J'ai toujours adoré écrire. J'ai commencé en classe de Seconde, me faisant l'historiographe de la classe, en racontant sous forme de pastiches des classiques, les événements du lycée, nos démêlés avec les profs, etc. Beaucoup de poèmes sérieux et secrets entre 15 et 18 ans ! Aucune intention consciente d'être écrivain ; aucun écrivain dans mon environnement. J'étais pupille de la nation et boursière et je savais très bien que je devais avoir un métier sérieux !
Ensuite, fac, préparation des concours : pas le temps de « glander »... et l'écriture passe à l'arrière-plan. Devenue prof, je rencontre Claude. Naissance de Luc ( 1962 ) et Pascale ( 1963 ). En 1965, ma mère meurt d'une leucémie. Naissance la même année de Véronique ; et pendant ce troisième congé de maternité, je me remets à écrire, écrire, écrire... D'abord des contes. Sans savoir pour qui. Les éditeurs m'apprennent que ces textes « s'adressent à des enfants ». Pourquoi ?
Quelques tentatives d'introspection : jusqu'à ce que j'aie sept ans, ma mère me lisait le soir des contes à haute voix. J'ai d'abord cru que le choc de sa mort m'avait poussée à retrouver et à recréer ma propre enfance, les jouets et les jeux de mes propres enfants me servant de tremplin. Une façon de nier la mort, en somme. Claude, de son côté, à la même époque, écrivait un ensemble de poèmes appelés Le cheval bleu qu'il croyait pour adultes. Mais il s'est aperçu ensuite qu'ils s'adressaient en fait aux enfants.
Pour en revenir à mon parcours personnel, j'avais vécu mon enfance dans une atmosphère d'hypocrisie sociale et familiale où l'on m'avait fait idéaliser ma mère... Il a fallu que j'arrive à plus de soixante ans pour que des révélations familiales fortuites me fassent redécouvrir ( il y avait eu aussi un black out de l'inconscient ) qu'entre 7 et 15 ans, j'avais vécu dans une solitude psychologique totale et à peu près sans dialogue avec personne ! Vers quinze ans, j'ai pu m'appuyer d'abord sur une de mes profs de Lettres, ensuite sur ma prof de philo, devenue un peu ma mère spirituelle... Je pense qu'à sept ans, je suis « entrée dans les livres » pour oublier ma vie et survivre, pour vivre d'autres vies par procuration : une évasion totale, en somme, qui a sûrement été ma seule façon possible de résister et de survivre.
Qu'en conclure ? Au moins deux hypothèses qui ne sont d'ailleurs pas contradictoires :
* Je suis devenue écrivain pour vivre par l'écriture une enfance et une préadolescence que je n'avais pas eues.
* Les livres ayant été ma seule planche de salut, peut-être à un certain niveau ai-je voulu inconsciemment rendre à des enfants d'aujourd'hui ce que certains auteurs avaient fait pour moi dans mon enfance...