ÉDITO 13

|
LA RETRAITE, C'EST QUOI ?
On te dit régulièrement "un artiste ne prend jamais sa retraite"… Bien sûr, on doit mourir en scène ou le crayon à la main… Mais la question n'est pas là : la retraite, c'est bien, tout simplement parce qu'on n'est plus obligé de travailler pour question de survie. C'est-à-dire qu'on peut travailler (s'activer, faire quelque chose) pour le seul plaisir ou à peu près. On me dit aussi que quand on fait de la BD, c'est une passion, c'est un plaisir, c'est pas pour l'argent. Oui, mais non… Comme tout le monde j'ai eu une famille à nourrir, des loyers à payer, etc. C'est-à-dire qu'une part de mon énergie au travail tenait à cette contrainte : un chèque à la fin du mois, comme "tout le monde". Je suis bien sûr extrêmement conscient de la chance, du privilège que c'est de pouvoir être payé pour faire ce que j'aime le plus. Ou de pouvoir passer ma vie à faire ce que j'aime le plus tout en gagnant ma vie. Ce que la retraite prolonge.
Au début, j'ai eu des scrupules. (Je suis un garçon scrupuleux, hé oui.) Je voyais arriver des sous chaque mois sans avoir travaillé pour, sans que cette somme soit la paye directe d'un travail. Puis je me suis habitué : après tout, j'ai travaillé, j'ai cotisé, j'y ai droit. Mais philosophiquement ou politiquement, j'ai toujours eu du mal avec les notions de droit. Le "droit de -" ou le "droit à -" me semblent toujours des choses fragiles, des inventions (précieuses) de notre civilisation, toujours susceptibles d'être anéanties pas les circonstances… Dans la nature, le droit n'existe pas… et la nature est à tout instant susceptible de "reprendre ses droits"…
Bien que j'en aie eu l'âge légal depuis un moment déjà, dans ma tête, je ne pouvais pas demander ma retraite avant d'avoir terminé Le Monde d'Arkadi. Il me fallait un point final. Quand j'ai mis la dernière main au dernier tome, le lendemain, j'ai écrit à ma caisse de retraite et enclenché le processus. Non que je me dise « maintenant je ne vais plus rien foutre », mais quelque chose comme mon "grand œuvre" étant accompli, j'allais pouvoir me consacrer à des tas de petites choses laissées en attente depuis…
Le Monde d'Arkadi, ça m'a occupé vingt ans, quand même !
La pêche à la ligne ne m'intéresse pas, le jardinage me fait mal au dos… J'aurais pu me mettre à la peinture, ou dessiner juste pour moi, mais voilà : depuis toujours je suis accro à la publication, à l'édition.

|
LE DESSIN DE PRESSE
Le dessin de presse, ou d'actualité, avait toujours été très marginal, chez moi : quelques occasions de collaboration à La Gueule ouverte dans les 70's, quelques occasions militantes… et pas mal d'idées jetées sur des papiers et restées inédites jusqu'à ce que je les recueille dans "Les Mois sont de papier / 03". Dans la présentation de ce bouquin, j'évoque ma problématique par rapport à ça : l'urgence, la nécessité de réagir vite, d'être très direct, je me demandais si c'était "pour moi"… se pose aussi la question de la caricature, c'est à dire de l'attaque ad hominem, de la moquerie envers le physique même de certains (hommes politiques ou médiatiques en général…) Il faut dire que mon père a été une partie de sa vie caricaturiste pour L'Équipe, dans le domaine sportif, donc, et qu'il avait ce talent de "simplifier et exagérer" un profil… le coup d'œil qui fait que le dessin fait dire ensuite : « Ah ! c'est bien lui ! » Bref, je complexais un peu.
Et puis Siné-Hebdo vint. Lecteur que j'étais de Charlie-Hebdo, déjà réticent aux éditoriaux de Philippe Val, quand éclata la gabegie qui mena au renvoi de Siné par ce même Val, je pris tout de suite parti pour Siné contre Val. Si bien que quand le Siné en question, peu après, lança son propre canard (à 79 balais !), je pris cela comme une occasion : après encore quelques hésitations, j'envoyai quelques dessins par le net et ça accrocha tout de suite. Si bien que je fus présent dans cette belle aventure au long des N°s 25 à 86. Puis le journal craqua faute de ventes suffisantes. Puis vint La Mèche, qui craqua aussi assez vite : 13 N°s… mais après tout c'était toujours ça d'expression, de diffusion… Depuis, il y a Zélium, franco-belge et mensuel (qui a presque craqué aussi, mais tient le coup en bimestriel, en alternance avec son bébé Z-minus)… Et puis Carali se rappela à mon bon souvenir avec Psikopat, présent et perdurant depuis plus de vingt ans. (Mais même s'il n'y avait aucun canard pour me publier, j'officierais sur le net… Après tout, mes "Lettres Ouvertes" sont du travail sur l'actualité, en texte et dessins, depuis déjà pas mal d'années… Ça tient éveillé et engagé !)
Cela pourrait suffire à mon bonheur, mais j'ai quelques autres occasion de travail, des commandes : un décor de théâtre, des illustrations de bouquins de SF, comme toujours, ou de jeux de rôle, comme parfois, des participations à des collectifs. Et puis des propositions comme « Tu ferais pas un petit port-folio ? » (résultat : le "Personnel" chez Granit…) ou « Tu ferais pas un petit bouquin de dessins ? » (résultat : "La Porte Rouge", chez Le 9ème Monde). Deux réflexions à ce propos : le fait d'avoir encore des commandes fait du bien, ça te prouve que tu existes encore autrement que comme une pièce de musée… Et le fait d'avoir des projets aussi fait du bien, pas seulement répondre à la petite semaine aux occasions qui se présentent, mais engager des projets plus personnels et à plus long terme et avec un aboutissement concret : un bouquin. C'était le cas de "La Porte Rouge", mais j'en ai d'autres sous le coude (voir plus loin).
Si bien que – bilan – je peux dire que j'ai eu six carrières : la publicité qui m'a tenu dix ans, l'illustration SF, quelques centaines de couvertures, la bande dessinée, une vingtaine d'albums, le cinéma d'animation, deux grands films et quelques petits, le dessin de presse (je n'ai pas fait le compte, mais ça doit commencer à faire !), le décor de théâtre, trois (théâtre, danse, opérette). On m'a signalé récemment qu'il me manquait le livre pour enfants… Ça peut encore arriver…
Où je voulais en venir avec tout ça ? Faire un point rapide sur "ma-vie-mon-œuvre", une sorte de bilan de carrière, comme le réclame la sécu pour, justement, t'accorder ta retraite… Et encore dire, oui : « Vive la retraite (active) ! »
LE JARDIN DÉLICIEUX
Et puis, question d'activité créative, le démon m'a repris. C'est que le dessin de presse, c'est bien, c'est des petits boulots rapides, variés… mais en même temps m'est revenue l'envie d'une production très personnelle et sur du plus long terme. Autrement dit une vraie BD.
"Le Jardin Délicieux" est donc un album BD que j'ai réalisé entre août 2011 et janvier 2012… et qui n'a pas trouvé d'éditeur "normal". Ceux-ci trouvent ça très bien, très personnel, très "en verve"… mais "difficile à vendre". Comme j'ai fait ça dans un état de jubilation et de liberté totale, comme un débutant qui ne se préoccupe pas de son éditeur, de son contrat, de ses sous (grâce, on y revient, à la retraite), l'éditer moi-même, dans la même liberté et jubilation légèrement provocatrice était finalement cohérent.
Ce qui m'a amené à me lancer dans une sorte d'auto-édition, mais en profitant au maximum des techniques modernes : édition numérique sur Internet, impression numérique à la demande… Et comme, par ailleurs, j'avais pas mal de réserves à exploiter, j'en suis venu à l'idée de monter une boutique virtuelle pour tout ça.
CAZA/eBOOK
CAZA/eBOOK est donc une "case à eBOOKS", une boutique en ligne destinée à diffuser d'abord mes productions les moins connues, ou les moins diffusées, ou les plus diffusées du tout… D'une part des reproduction en fac-similé de vieux albums sortis du commerce depuis longtemps, d'autre part des nouveautés : dessins éparpillés dans la presse, ici réunis en albums virtuels, et même des productions toutes fraîches et inédites.
Le but est essentiellement de rendre tout ça disponible, accessible aux amis, amateurs, nostalgiques, curieux. Le but c'est que ça existe, et pas cher, et le moins possible à base de papier, carton, stocks sur palettes, camions, représentants, diffuseurs… Directement du producteur à l'amateur, donc.
D'abord parce que j'ai dans mon histoire ("carrière", on dit "carrière") quelques bouquins (Kris Kool, 1970 !) que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître, parce qu'ils sont sortis du commerce assez vite et n'ont jamais été réédités. Et sans doute ne le méritent-ils pas, parce qu'ils intéresseraient, de nos jours, au bas mot cent ou deux cents lecteurs (dans le monde). Et donc quel éditeur suicidaire s'y intéresserait-il ?
En tout cas sous forme papier. Question de poids : une diffusion virtuelle sous forme de PDF à lire en ligne ou à télécharger, certes ça dépense de l'énergie, mais au moins pas des tonnes de papier, encres d'imprimerie, reliure carton, etc. Et les hangars de stockage que cela suppose… et les transports en camion sur les zotoroutes, etc. Sans compter que j'ai parfois le sentiment d'avoir passé ma vie à manipuler du papier, et que c'est lourd, et que ça prend la poussière, et que j'en ai marre !
Il s'agit aussi, accessoirement, d'aller contre la spéculation. Il y a sans doute des petits malins spéculateurs qui surveillent la cote des albums anciens en espérant qu'un jour ça atteigne des prix à la tintin… (Compte là-dessus, tiens…)
Et puis, apparemment, il y a aussi du piratage, dans la BD, et du téléchargement illégal. Tant qu'il s'agit d'albums d'auteurs morts ou d'albums "plus dans le commerce", on s'en fout un peu… Mais en tant qu'auteur encore vivant, j'aimerais mieux garder un certain contrôle dans cette mise à disposition de bouquins introuvables, et tant qu'à faire que ça ramène un peu de sous. Je sais qu'il y a une grosse offre de gratuit sur Internet, alors pourquoi pas gratuit ? Juste pour des raisons techniques, en fait. Je n'imagine pas un instant me faire plein de sous avec ça, ni même me payer les heures passées à scanner des vieux bouquins, nettoyer les fichiers, monter des PDF. Par contre, ce site boutique, il y a un webmaster (mon fils Romain) qui le fabrique, qui le gère, et c'est du boulot. Et donc les sous qui rentrent, c'est pour lui.
Donc, pas gratuit, non, mais pas cher, surtout pour les fac-similés, et un peu plus cher pour les nouveautés, parce que… eh bien parce que c'est des nouveautés.
Quant à des versions papier, c'est encore une question de coût et d'encombrement. Pas question de me transformer en auteur auto-éditeur, avec des palettes de bouquins dans mon garage, et forcé de courir les festivals hebdomadairement avec une camionnette pour vendre mes trucs. Donc, s'il y a des versions "papier", ce sera uniquement pour les nouveautés, et en impression numérique "à la demande", vendu sur le net uniquement, ici ou ailleurs : pas de stocks !
Techniquement, les vieux trucs sont diffusés uniquement en fac-similé : en effet, les livres en question n'ont jamais été traités numériquement, refaire une vraie édition à partir des originaux serait trop compliqué et coûteux. Les PDF sont donc montés à partir de scans des éditions imprimées, à une définition suffisante pour la lecture sur écran. Certains ont droit à des bonus : couvertures ou pages alternatives, croquis préparatoires, reprise d'ex-libris ou autres para-BD d'époque… Tout ça selon ce qui existe et que je retrouve dans mes cartons, mes CD de sauvegarde, ma mémoire…
Les nouveautés, par contre, sont en général des dessins ou BD déjà travaillés sur ordinateur, les PDF sont donc montés à partir des fichiers originaux… et avec ceci de bien que c'est beaucoup plus beau et lumineux à l'écran que ça ne pourrait l'être sur papier.
Au final, donc, des eBOOKS à télécharger sous forme de PDF à lire quand on veut sur son ordinateur ou sa tablette. (Sans doute pas sur les "liseuses" (kindle ou autre) ou les smartphones, parce que c'est trop petit ! Valable à la rigueur et seulement pour les dessins de presse.)
Côté anciennetés, comme j'aime bien prendre les choses dans l'ordre, dans un premier temps, on a "Kris Kool" (1970) et "Fume, c'est du Caza" (1975). Puis un recueil intitulé "Les Monstres du placard / 1", réunissant une bonne part de l'album "Le Caillou rouge et autres contes", et des petits trucs parus dans Actuel et dans des fanzines dans les années 70. Il y en aura un second avec d'autres productions un peu en marge des années 70 et 80.
|
Côté nouveautés, j'ai tapé d'abord dans les dessins de presse ou d'actualité que je ponds depuis 2009. (Plus de 400 de 2009 à 2011.) Une bonne part sont dispersés dans des hebdos et mensuels (Siné-Hebdo, La Mêche, Zélium, Psikopat, Barricade…) d'autres sur le web (dans mes Lettres Ouvertes, mon blog, Facebook…), et j'en retrouve tous les jours dans mes carnets ou dans mon ordi. Ils sont donc réunis sous forme d'albums virtuels, très simples, un dessin par page, rangés dans un ordre à peu près chronologique, en tout cas pour ceux qui collent à l'actualité… Un eBOOK par année, des PDF de 120 pages ou plus. La série commence avec "Pour en finir avec 2009" et se continuera avec 2010, 2011, 2012, etc. si la fin du monde ne l'interrompt pas.
|
À ce propos d'ailleurs, un premier recueil papier est déjà disponible, une cinquantaine de dessins couleurs tendance écolo au format 21x21, intitulé "La Fin du Monde ne passera pas !" D'autres suivront sans doute, des petits recueils à thème comme ça, histoire d'exister un peu plus concrètement. Moi aussi j'aime le papier, et il ne faut pas négliger le libraire (le libraire est notre ami), mais pas question de faire appel à un distributeur, "force de vente", attachés de presse, diffuseur, coiffeur… On se débrouille artisanalement : des tirages de départ à 50 ou 100 exemplaires, et ce uniquement pour les nouveautés, ce que permet l'impression numérique "à l'unité". La Poste pour les envois (en faisant gaffe que les frais d'envoi ne grèvent pas les prix), les libraires locaux livrés en vélo, quelques festivals et séances de dédicaces…
Ainsi prit forme "Le Jardin Délicieux"
À la base, c'est, racontée par un conférencier érudit, l'histoire classique de Dieu (Yahvé de son prénom), du premier homme (dit "l'adam") et de la première femme, finalement nommée Ève, comme chacun sait. Tout cela dans le cadre idyllique de l'Eden – le Jardin Délicieux. Mais on y trouve aussi un gros Golem, une certaine Lilith, un chasseur de passage, une psy lacanienne et sexy tendance SM, une masseuse japonaise… et bien sûr un certain Nakash, le serpent, "le plus nu de tous les animaux que Yahvé Dieu a fabriqué".
Je ne suis certes pas le premier à m'attaquer à ce mythe, mais il s'agissait de le revisiter avec humour et en me permettant tout : la familiarité, la légèreté, l'ironie, l'irrespect, la grivoiserie, le déconnage pur et simple – après tout il s'agit bien de gens à poil, de fruits juteux, de serpent rusé, de morale patriarcale… et de la découverte de la sexualité.
Une version gentiment iconoclaste et sexy qui n'empêche pas la pédagogie : le texte d'origine est bien là, scrupuleusement transcrit, mais complété, décrypté ou détourné, en m'appuyant sur moult interprétations et commentaires savants de vieux rabbins, pères de l'Église et modernes philosophes et psychanalystes (d'où une abondante bibliographie). Et donc la problématique d'origine est bien présente : le bien et le mal, les sens interdits, la faute de désobéissance, le libre arbitre, l'émancipation – mais de "chute", il n'est pas question !
… Et une conclusion personnelle qui tire de cette vieille histoire quelques conséquences pour ici et maintenant.
Coté dessin, rapide, léger, avec une certaine dose d'improvisation, et les couleurs qui vont avec : fraîches et souriantes la plupart du temps – après tout on est au paradis terrestre… Tout cela plus proche de ce que je fais dans la presse satirique que de mes BD précédentes ou de mes illustrations de SF.
Formellement, le bouquin se présente sous deux versions.
• Une version papier classique : un album broché de 64 pages couleurs au format A4. Impression numérique, tout petit tirage, on réapprovisionnera au fur et à mesure des demandes.
En vente par Internet, sur notre site boutique, 12,50 euros + port, et ce n'est que très accessoirement qu'il sera présent chez quelques libraires amis et proches et à l'occasion de séances de dédicaces.
• La seconde version est l'album virtuel téléchargeable, au format PDF ou ePub (mais pour de l'image, nous recommandons le PDF) lui-même en deux versions pour le même prix (6,50 euros) : une présentation "album", reprenant strictement l'album papier, ce qui permet la vision par double page pour qui dispose d'un grand écran, mais aussi une version redécoupée sur deux strips par page, dans un format carré, donc, idéal pour la lecture sur un ordinateur portable ou une tablette. (Cette adaptabilité au format écran faisait d'ailleurs partie du projet dès le départ.)
Cet édito est énorme, mais il fallait bien ça !
Tous les précédents éditos, et bien d'autres choses,
se retrouvent au chapitre "Archives". Bonne visite!