LETTRES
OUVERTES
(DÉLITS
D'OPINION)
Depuis octobre 2008, les Lettres Ouvertes ci-dessous paraissent d'abord
sur mon blog, http://philippe-caza.blogspot.com, avant d'être recopiées ici.
Visitez le blog pour être sûr de lire les plus récentes.
LETTRE OUVERTE
À CEUX QUI LA LIRONT
Chers
récipients
indisclosés (traduction approximative de
"undisclosed recipients")
Quand
j'ai créé mon site, j'ai posé la rubrique "Le Machin du jour" avec un
peu l'idée du blog :
mettre chaque jour "le truc qui me passe par la tête". Mais évidemment,
ce genre d'ambition n'a qu'un temps, trop lourd à gérer… et puis mon
site est quand même avant tout professionnel (quoique avec des
dérogations et
dérapages — mais contrôlés.)
Pourtant
je restais frustré de cette envie d'une expression directe, rapide, à
diffusion immédiate, sur des sujets
d'actualité. Quand je pleure devant les infos ("les restes du monde",
comme on dit au Groland), quand je reçois une info protestataire ou une
pétition "à transmettre à tous vos correspondants", et quelques autres
occasions non
répertoriées, comme des simples envies de déconnage en réaction à un
fait d'actualité, ou quand un travail de réflexion a mûri et demande à
sortir.
Je pourrais faire
un blog, donc, mais en en visitant quelques uns, j'ai
eu souvent l'impression de trucs vides, purement nombrilistes et que
les visiteurs de ces blogs étaient essentiellement eux-mêmes des
blogueurs et donc que ça tournait un peu en rond…Je ne tiens pas du
tout à me retrouver avec une sorte de "forum-café du commerce" sur les
bras.
Faire une lettre
ouverte adressée à tout mon carnet d'adresse, comme je le fais de temps
en temps à l'occasion d'une annonce d'importance internationale, comme
l'actualisation de mon site
ou mon dernier bouquin sorti? Le problème, c'est que j'ai 400 adresses
ou plus, souvent strictement professionnelles, souvent spamées dans
d'autres courriers, ou récupérées de gens qui ont juste
laissé un mot sur mon site en passant. Je ne tiens pas à importuner
tout ce monde-là chaque fois que j'ai un état de
travers ou un pet d'âme. Sans compter que ça prend du temps et que ça
suscite pas mal de courrier automatique en retour, du type "n'habite
pas à l'adresse" ou "mailbox quota exceeded".
Donc,
je me suis
contenté tout d'abord de sélectionner
dans mon carnet d'adresses e-mail une petite liste de correspondants a
priori "importunables" avec ce genre de choses…
Et
puis, dans un second temps,
je me suis dit que tout ça
pourrait être archivé sur mon site au fur et
à
mesure, mis à disposition de qui veut.
C'est
parti, donc.
Pour
les nouveaux venus,
j'ajoute qu'une mailing-list spéciale
vous permet de vous inscrire (et de vous désinscrire)
librement
et de recevoir ainsi ces LETTRES OUVERTES chez vous par e-mail, chaque
fois que ça me pète et jusqu'à ce que
vous en ayez
marre.
Signez
là!
J'ajoute
encore que vous
êtes libres de rediffuser de votre
côté mes envois – c'est même
fait pour
ça! (Certains sont d'ailleurs déjà des
rediffusions, ce qui fait que certains d'entre vous verront revenir
vers eux des trucs qu'ils avaient eux-même
diffusés… mais c'est le principe du
réseau, et la
commande "destroy" n'est jamais bien loin sous la souris.)
Peut-être
que ça
aussi, ça n'aura qu'un temps, mais
en attendant, je m'amuse bien.
(Premier orage matinal et première pluie depuis un bon mois. On a beau aimer la chaleur, ça fait du bien. Du coup je relance une LO.) •••••••••• RETOURS À LA CAMPAGNE Sur Mélanchon, Cavanna écrivait : « Je me retiens d'y croire mais je ne peux empêcher cette jubilation rigolarde de m'illuminer l'intérieur. » •••••••••• — Sarkozy avait peur. Hollande a peur. Marine Le Pen a peur. — Comment tu sais ça, toi ? — Ça se lit dans le regard, dans l'attitude du corps… Marine LP, pire, exploite la peur, mobilise la peur en nous. Comme Sarkozy le faisait et comme ses sbires, d'ailleurs, continuent à la faire. Jean-Luc Mélanchon, lui, n'a pas peur. C'est ce qui fait sa différence. •••••••••• Mélanchon « s'adresse à l'intelligence des gens, les instruit, leur rend leur dignité et leur passé, va contre les évidences, contre le "spontané", contre la pseudo-authenticité de l'"affectif localisé". » (Paul Klein, in Charlie Hebdo 1042) •••••••••• Cela dit, Mélanchon a fait une erreur en se présentant à Hénin-Beaumont pour un combat frontal avec MLP. Courageux mais suicidaire. Ségo, de son côté, a fait une erreur en se présentant à La Rochelle. Voilà deux personnages politiques de premier plan en échec pour des erreurs stratégiques. — Ils auraient du te demander, avant. •••••••••• Dans mon coin, pendant la campagne électorable (de lapin), un candidat issu de la biodiversité et sans doute locavore, écrivait « Le terroir ne sera jamais délocalisé. » C'est con mais c'est vrai. Un autre : « Les sols, l'eau, l'air de nos territoires doivent cesser de détériorer notre santé. » C'est con aussi ? Disons "maladroit". Il faut reconnaître que, dans la phrase précédente, il s'opposait aux explorations, exploitations et importations de gaz et huiles de schiste, et dans la suivante il réclamait une loi pour obliger les industriels et l'État à dépolluer les sites dangereux. Il reste que, sortie de son contexte, la phrase est terrifiante. — Les phrases comme les territoires ne doivent pas être délocalisées. (Ou, comme disait Deleuze, "déterritorialisées".) (Locavore : Le terme ne désigne pas celui qui, à l'instar d'un certain dépeceur de Montréal, a la manie de manger ses locataires ou colocataires, mais bien plutôt celui qui achète et consomme des produits alimentaires régionaux et de saison. Il a raison.) •••••••••• Le second tour, c'est toujours un peu comme le maul, au rugby. Un joueur tient le ballon, il est saisi par un ou plusieurs adversaires, alors un ou plusieurs de ses coéquipiers se lient à lui : il y a maul. Un maul met fin au jeu courant. Tous les joueurs qui participent au maul sont sur leurs pieds et avancent vers une ligne de but. •••••••••• … Finalement, Hollande emménage à l'Élysée. Le jardin est plein d'orties, chardons, cactus… Les chaises craquent (elles ont supporté pendant cinq ans un enfant turbulent). Faut faire un vide-grenier. Les gardes républicains ont la gale. Grat-grat ! Y a encore des sarcoptes partout ! Et des morpions ! Les caisses sont vides. Le frigo aussi. Et la farine est coupée avec de la coke. Et Giulia a été oubliée dans le congélateur. •••••••••• Total n'est pas condamnable pour les pollutions de l'Erika, parce que l'avarie ne s'est pas produite dans les eaux territoriales. Les pollutions, c'est con, sont comme les nuages de Tchernobyl ou les cendres de volcan islandais ou les Roms, elles ne connaissent pas les frontières. Pas plus de pointillés tracés sur la mer que dans le ciel. — On n'arrive pas non plus à les "déterritorialiser". Du coup, pour ne pas embêter Monsieur Total, Christophe de Margerie (de me voir si belle…), une zone de 3 km autour de chaque site sera déclarée "hors des eaux territoriales". — Et AZF, c'était pas dans les eaux territoriales, non plus ? Monsieur Total, dit "Moustache", toujours pimpant, s'apprête à relancer le gaz de shit. Prout. Et politiques d'applaudir bien fort (ou du moins de ne pas désapprouver) Corruption ? Ce n'est pas tellement qu'ils soient "vendus" au système, les politiques, les médiatiques, les économistes, c'est qu'ils sont acquis au système, et depuis toujours. Ils n'ont pas besoin de se vendre, ils en sont part, ils en font partie, ils lui appartiennent. Ils sont le système. •••••••••• Poutine, tsar star (il y a aussi rats, comme anagramme) vend des armes au régime syrien – et c'est pas le seul. — Vendre des armes ou faire respecter les droits de l'homme, telle est la question. — Les droits, les droits…… Vendre des armes, c'est un droit de l'homme ! — En acheter aussi ! — S'en servir aussi, non ?! •••••••••• Pareil pour les ouvriers chinois qui bossent dans les pires conditions : bosser, c'est un droit de l'homme. •••••••••• Le concile Vatican II (1962-1965) proscrivait l'usage de la capote, et, par ailleurs, ne condamnait pas les pays détenant des armes atomiques. Autrement dit, l'Eglise préfère la régulation démographique par la guerre et le massacre de masse à la prévention par contraception. Faites des enfants, plein, puis tuez-les, Dieu reconnaîtra les siens. — Eh ben… C'est pas bien joli, tout ça. Ça a d'ailleurs conduit Ivan Illich, qui, tout en étant un génie de la démarche écologique naissante, n'en était pas moins prêtre et une figure de l'intelligentsia ecclésiastique et donc faisait partie de ce concile, à s'en retirer. Un hérétique. •••••••••• FACEBOOOK L'action FB, à peine entrée en bourse, se casse la gueule… C'est que FB, c'est du vent, ça ne vaut que par ses millions d'adhérents – gratuits. Il y aurait donc comme un doute sur l'intérêt financier, pour les "investisseurs" (en français : spéculateurs). La pub…? Vous cliquez sur les pubs, vous ? Moi, je colle une feuille de papier sur l'écran pour ne pas les voir. Et puis ces millions d'adhérents, d'"amis FB", faudrait qu'ils aient des sous, et envie d'acheter des trucs, des 4x4, des écrans plats… Or non, nous sommes des sortes de parasites qui profitent joyeusement de la gratuité du truc pour se raconter nos petites affaires, encore tout émerveillés que ce crétin de Mark Zuckerberg nous offre cet espace pour rien… et en se demandant vaguement comment ça peut se financer, ce truc… et pourvu que ça dure. Et donc, inéluctablement, comme on le murmure depuis longtemps, FB va devenir payant, un de ces quatre. Moi, si ça devenait un peu payant et qu'on n'ait plus de pubs sur nos pages, ça m'irait. Après tout, on nous offre là un service, comme l'électricité ou le téléphone… Beaucoup fuiraient ? Qu'importe… En plus, notre adhésion payante pourrait nous donner droit à une action. On serait tous amis, tous actionnaires-copropriétaires de FB… et le taux de l'action grimperait à chaque nouvel inscrit. Un nouveau modèle économique ? ••••••••••
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De grouille et de Grèce •••••••••• DE ROUILLE ET D OS-TÉRITÉ — Hollande prend la pluie, puis la foudre, puis la merkel, puis l'obama, puis le karzaï… Si avec ça il n'est pas étanche. — Il rend hommage à Marie Curie, aussi. Question de sortir du nuc-éclaire, c'est mauvais signe. — Grand ménage dans les hauts fonctionnaires. Chasse aux sorcières, selon l'expression médiatique consacrée, dans les services de police, de renseignement, les recteurs, les diplomates, tous les grands postes stratégiques de l'Etat. C'est le grand Facebook politique : remplacer des amis UMP par des amis PS. — La France se retire d'Afghanistan. — De Grèce aussi. — Les épargnants, pris entre l'enclos et l'amertume, retirent leur fric des banques. — C'est con, parce que, quand on va revenir à la drachme, à la peseta, à la lire, au franc… les euros qu'ils ont sortis ne vaudront plus rien. — Parce que tu crois que en les laissant à la banque (qui va faire faillite) leurs euros vaudront encore quelque chose ? — Ce qui me choque, moi, dans les reportages télé sur la crise sociale en Grèce ou en Espagne, c'est que tous ces pauvres miséreux plus ou moins indignés, on les voit fumer des clopes ou boire des bières. — "Austérité", quel sinistre euphémisme ! En fait, il s'agit de casser la société (grecque). Comment imaginer que cette démarche va "remettre le pays sur les rails", comme ils disent, les médiatics… Et donc, question plus perverse : comment imaginer que ceux qui imposent cette austérité veulent bel et bien "remettre le pays sur les rails" ? Comment ne pas se dire « Ils veulent tout simplement le détruire ». Parano ? Conspiration ? — Mais pourquoi le trio-triolet-triumvirat-troïka EU-BCE-FMI voudrait-il tuer la Grèce ? Hein, POURQUOI ?! Ou, en bref, pourquoi l'EU veut-elle tuer la Grèce ? — Mais… Pourquoi tu me demandes ça à moi ?! J'en sais rien, moi ! — Qu'est-ce qu'on va faire, maintenant ? — Foutu pour foutu, manger du chocolat. — La certitude (ou "pensée unique"), c'est rassurant, y compris les certitudes négatives. (Nihilisme, punk, "tout est foutu"…) Le doute, a contrario, est une pensée trouble, frissonnante, comme la chair. Pas confortable, pas rassurante mais, si le doute assombrit les certitudes enchanteresses (Dieu existe, le Paradis nous attend, Sarko Hollande est un génie…), il délite aussi, dégrade, les certitudes morbides ("tout est foutu") en nous disant, oui, tout est possible, le pire n'est jamais sûr, pas plus que le meilleur. — Ça me rappelle "ensemble, tout est possible". — Ensemble, oui, mais pas ensemble avec n'importe qui ! •••••••••• Dans le dernier MONDE DIPLO (juin 2012) # Enquête sur un audit populaire La dette, quelle dette ? En Grèce, les nouvelles élections législatives, prévues le 17 juin, se joueront sur la question de la renégociation de la dette. Les contribuables refusent en effet de continuer à « mettre de l’argent dans un puits sans fond », explique M. Alexis Tsipras, le dirigeant du parti de gauche Syriza. En France, une campagne populaire exige elle aussi un audit citoyen de la dette publique. Jean Gadrey. Un parfum de printemps 2005 ? A l’époque, le président de la République, M. Jacques Chirac, avait soumis à référendum le traité constitutionnel européen (TCE). Les médias furent unanimes : il fallait approuver le texte. La campagne se caractérisa néanmoins par une mobilisation inédite. Associations, organisations politiques et syndicales s’employèrent à décortiquer, expliquer et débattre un document pourtant peu engageant. Contre l’avis des "experts" institutionnels, les Français décidèrent de rejeter le TCE à près de 55 %. Sept ans plus tard, il n’est plus question de traité européen, mais le chœur des éditorialistes résonne de nouveau : le fardeau de la dette impose aux peuples de se serrer la ceinture. Et, bien qu’aucun référendum n’ait cette fois été prévu pour demander aux Français leur avis sur la question, une campagne de terrain a pris le pari – délicat – d’imposer dans le débat public une question que les médias s’emploient à taire : faut-il payer l’ensemble de la dette française ? Depuis l’été 2011, l’appel national "Pour un audit citoyen de la dette publique", rassemblant vingt-neuf associations, organisations non gouvernementales (ONG) et syndicats, et bénéficiant du soutien de diverses formations politiques, a été signé par près de soixante mille personnes. Plus de cent vingt comités d’audit citoyen (CAC) se proposant de « remplacer les agences de notation » ont été créés depuis l’automne 2011. Comment expliquer un tel engouement ? L’un des animateurs de cette campagne, le philosophe Patrick Viveret, rappelle que le mot "désir" – ici, celui de s’impliquer dans une mobilisation – provient de "dé-sidérer" : « La sidération a ceci de caractéristique que même les victimes pensent qu’il n’est pas possible de faire autrement. La sidération, c’est, sur le plan économique, ce qu’on pourrait appeler la pensée TINA (“There is no alternative”) de Margaret Thatcher : un état où l’on dit juste “Oui, c’est catastrophique” et “Non, on ne peut pas faire autrement”. » Il s’agirait en somme d’un « blocage de (...) # Désolé, mais pour lire la suite, faut acheter le Monde Diplo… •••••••••• LA CHANCE FHollande a de la chance. Il arrive juste au moment où tout le monde (disons l'Europe) commence à se rendre compte que la rigueur-austérité telle qu'appliquée comme cataplasme sinapisé sur la Grèce, le Portugal, l'Espagne… ça ne marche pas. Les gros, les riches, les dominateurs (l'Allemagne, oui…) commencent à serrer les fesses, à comprendre que non, ça va pas le faire, à la longue : tuer ses clients, c'est du suicide. Juste à ce moment-là, FH accède à la présidence d'un pays qui commençait (médias aidant, comme dit ci-dessus) à se voir, sidéré, comme le prochain sur la liste… mais un pays qui, malgré tout, garde une capacité à se faire entendre et à être écouté. Du coup lui, Hollande, président de la république, et nous Français, présidés de la république, on a (peut-être) du bol. On a des chances d'échapper à la prochaine tranche de franche rigueur-austérité et à la récession-dépression qui s'ensuit mécaniquement. Et ce juste au moment où ça devait logiquement (à qui le tour ?) nous tomber dessus. Alors "croissance", qu'il dit (hélas ! c'est tout ce qu'il a trouvé ?). Mais il va devoir en rabattre sur la question, et très vite (s'il comprend vite), la réorienter, cette idée, non vers la croissance orientée consommation, mais vers la croissance orientée économies. La croissance des économies, ça a l'air contradictoire, comme ça… oxymoral… Pourtant… Il ne s'agirait pas de produire-consommer plus de médicaments, de bagnoles, d'avions, d'armes, de centrales nukes, etc. (pour citer des productions bien françaises), mais plus d'agriculture bio, d'éoliennes, d'isolation des logements et bureaux, d'éducation, de prévention santé, de relocalisation industrielle, agricole, administrative, hospitalière, etc. Investir dans les économies (d'énergie, de transports, de pollution, d'achats à l'étranger…) : une croissance-décroissance, qoui (qoui-qoui…). •••••••••• |
ARGIE / MAGENT •••••••••• ARGENT / MAGIE « Le capitalisme est la pire des religions, parce qu'elle vénère un dieu qui existe. » (Graffiti mural) Dire que l'argent est le nouveau Dieu (LO 477) peut apparaître comme une sorte de banalité. Mais, au delà du cliché, il y a sans doute toute une analyse plus poussée à faire sur l'argent comme dieu, mythe, magie. L'argent, rêve des choses, mirage, ombre pour laquelle on lâche la proie, ombre qui se pare de toutes les vertus de la lumière… L'argent médiateur, messager invisible entre les hommes, est proche des anges, messagers des dieux. On dit facilement que « l'argent, c'est magique ». Avec un morceau de papier qui, en soi, n'a aucune valeur, tu achètes n'importe quoi. Mais au delà de cette acception populaire, quoi ? (Edgar Morin, La méthode, p.1364) = « La magie intervient partout où il y a souhait, crainte, chance, risque, aléa. » Dans cette phrase, ne pourrait-on aisément remplacer le mot magie par le mot argent ? (À noter, déjà, la ressemblance phonétique des deux mots, en français ; un hasard qui crée des résonances.) « C'est un pouvoir qui s'exerce selon des pratiques rituelles propres, et il couvre un très vaste champ d'action : action à distance sur les vivants ou sur les forces naturelles, assujettissement des esprits ou des génies, ubiquité, métamorphose, guérison, malédiction, divination, prédiction, etc. » Là encore, la phrase pourrait s'appliquer à peu près telle quelle à l'argent, en fournissant des exemples disant ce que pourraient être, en termes modernes, les pratiques rituelles, les génies, la divination. Je reprends et transforme quelques autres phrases de ce chapitre en remplaçant systématiquement magie par argent, plus quelques autres manipulations. L'argent serait, comme la magie, un principe d'action du désir sur la réalité. L'argent « vise à transformer la réalité. » L'argent « obéit à des règles et des rites », l'argent « obéit à une logique de l'échange et de l'équivalence : rien ne s'obtient par rien, et, pour obtenir, il faut toujours payer par un sacrifice ou une offrande. » (Je reviendrai sur le sacrifice, d'actualité, quand l'Europe se pose la question de sacrifier tout un pays bouc émissaire, voire plusieurs…) L'argent « correspond à un système de pensée qui est justement la pensée symbolique-mythologique […] et peut être considéré comme la praxis de cette pensée. » (Praxis signifie à peu près mise en pratique.) L'argent « se fonde sur l'efficacité du symbole, qui est d'évoquer et, d'une certaine façon, de contenir, ce qu'il symbolise. » •••••••••• SYMBOLE Tout cela peut apparaître comme classique, ou pas très original. Mais ça se précise. Le rapprochement s'accentue quand on se concentre sur l'aspect symbolique. Je disais plus haut que l'argent n'est rien, ce n'est plus de l'or, ni même des billets, ni même des chèques, mais seulement des nombres ou chiffres inscrits sur un chèque ou billet et, de nos jours, même plus : des circulations de zéros et de 1 dans des câbles. Chose symbolique d'abord, puis pur symbole, puis abstraction, puis encore aboutissant au plus abstrait qui soit : au delà des mots, le numéraire, au delà du nom, le nombre, et même seulement, avec le numérique, les chiffres les plus simples, 0 et 1. La question du symbole, des symboles, de la symbolique en général est complexe, jamais réductible à une définition simple. Disons qu'y est partout présente l'idée générale de double, d'équivalent, de rapport d'analogie, de corrélation… ce qui s'exprime en images, représentations, allégories, mots, récits, mythes, légendes… Dans le domaine de l'argent, on peut voir - équivalence chose/chose (monnaie coquillage, or, pierre précieuse) ; - image/chose (pièce de monnaie, billet) ; - mot/chose–chiffre/chose (crédit) ; … Le nombre ou le chiffre (le numéraire) étant présent dans tous ces stades de la magie/argent, mais trouvant son triomphe dans l'équivalence chiffre/chiffre en œuvre par exemple dans la spéculation monétaire. • Magie pratique : dans l'envoûtement, la poupée vaudou représente une personne et les actions sur la poupée se répercutent sur la personne. Dans le domaine de l'argent, ce serait le stade or. Mais peut-être aussi billets. C'est-à-dire qu'on est dans le domaine de "l'image équivalent la chose". Le symbolisme touche alors l'allégorie. (Le squelette avec la faux pour la mort, la dame avec une épée et une balance pour la justice, Marianne pour la France… Marianne qui fut présente sur les pièces de monnaie et l'est encore sur les timbres-poste. Mais aussi cette idée que prendre une photo de quelqu'un c'est lui prendre son âme, ou le portrait de Dorian Grey…) Dans cette optique aussi, l'action sur la représentation (prière au dieu ou épingles plantées dans la photo) aurait une action sur le véritable sujet, sur la réalité. (Prions-nous Marianne, pour la France ?) Dans l'idée de dématérialisation qui me guide dans cette chronique, je vois que l'argent-chiffre (numérique) a perdu toute représentation et même que déjà, au niveau de l'argent papier, avec l'Euro, il y a de la perte symbolique-allégorique : la pauvreté des images sur les billets (des ponts) a remplacé la richesse historico-culturelle des anciens billets, contrairement aux dollars qui gardent une richesse en symbolique historique et presque religieuse (images symboles maçonniques). Sans omettre la question des qualités décoratives des uns et des autres billets, timbres-poste, chèques… • Magie verbale : la parole comme acte agissant à distance, le nom comme équivalent à la chose nommé, voire la créant. Dieu crée la lumière en la nommant (« Que la lumière soit »). De plus, le fait de nommer donne prise sur la chose ou l'être nommé. Toujours dans la Genèse biblique, l'homme prend le pouvoir sur les animaux en les nommant. De même la femme n'est pas nommée "Ève" par le dieu ou le rédacteur mais par l'homme, et ce seulement à la sortie du jardin d'Eden. (Entre parenthèses, l'homme lui-même, jusque là désigné comme "un adam", soit un terreux, nom commun, est ensuite nommé "Adam", nom propre, sans que le passage de l'un à l'autre soit souligné dans la rédaction.) On sait que le discours, politique par exemple, (j'en parlais, d'après Bourdieu, dans les LO 475-6) tente de même une action sur le monde par la puissance (magique) du Verbe. (Et en particulier le discours qui énonce un projet de loi en réaction à un fait divers quelconque. Ce fut remarqué de nombreuses fois dans la présidence de NS : lancer un projet de loi, et hop ! problème résolu ! Pur fonctionnement magique. Fin de la parenthèse. Celui-là, Machin, n'a pas fini d'occuper nos pensées…) (Autre parenthèse : parlant d'une pensée de Bourdieu, Morin emploie l'adjectif "bourdivine" ! J'adore, même si ça fait un peu "bourde divine" !) Dans ce sens, l'argent fonctionnerait comme magie verbale : l'énoncé de la richesse, des nombres, impose la puissance. (Certains ne disent-ils pas « Je pèse tant de millions » ?) Les mots comme milliard ou million, comme valeur, comme bourse, cotation, les marchés… semblent avoir en eux-mêmes une puissance agissante. Au moins sur les esprits – de ceux qui les profèrent comme de ceux qui les entendent et les subissent, les reçoivent passivement, impuissants. • Magie numérique. Et au delà du mot, du nom, nous voilà au plus abstrait des équivalents symboliques : le chiffre, le nombre. Dans le domaine de la magie, le nombre est mis en jeu par la numérologie, mais, me semble-t-il, toujours comme "à interpréter" ou "outil d'interprétation" renvoyant à un contenu littéraire. Ainsi la kabbale travaillant numérologiquement les passages les plus obscurs de la Bible pour en tirer à tout prix du sens. (Avec pas mal d'obstination dans l'interprétation, on peut tirer du sens, n'importe quel sens, de n'importe quoi. Donnez un recueil de blagues carambar à un numérologue, il vous en tirera des vérités transcendantes universelles.) Avec l'argent, le chiffre lui-même, non l'interprétation, serait puissant, agissant (surtout, paradoxalement, quand il comprend beaucoup de zéros derrière le un !) Le chiffre est le maximum de l'abstraction et trouve son maximum d'abstraction dans l'informatique, le numérique, qui ne manipule que des 0 et des 1. Le symbole réduit à sa plus simple expression. L'idée platonicienne pure. Et on parle de matérialisme ! •••••••••• ZÉRO + ZÉRO = ZÉRO Je vous parle d'un temps que les moins de 5 000 ans ne peuvent pas connaître. – 50 000 Les aborigènes d'Australie Warlpiris ne savent pas compter, ignorent même le concept de nombre, sans doute parce qu'ils n'en ont pas besoin, ou n'en ont jamais éprouvé le besoin. Est-ce pour cela que leur civilisation n'a pas bougé en 50.000 ans ? – 4 000 Les Sumériens ont inventé l'arithmétique, peut-être parce qu'ils vivaient nombreux dans des cités, les premières au monde : la vie urbaine et ses multiples échanges commerciaux entraînent la nécessité de l'argent sous une forme ou une autre ; donc la nécessité de compter ; et la nécessité de garder la mémoire des transactions, donc d'écrire. Il se peut que la première écriture, les premiers caractères inventés aient été les chiffres. L'arithmétique avant la littérature. Et les premiers écrits de simples aide-mémoire. – 3 000 Les Egyptiens ont inventé le kubit (pas le cubitainer, non !), la normalisation d'une mesure, sorte de mètre-étalon, ceci pour les constructions. Pragmatique. – 500 Pythagore a l'idée de pair et impair mais pas celle de la fraction, de la virgule. + 500 C'est en Inde, que l'on invente les chiffres dits arabes et le ZÉRO. Trouvaille aux conséquences incalculables ! Un zéro, c'est rien, me direz-vous. Tout seul, certes, mais combiné aux autres chiffres…
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Détritus •••••••••• D'abord quelques mots qui prolongent encore les 479 et 479 bis. D'un côté Mona Chollet (LO 479) soulignait la montée d'un moralisme expiatoire (pour les autres) exprimé par les dirigeants européens suite à la crise financière : appel à la contrition, à l'austérité, à la discipline. Après la dette, la diète ! Dans la LO 479 bis un des lecteur du Monde Diplo que je citais appliquait aussi ce moralisme à la démarche écolo, le jugeant indispensable à la survie de l'espèce. Dans un article intitulé "La diète et le désir" (dans l'hebdomadaire éphémère "Une semaine avant l'élection"), Philippe Garnier évoque le fait de trier ses déchets comme une pénitence. « Il y a quelque chose de déprimant à trier ses déchets. » Il semble lui aussi voir un moralisme dans la démarche écolo, une austérité imposée. Mais lui pour le déplorer. (Non de manière irresponsable, quand même, plutôt dépressive, comme résignée…) Il exprime à travers ça une voix du "on", l'expression d'un désir frustré sans doute présent en nous tous, qui braille : « Non ! s'il vous plait monsieur le bourreauécolo, laissez-moi encore jouir de mon irresponsabilité, consommer et jeter sans m'en faire… encore un jour, un mois, un an… » ? Il ajoute « Désormais la guerre consiste à regarder ses détritus en face. » Et la guerre, c'est pas marrant. Mais des fois c'est nécessaire. La consommation, c'est un peu le stade oral (infantile) de la société. La préoccupation des ordures (et donc le recyclage) serait alors le passage au stade anal (infantile aussi). Du stade oral (consommation) au stade anal (consumation)… succession cohérente, en langage freudien. Mais voilà : la préoccupation du tri et du recyclage n'est déjà plus le stade (infantile) anal, car il ne s'agit pas de l'analité en tant que destruction (et le plaisir qui peut aller avec), ou d'un intérêt infantile porté à ses fesses et à ses fèces comme "production". Il s'agit de s'intéresser à l'ordure, certes, regarder ses détritus en face, oui, mais pour recycler, c'est-à-dire remettre dans le circuit ce qui a été consommé (la part qui n'a pas été consumée). Consommez, consommez, il en restera toujours quelque chose… Et ce quelque chose peut être re-consommé, mérite d'être re-consommé. Rien ne se perd, rien ne se crée. (Il ne s'agit pas de remanger sa merde telle quelle, bien sûr. Les cosmonautes filtrent leur pisse avant d'en re-consommer l'eau sauvée.) (Aujourd'hui, seulement 11% des deux milliards de tonnes de déchets ménagers solides que l'humanité "produit" chaque année est recyclé dans la production d'énergie ou de chauffage.) Le stade anal est, comme son nom l'indique, celui de l'analyse. Et donc peut-être que le stade du recyclage est celui de la synthèse, ou re-création, et, partant, un état plus adulte et créatif de la société humaine. Trier et recycler n'est pas un pensum, pas plus que s'instruire à l'école ou faire un potager. •••••••••• SERREZ-VOUS LA CEINTUR€ (les uns les autres). Quand on dit d'un riche qui dépense pour des conneries (yacht, ferrari…) « ses sous, il les a gagnés, il en fait ce qu'il veut » ou « c'est son argent, il en fait ce qu'il veut… »… NON. Non, parce que 1) L'argent n'est à personne. C'est juste l'invention humaine pratique d'un plus petit commun dénominateur entre des éléments incomparables comme dix kilos de pommes de terre et un cours de maths, un outil symbolique facilitant, accélérant, mutualisant les échanges, jusque là limités au troc d'objets. Ah ! si on comprenait que l'argent n'est rien, que du signe ! 2) Ensuite, comment il l'a gagné, son argent, un Bouyghes, ou un Sarko, ou n'importe quel banquier ou trader ? Juste en prélevant au passage (en prédatant) un % sur la circulation du dit argent-symbole, sur les échanges, même pas comme un seigneur féodal prélève sa dîme sur la production agricole de ses serfs, production qui est "quelque chose", du blé, des moutons… mais sur… rien, seulement sur le fait que de l'argent change de mains… et même plutôt sur le fait que des nombres changent de domicile d'un ordinateur à un autre. Et avec ça, il se paye un yacht ou une ferrari… L'argent n'est plus l'argent, mais "une puissance". Terme que l'on peut garder dans son abstraction ou mythologiser : une Puissance, comme on le dit de Dieu ou du Diable. (Il y aurait, pour aller plus loin, toute une analyse à faire sur l'argent en tant que mythe et magie… J'y viendrai.) Échappant à tout contrôle, l'argent est comme ces lapins que l'on a lâchés en Australie il y a un siècle ½ : ils étaient prolifiques (comme des lapins) et ils n'avaient pas de prédateurs, ils ont tout envahi et tout ravagé. (24 lapins furent introduits en Australie en 1874. À peine un demi-siècle plus tard, la population s'élevait à 30 millions d'individus et menaçait l'agriculture et l'équilibre écologique local. Après l'introduction de la myxomatose, on en est arrivé, en 1995, à introduire un virus ravageur : Le Rabbit Haemorrhagic Disease Virus (RHDV) pour rééquilibrer leur population. Wikipedia.) L'argent (non plus or ni papier-monnaie, seulement chiffres) n'a pas de prédateurs, ni de myxomatose ni de virus. Ceux qui s'en emparent ne le détruisent pas, ils contribuent à le faire proliférer sur le dos des producteurs réels (travailleurs, prolétariat. appelez ça comme vous voilez). Et quand un accident conjoncturel "détruit de l'argent", dit-on, rien n'est réellement détruit, puisque rien n'était réel. Du symbolique, on est passé à l'abstrait. Dématérialisé. Après l'or, l'argent-papier lui-même est apparu comme trop concret, trop lourd, trop réaliste, trop matériel. Même les chèques, les banques voudraient bien s'en passer : trop coûteux ! L'argent, comme un mythe obsolète, comme les 78 T, les vinyles, les livres bientôt, disparaît au bénéfice de nombres computés, des zéro et des un. Partant il ne peut plus y avoir d'avare ni de flambeur, plus de peseur d'or, de cassettes et de liasses grasses… que des cartes à puce et bientôt des puces implantées sous notre peau… Invisibles… (D'où peut-être le succès du poker ou des machines à sous, où l'argent retrouve une théâtralité.) Faut-il le déplorer…? Dans le principe, peut-être pas… Dans les conséquences de cette disparition, par contre… quand on voit (ou plutôt ne voit pas parce que il n'y a rien à voir) les chiffres s'échanger à la vitesse de la lumière dans les fibres optiques par des costard/cravate greffés sur des écrans… et l'irresponsabilité que ça suppose et que ça induit… Je comparerais cela volontiers au meurtre par arme à feu par rapport au combat à mains nues : c'est tellement facile de presser une détente, à distance… comme de pousser la touche "entrée" de son clavier… •••••••••• LES DEUX FACES DU CAPITALISME (ou : L'actionnaire est plus dangereux que le réactionnaire.) Le capitalisme classique serait conservateur (la droite paterne austère, moraliste, protestante – on y revient). Mais le capitalisme moderne (financiarisme, libéralisme économique) est tout sauf conservateur. Ou alors il conserve (ou fait ressurgir) les instincts les plus archaïques : le jouir sans entraves de tout et de tous… "libertarisme" ou "anarchisme de droite". Il promeut un modèle de société cool, séducteur ; il exalte le plaisir immédiat, l'irresponsabilité, l'égocentrisme, un hédonisme de captation sans scrupules, le cynisme. (On parle de "droite décomplexée", ce qui suppose que la droite classique est complexée… que le capitalisme classique est un complexe…) Le capitalisme libéraliste, loin d'être conservateur, est typiquement destructeur. Pour lui, tant les conservateurs rigides (loi et ordre, religion, moralisme) que la gauche collectiviste (exigeant de l'individu, au nom de la collectivité, de la retenue dans ses désirs) sont des ennemis, vus tous deux comme "réactionnaires" ou ringards. Le libéralisme, consommateur et consumateur, naît de la pègre, du système maffieux, plutôt que de la "droite conservatrice". Certes, il y prend encore, parce que son système privilégiant les riches a besoin d'un système de sécurité fort qui le protège des pauvres. Il a encore besoin de la droite réac et de l'État, mais il ne les sert pas, il les exploite, les met à son service. En ce sens, il ne faut pas se tromper de combat : la droite réac, le capitalisme classique, l'État, ce n'est pas le plus grave. On en vient même à réclamer de l'État pour nous protéger du chaos financiariste, réclamer que l'État reprenne la main, retrouve une puissance protectrice. Et quand on est une sorte d'anartardé, de libertaire antiautoritaire qui a toujours considéré l'État, avec sa police, sa justice, ses impôts, ses fonctionnaires, comme l'ennemi à abattre… on se sent un peu perdu. Pourtant… Par exemple, c'est une vieille manie française de se plaindre et se moquer des fonctionnaires… petit travail tranquille… privilégiés… fainéant… vacances et retraite… salaire garanti… (… tout en aspirant à être fonctionnaire : si on les moque ou si on s'en plaint, c'est qu'on les envie.) Et puis arrive le libéralisme à tout crin et les privatisations qui nous privent des services publics et on crie « Rendez-nous nos fonctionnaires ! » (hôpital, poste, éducation nationale, téléphone, etc.) Et on a bien raison. Cesse de courir, camarade, et "regarde tes détritus en face". •••••••••• |