Christian Grenier, auteur jeunesse
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Bobigny ?
J’y pense…
Et jamais je n’oublie !

 

     La bibliothèque Elsa Triolet de Bobigny ?
     Nos routes se sont croisées une seule fois.
     En 1995.
     Un après-midi.
     Ce fut une rencontre unique.
     A tous les sens du terme.
     Et pourtant, depuis cet instant,
     Bobigny, j'y pense chaque jour.

     Allons, vous plaisantez ? allez-vous dire.
     Non, pas du tout.
     Je suis vraiment sincère,
     Et c'est la stricte vérité.
     Une vérité et une histoire
     Que je veux ici relater...

     Jusqu'ici — 1995 — j'avais, en tant qu'écrivain
     Reçu pas mal, disons même
     Beaucoup de Prix.
     Tous, du Grand Prix de l'ORTF
     A celui de la Science-Fiction française,
     En passant par Le Prix du Salon de l'Enfance,
     Ou le Grand Prix de L'Imaginaire,
     Tous donc,
     Sans exception,
     concernaient des ouvrages...
     De science-fiction !
     Il m'était pourtant arrivé de toucher
     A l'humour,
     A l'album,
     Au roman social,
     Voire à la bande dessinée
     Ou au scénario de dessin animé !
     Non : mon talent,
     A supposer que j'en aie un peu,
     N'avait été jusque là reconnu
     Que dans le domaine de la SF.

     Or, en 1994 paraissait
     Mon premier roman policier :
     Coups de théâtre.
     Un ouvrage ambigu,
     Pas vraiment pour la jeunesse
     Mais que les adultes liraient peu.
     Pas vraiment une pièce de théâtre,
     Pas vraiment un roman non plus.
     Bref, un récit hybride, étrange...
     Bâtard.
     Publiable — et publié,
     Mais sans doute pas très vendable.
     Seulement voilà, j'ai toujours aimé
     Ce qui bouscule les frontières,
     Ce qui flirte avec les mauvais genres,
     Voire qui n'a pas de genre du tout,
     Ce qui se veut un peu en marge,
     Hors de la littérature majuscule,

     Or, quelques mois plus tard
     Est arrivée la surprise :
     Une lettre.
     Un Prix.
     Celui de la ville de Bobigny :
     Les Bobigneries !
     J'en ai été stupéfait et ému
     Car Bobigny, longtemps, longtemps,
     Avait été ma préfecture.
     Moi, l'exilé du Périgord
     Qui, à l'image de l'héroïne de mon roman,
     ( elle vit dans un studio à Saint Ouen
     Et travaille à la brigade de Saint-Denis ! )
     Avait quinze ans durant vécu
     Dans ce qu'on appelait alors
     Le quatre-vingt treize.

     A l'occasion d'un de nos rares séjours à Paris,
     Chez notre fille — celle-là même
     Qui avait servi de modèle à mon enquêtrice Logicielle
     Une responsable de la Bibliothèque Elsa Triolet
     Dominique Taba ( ou Bénédicte Lorenzo )
     Est venue me rencontrer
     Et me dire :
     Le Prix des Bobigneries
     C'est une œuvre d'art qu'on offre à l'auteur :
     Un tableau, une sculpture, un objet
     Réalisé par un artiste vivant.
     Mais peut-être, avant qu'on l'achète,
     Pourriez-vous nous indiquer un ou deux artistes,
     L'un de vos amis, qui sait ?
     Dont vous aimeriez posséder une oeuvre.

     Etonnante proposition !
     Je ne réfléchis guère.
     Car depuis quinze ou vingt ans,
     Je rêvais d'avoir chez moi une œuvre
     D'un camarade, un ami, un complice :
     Wojtek Siudmak,
     Peintre dont les visions surréalistes
     Dignes de Salvador Dali
     Ont longtemps orné les affiches
     Du Festival de Cannes,
     Artiste dont chacun connaît les couvertures
     De la collection Pocket SF

     Wojtek Siudmak ?
     Me dit Bénédicte ( ou Dominique )
     Qui ne devait pas connaître ce nom
     Et craignait que je ne lui suggère
     Paul Rebeyrolle, Pierre Soulages ou Buren.
     Attention, l'ai-je avertie.
     Je sais que ses œuvres sont chères
     Et qu'il ne s'en sépare pas facilement.
     Nous verrons bien, me répondit-elle.
     Je ne vous promets rien !

     Le jour de la remise du Prix,
     Je suis arrivé en train à Paris
     Avec mon épouse Annette
     Qui partageait alors déjà
     Depuis trente ans avec moi
     Le meilleur et parfois le pire.
     Ce serait, ce jour-là,
     L'heure du meilleur.
     La salle, appelée Pablo Néruda,
     Je m'en souviens, était pleine.
     Pleine de centaines d'adolescents :
     Ceux qui avaient élu mon roman !

     Les officiels étaient présents :
     L'équipe des bibliothécaires
     Et monsieur Chapin, le représentant
     Du Maire.
     Face à un public conquis,
     Je reçus enfin mon cadeau :
     Un paquet de la taille d'un tableau...
     Que j'ouvris.
     C'était bien une œuvre de mon ami Wojtek.
     Un dessin au crayon, taille 21/29,7.
     Un tableau fort bien encadré
     Et signé : W. Siudmak.

     Il représentait, il représente toujours
     Une mer devenue un désert
     Une barque devenue une épave
     Une tour de Babel devenue un arbre...

     Une évocation morbide ?
     Pas le moins du monde. Mais
     Une fenêtre ouverte vers la réflexion,
     L'imaginaire, le temps,
     La vie, la mort, le devenir
     La transformation...
     Un tremplin suggérant à la fois
     La beauté et la vanité de la création.
     Un tableau-miroir,
     Une main tendue,
     Un signe.

     Je me souviens :
     J'ai remercié, improvisé un discours
     Et je suis reparti avec le tableau
     ( et avec ma femme aussi ).
     Revenu dans le Périgord,
     J'ai accroché cet original
     Devant le fauteuil
     Où je me tiens quand je n'écris pas.

     Bien sûr, quelques mois plus tard,
     Wojtek et moi avons fini
     Par nous croiser à nouveau. C'était
     Je m'en souviens, à Nantes,
     Au congrès des Utopiales,
     Une manifestation internationale
     Dont j'ai l'honneur d'être le parrain.
     — Sais-tu que j'ai un tableau de toi ?
     Dis-je à Wojtek après un discours d'accueil.
     — Oui, m'a-t-il répondu. Je le sais.
     Je me souviens fort bien du dessin.
     Il te plaît ?
     — Beaucoup. Mais j'ai été surpris
     Que la ville de Bobigny me fasse
     Un cadeau aussi somptueux.
     — Pour le prix, ils ont fait un effort,
     M'a confié Wojtek en souriant.
     Du coup, m'a-t-il confié
     J'en ai fait un moi aussi.
     Pour toi.

     Voilà.
     L'histoire est simple, n'est ce pas ?
     Mais revenons en Périgord,
     Dans ma maison, dans mon séjour.
     Car, faut-il le préciser ?
     Le fauteuil face auquel
     Ce tableau est accroché,
     J'y suis assis très souvent :
     Chaque soir, une, deux ou trois heures.
     Car quand je n'écris pas,
     Je lis !
     ( Les écrivains sont insupportables )
     Mais bien sûr, de temps à autre,
     Il m'arrive de relever les yeux,
     Pour faire le point, réfléchir, penser.
     Et surtout rêver un peu.
     Chaque fois, en levant la tête,
     Mon regard tombe sur ce tableau.
     Dans ma mémoire, malgré moi,
     Se déroule alors à l'envers
     Toujours le même scénario...
     Oui, je reviens en arrière :
     Aujourd'hui, je vis de ma plume
     Ou plutôt de mon ordinateur
     Et j'en vis beaucoup mieux qu'avant,
     Beaucoup mieux qu'il y a dix ans.
     Et tout ça, grâce à Logicielle,
     Mon héroïne fétiche
     Qui a déjà vécu une dizaine d'enquêtes,
     Et touché plusieurs centaines
     De milliers de lecteurs.
     Or, Logicielle est née avec
     Coups de théâtre,
     Un roman qui,
     De façon très inattendue,
     A bénéficié d'un Coup de pouce
     De Bobigny.
     Dans ma vie d'écrivain,
     Je me dis,
     Que d'une certaine façon,
     Tout est parti
     De Bobigny.

     Une ville dont le nom et l'adresse
     Sont pour moi tout un programme,
     Une adresse pleine de promesses :
     Ah, Elsa Triolet !
     Et le square Dashiell Hammet,
     Un mariage audacieux et bâtard
     Qui me convient tout à fait !

     Aujourd'hui, Bobigny est loin.
     Je n'y suis jamais revenu.
     Mais grâce aux Bobigneries
     Et à son inoubliable Prix,
     Le souvenir est là,
     Tenace, opiniâtre, fidèle.
     Oui, à mes yeux, dans mon cœur,
     Bobigny rime avec
     Merci.

     Christian Grenier



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Dernière mise à jour du site le 12 octobre 2021
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