du point de vue de ce qu'il appelle lui-même les « styles romanesques » : de fait, il aborde avec autant de bonheur la science-fiction, le policier, l'aventure, le fantastique, l'historique, le sentimental ou le mythologique. Cela dit, l'auteur de L'ordinatueur manifeste, malgré tout, des préférences pour la fiction, roman ou nouvelle, qui exprime plus de vérités que les fausses histoires vraies et les biographies toujours truquées. « C'est le fameux « mentir vrai » prôné par Aragon », précise-t-il. Et, au sein de la fiction, il possède également ses priorités : les récits policiers et de science-fiction qui demandent une construction rigoureuse et qui, d'une certaine manière, appartiennent à la mouvance du théâtre classique et de sa règle des trois unités. Du point de vue thématique, ses œuvres sont dominées par la quête, la curiosité, l'indignation, l'enthousiasme et l'aventure — notamment celles des hommes et de leurs futurs. Enfin, dans ses romans de SF et dans certains de ses contes, il semblerait qu'il soit obsédé par le temps.
Des débuts rapides et faciles Aussi surprenant que cela puisse paraître, les débuts de Christian Grenier en littérature ont été rapides et faciles. Lui-même n'en revient pas aujourd'hui : « Nous étions en 1969. C'était un roman de 700 pages, le premier tapé avec une machine à écrire toute neuve, que j'avais écrit... pour ma femme. C'était aussi le premier texte que je me décidais à montrer à un éditeur ». Après un refus d'Olivier Séchan qui dirigeait Hachette à l'époque et qui l'avait trouvé trop long pour un récit d'aventures, il a été pris par Tatiana Rageot qui lui a recommandé de le réduire et, ensuite, l'a publié dans la collection « Jeunesse Poche Anticipation ».
Un auteur engagé Comme beaucoup de ses collègues du secteur « Jeunesse », Christian Grenier se considère comme un auteur engagé — au sens où Jean Ferrat l'entend quand il affirme : « Je ne chante pas pour passer le temps ». Oui, il écrit pour changer le monde, le rendre plus tolérant, plus généreux. Il aimerait qu'il y ait encore des hommes sur Terre dans 100, 1000, 10000 ans. Et qu'ils ne soient plus exploités, opprimés, soumis à la loi du plus fort. Les valeurs qu'il défend sont-elle de gauche ou de droite ? Difficile à dire aujourd'hui. Disons simplement qu'elle sont celles d'un honnête homme, avant tout. Pétri d'humanisme et de valeurs de vie qui, à 60 ans, lui permettent de garder en soi cette part d'adolescence — d'innocence ? — qui le rend tout à la fois, si fragile et si fort...
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