Les éditions genevoises Encre Fraîche publient des textes originaux d'écrivains suisses qui relèvent parfois de l'imaginaire fantastique ou SF. C'est le cas du texte d'Yves Mugny qui s'apparente clairement au cycle de récits généré par la créature de Mary Shelley il y aura bientôt deux siècles.
Où l'on découvre, suite à un accident de voiture, que le passager admis à l'hôpital est un cyclope. Suit alors une course-poursuite impliquant scientifiques, policiers, hommes d'affaires, mafieux russes, mécènes, chacun voulant mettre la main sur le spécimen. En premier lieu le professeur Meudon, savant biologiste qui théorise depuis trop longtemps la naissance d'un Homme nouveau par mutation, créature appelée sui generis à succéder à notre espèce. Il tient peut-être là enfin une preuve de ce qu'il prêche dans son désert académique. Aidé d'une brochette d'assistants aussi impréparés à la traque que lui, il n'a d'autre choix que de s'y lancer. Mais c'est sans compter sur la concurrence, les journalistes et surtout l'irruption dans le jeu d'un serial killer qui ameutent détectives et autres pandores dans un joyeux désordre.
L'originalité du récit tient essentiellement dans son point de vue. écrit à la première personne, celle du narrateur-cyclope, on pourrait s'attendre à coller aux basques de ce Nazarov — il a bien deux pieds — et à découvrir les petites magouilles, les arrières pensées, les stratégies et autres lâchetés de ses poursuivants à travers son expérience de leurs effets sur sa difforme personne. Mais contre toute attente, le cyclope perce la carapace des personnages et s'infiltre dans leur psyché comme doté du pouvoir d'omniscience ! Effet de sa mutation ?
Et ça marche ! On y croit et on en redemande. Au fur et à mesure de ce road movie presque planétaire, les intrigues s'entremêlent, des Yéniches, peuple nomade très présent en terre helvétique s'en mêlent et les cartes se brouillent tandis que l'étau se resserre sur notre « monstre ».
Le tout dans un style ciselé qui permet de mêler fantastique et délires scientifiques sur un ton burlesque débridé avant de nous entraîner vers la chute, inéluctable et émouvante...
Olivier MAY
Première parution : 19/12/2009 nooSFere