Site officiel de Elisabeth Vonarburg
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En 2007, je me suis vu attribuer en France le Prix Cyrano, alors tout frais et pas encore moulu (il avait été créé en 2004). Je me suis toujours interrogée sur le nom de ce prix, mais il renvoie peut-être à ce vers célèbre du Cyrano de Tonton Rostand, dans la tirade des Nez — “Je me les sers moi-même, avec assez de verve…”, dont j’ai modifié la suite en : “et je n’ai pas besoin qu’un autre me les serve”. Car il est remis lors de la Convention nationale française de SF “à une personnalité de la SF invitée à la Convention”. Un prix de présence, auto-gratulatoire en quelque sorte, mais qu’on m’avait décrit comme un prix pour l’ensemble de l’œuvre — et qui l’est aussi, je crois, somme toute, si j’en juge par les trois augustes qui m’ont précédée et les onze augustes qui m’ont suivie.

Il y a quelque chose de doux-amer à recevoir un prix de ce genre à soixante ans (même pas l’âge de bronze officiel !) plus encore après, alors qu’on se pense encore un peu vivante quelque part et qu’on croit, ou espère, avoir encore quelques petites histoires à raconter. Mais telle est la dure loi du sport : après avoir fini un roman, quant à moi, je n’ai jamais vraiment été sûre qu’il y en aurait un autre après. Et donc “pour l’ensemble de l’œuvre… jusqu’à présent”, ça se prend bien !

Et puis, la statuette de Caza, trophée concrétisant le prix, est vraiment magnifique. Jugez-en :

 

En 2007, je n’ai pas voulu emporter ce prix : mes valises étaient lourdes, j’en avais plein les bras, l’idée du long périple de retour m’épouvantait quelque peu… “ Pas de problème, m’a-t-on aimablement dit, on va te l’expédier.”

Cool. Je suis rentrée et j’ai attendu.

Puis, inquiète de jouer les Sœur Anne, je me suis enquise. Ah ben non, on ne l’avait pas encore envoyé, mais on allait le faire.

Au bout de quelques autres mois, m’étant de nouveau fait assurer que non, ça n’avait pas été perdu en route puisque pas envoyé, j’ai cessé de regarder la route qui poudroyait. Je retournerais bien en France à un moment donné, et alors, je récupérerais la chose, pas de problème.

Quelques années plus tard (convention… festival…), “Bon, les copains, je reviens, vous me préparez cette statuette ?”

Ah, mais, on ne savait pas trop qui l’avait, la statuette. On allait se renseigner.

Je ne sais trop ce qui s’est passé (ma mémoire n’est plus ce qu’elle n’a de toute manière jamais été), mais je n’ai pas remporté The Statuette chez moi cette année-là.

Ni une autre année. On avait oublié de l’apporter.

Ni une autre année : j’avais oublié de demander — acte manqué, peut-être.

Il y a eu d’autres visites en France, et mentionner la statuette du prix est devenu — quand j’y pensais — une sorte de private joke entre moi et moi.

Et puis, l’an dernier — l’année de mes soixante-dix ans, l’entrée vraiment officielle dans l’âge de bronze —, voyant passer une photo de la statuette et en appréciant une fois de plus la splendiosité, je me suis dit que, finalement, j’aimerais quand même bien l’avoir chez moi. J’ai donc effectué les démarches adéquates, ai retracé la personne qui la couvait et lui ai demandé de me l’apporter.

“Pas de problème.”

Hélas, la mémoire de cette personne étant aussi bonne que la mienne, elle l’avait laissée dans son soigneux emballage sur le comptoir de sa cuisine.

OK, ça arrive, nous ne rajeunissons ni les uns ni les autres et toute cette sorte de choses. Nous nous sommes assurés mutuellement que la prochaine fois que je reviendrais, tagada, la statuette serait là.

Et elle le fut. Couchée dans l’humble sarcophage d’une boîte à chaussures et enveloppée de morceaux de draps blancs agrémentés de papier (blanc aussi, un linceul approprié), elle me fut remise en mains propres, quoique furtives, sur le plancher des Utopiales de Nantes.

Onze ans après, vieux motard que jamais, The Statuette est chez moi.

Eh bien, en partie. Il lui manque un bras. L’autre avait été recollé — mal, il s’est répandu de nouveau dans l’emballage que j’avais arrangé pour que ça tienne dans ma valise et m’épargne des ennuis aux contrôles d’aéroports (l’objet de trente cm de haut, lourd et contondant, a tout de même un profil un peu inquiétant). Le socle est fissuré. Et de la majestueuse crête, il ne reste rien.

Que voulez-vous, les héros sont fatigués. Celui-ci a vécu, il a perdu des plumes en route — comme moi. Après tout ce temps, il est devenu un symbole des plus appropriés pour une vieille combattante, et je le mettrai en bonne place dans mon bureau (après avoir recollé son bras aussi bien que je le pourrai).

Mais j’aurais aimé pouvoir penser que les créateurs du prix, lesquels l’ont tenu assez au sérieux, semble-t-il, pour le doter de cette belle statuette, en prennent aussi les récipiendaires assez au sérieux (sans parler de son créateur !) pour s’assurer de la leur remettre en temps utile, et intacte.

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