Cela a commencé voilà quelque trente ans.
Jeune professeur, je débarque dans une Ecole Normale.
Mission 1 : former des instituteurs. Mission 2 : recycler ( à cette époque, on ne parlait pas encore de formation permanente, on « recyclait » ) les instituteurs en exercice.
Etat des lieux. Parmi mes observations diagnostiques comme on dit aujourd'hui : une pauvreté quantitative et qualitative en matière de livres mis entre les mains des enfants. En dehors des incontournables et fort respectables Contes de Perrault, Babar, Sophie et ses malheurs, Le petit Prince, Le Père castor, les bibliothèques Verte et Rose... c'était le quasi désert ponctué de quelques vampirettes, secte des six, petits gnan-gnans et autres gros gnou-gnou.
Il fallait chercher autre chose. Notamment s'intéresser à la production contemporaine. Alors, j'ai cherché. D'abord à tâtons, comme un aveugle, au hasard comme un autodidacte. Et j'ai rencontré.
J'ai rencontré les éditions Léon Faure, Le Sourire qui mord, Harlin Quist, L'Ecole des Loisirs, Ipomée... J'ai lu, vu, croisé des pionniers, des auteurs, des illustrateurs : François Ruy-Vidal, Jean Fabre, Nicole Maymat, Christian Bruel, Raoul Dubois, Bernard Epin, Geneviève Patte, Anne Bozellec, Tomi Ungerer, Lela et Enzo Mari, Léo Lionni, Sendak, Lobel, Mordillo, et j'en passe.
Et j'ai nagé, ébloui, au milieu de toutes ces pages, dans ces mers encore très ignorées et si différentes.
Chercher, découvrir, faire connaître, c'était mon credo : c'est ainsi que je suis devenu le colporteur de toutes ces bonnes nouvelles, dans ma petite Ecole Normale de province ; puis critique dans des revues pédagogiques.
Mais, si la critique est assez facile, l'art me paraissait autrement difficile. Et un beau jour, je me suis dit : et si, moi aussi, je m'y mettais, si j'écrivais un livre pour les jeunes. Auusitôt dit, aussitôt fait. ( J'avais déjà, avouons-le, une bonne expérience de l'écriture par le biais du journalisme et de la publication d'ouvrages de pédagogie ).
Quelque temps après, avec le culot inconscient des néophytes, j'ai envoyé mon premier manuscrit à L'Ecole des Loisirs. Manuscrit accepté, livre publié : L'enfant qui avait la mer au fond du coeur ? Une histoire que j'avais écrite pour ma fille.
Bref, la brèche était ouverte. Ensuite, j'ai encore écrit pour Messidor La Farandole, pour Hachette, pour Milan, pour Albin Michel, pour Didier jeunesse, pour la SEDRAP... pour rencontrer aussi des illustrateurs nouveaux, accompagnant mes textes de leurs rêveries et fantasmes. Pour mes enfants, mes petits enfants, pour les enfants des autres, pour ceux que j'aimais, pour être aimé...
Pour moi, surtout.
Car écrire m'est aussi indispensable pour vivre que nager l'est pour un requin. Ecrire, c'est exister. Mon dernier ouvrage, Il ne faut pas faire pipi sur son ombre, s'adresse aux 4-7 ans et plus. Je n'avais pas encore écrit d'album pour ce type de public. mais j'adore changer : de thème, de genre, de ton, de rythme, d'écriture... sans doute parce que je suis encore en apprentissage. Peut-être arriverai-je un jour à la maîtrise, trouverai-je enfin mon « vrai » style.
Et ce jour-là, sans doute, la quête étant achevée, il ne me restera plus qu'à me taire.