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III — TROISIEME PERIODE : LA SCIENCE-FICTION.
René Barjavel (né en 1911) marque véritablement la transition entre l'époque du roman scientifique et celle de la science-fiction telle qu'elle est perçue aujourd'hui. Ravage (1943) constitue sa première contribution au genre. « Violemment anti-scientifique, très marqué par la guerre qui se déroulait lors de sa rédaction, » ( J. Sadoul — Histoire de la S.F. moderne — A. Michel, 1973 — rééd. J'ai lu, 1975), ce roman apocalyptique réactionnaire vaut essentiellement pour sa qualité littéraire et son réalisme intrinsèque. Il est suivi un an plus tard d'un sujet beaucoup plus hardi sur le plan de la thématique : Le voyageur imprudent, histoire de déplacements temporels et de leurs paradoxes. Ce sera ensuite Le diable l'emporte (1948) qui tente de trouver un havre de survie aux rescapés des guerres futures. Mais René Barjavel n'en restera pas là. On aura par la suite d'autres romans, depuis Colomb de la Lune (1962) jusqu'à Une rose au paradis (1981) en passant par La nuit des temps (1968) et Le grand secret (1973). La haute tenue littéraire de son œuvre et son accessibilité expliquent sans doute un succès qui ne sera guère égalé que par un Pierre Boulle ou un Robert Merle quelques années plus tard.
Vers 1945 en tous cas, le renouveau s'est mis en marche. Des œuvres inspirées directement du choc d'Hiroshima apparaissent : S'il n'en reste qu'un (1946) de Christophe Paulin, Le dernier blanc (1945) d' Yves Gandon, Et la planète sauta (1946) de B.R. Bruss. Mais d'autres explorent heureusement des horizons un peu moins sombres, comme Echec au Temps (1945) de Marcel Thiry (né en 1897) qui tente un détournement de l'Histoire à partir de la bataille de Waterloo, Tous les hommes sont mortels (1946) de Simone de Beauvoir (née en 1908), tous les hommes sauf Fosca qui, ayant bu l'élixir de longue vie, sera condamné à vivre jusqu'à la fin des siècles. Et c'est encore La chute dans le néant (1947) de Marc Wersinger (né en 1909), un journaliste, qui renouvelle et prolonge dramatiquement le thème du voyage dans le microcosme, ou L'écume des jours (1947) de Boris Vian (1920-1959) qui signera l'année suivante Et on tuera tous les affreux sous un pseudonyme aussi célèbre que son nom, Vernon Sullivan, deux ouvrages qu'il n'est pas utile de situer en raison de leur célébrité.
Mais à partir de 1945, un nouveau phénomène commence à se répandre : l'édition de revues et de collections spécialisées. Si les premières n'ont qu'une vie éphémère ( Futura, 1945 ou Anticipations, 25/09/1945 à mai 1946 en Belgique), en 1948, Sciences et Aventures des éditions Magnard, destinés aux jeunes, portera jusqu'en 1963 douze romans de Pierre Devaux et d' H.G. Viot principalement ; en 1949, les éditions du Sillage produiront quatre titres d'une collection intitulée Les Horizons fantastiques et, en 1951 surtout, naîtra Le Rayon fantastique publié conjointement par Hachette et Gallimard sous la direction de Georges Gallet et Stephen Spriel (alias Michel Pilotin).
Mais n'allons pas trop vite. En 1950 paraissait un petit livre intitulé La littérature française d'imagination scientifique. Son auteur, Jean-Jacques Bridenne, « y étudiait la postérité littéraire de Jules Verne et l'avènement de ce qui allait être la science-fiction » ( Monique Battestini). Il est certainement regrettable que cette dernière, importée des Etats-Unis — ou du moins sa dénomination même — ait fini par effacer dans l'esprit du plus grand nombre que la France disposait d'un passé très important, plus important sans doute que celui d'une nation qui allait rapidement s'en prétendre créatrice. Mais ce sont peut-être aussi ceux qui s'en voulaient les prophètes et les divulgateurs qui accélérèrent le phénomène d'oubli. Parmi eux, les membres du « Club des Savanturiers » : Michel Pilotin, fondateur, Pierre Kast, Raymond Queneau, Audiberti, Maurice Blanchot, France Roche et Boris Vian.
Revenons maintenant au Rayon Fantastique. Entre 1951 et 1964, année où il disparut, 119 volumes furent publiés parmi lesquels près de quarante d'écrivains français. L'un des meilleurs d'entre eux fut incontestablement Francis Carsac (1919-1981), auteur de space-opera remarquables et dont le chef-d'œuvre reste peut-être Ceux de Nulle-part (1954) qui voyait évoluer les Misliks, éteigneurs de soleils, mais il faut retenir aussi Ce monde est nôtre (1962), inspiré sans doute par la guerre d'Algérie. De son vrai nom François Bordes, ce préhistorien de renom a marqué la première période de la science-fiction française de sa forte personnalité. Parmi les autres écrivains révélés par le Rayon Fantastique, il faut mentionner encore : Gérard Klein, économiste (né en 1937) déjà largement publié dans les pages de la revue Fiction mais que le roman Le gambit des étoiles (1958), traitant de voyages interstellaires sur le modèle du jeu d'échec, consacra véritablement ; Charles et Nathalie Henneberg dont nous parlerons plus loin ; enfin et surtout Daniel Drode, professeur, (né en 1932) dont l'unique roman Surface de la planète (1959) obtint non seulement le Prix Jules Verne ressuscité entre 1957 et 1963, mais fut des plus controversés avant d'être admis presque aussi vite comme un « classique ». Ce ne fut sûrement pas à cause de son sujet, encore que les prolongations du thème de la survie souterraine — suite à une guerre atomique — puissent susciter beaucoup d'intérêt, mais plus probablement à cause de l'écriture utilisée, censée proposer un langage du futur.
A partir de 1951, les articles se répandent, signés Raymond Queneau, Stephen Spriel, Boris Vian (qui traduira du reste les premiers romans de Van Vogt au Rayon Fantastique), Michel Butor ; les tentatives de création de collections s'accélèrent. En 1952, les éditions du Fleuve Noir lancent Anticipation, à ce jour la collection française la plus importante par le nombre de titres parus (le chiffre de 1100 a été atteint en octobre 1981). A quelques rares exceptions près, les auteurs y sont nationaux. Commencée avec la tétralogie des Conquérants de l'Univers (un cinquième volume viendra ensuite) de F. Richard-Bessière, cette collection, d'abord dirigée par F. Richard auquel succèdera Patrick Siry vers la fin des année 70, publiera notamment l'essentiel de l'œuvre de Stefan Wul (alias P. Pairault, né en 1922, dentiste de son métier) dont plusieurs romans sont de véritables chefs-d'œuvre d'invention poétique : Oms en série (1957) dont sera tiré le film La planète sauvage (réalisateur René Laloux, dessins de Topor), Niourk (1957), histoire d'un enfant noir sur une Terre dévastée, L'orphelin de Perdide (1958), Piège sur Zarkass (1958) etc. ; Gérard Klein y donnera aussi plusieurs volumes de grande qualité sous le nom de Gilles d'Argyre, André Ruellan, après s'être distingué dans la collection Angoisse de la même maison, consacrée celle-là au Fantastique, livrera sous le pseudonyme de Kurt Steiner trois titres remarquables : Aux armes d'Ortog (1960), Ortog et les ténèbres (1969), Brebis galeuses (1974). Mais nous n'aurons pas la prétention de vouloir en citer d'autres car plusieurs pages n'y suffiraient pas. Retenons peut-être que si la qualité des textes n'a pas toujours été égale, en raison directe de la dépendance à la production, la collection a eu le mérite d'imposer une science-fiction nationale et de révéler un nombre important d'auteurs parmi lesquels J.L. Le May, Gilles Thomas (alias Julia Verlanger), Pierre Suragne (alias Pierre Pelot), G.J. Arnaud, ne sont pas les moindres, et parmi ceux-ci B.R. Bruss que nous avons cité très rapidement un peu plus tôt. B.R. Bruss (1895-1980) avait donné son premier roman au lendemain de la guerre. Il était normal que la collection Anticipation l'accueille. Il y donnera une quarantaine de romans dont Substance Arka (1956), Bihil (1961), Le grand Feu (1964). Sa production littéraire débordera du reste chez d'autres éditeurs et sous le nom de Roger Blondel. Elle se distinguera toujours par la soif du rêve, un humour sous-jacent et un optimisme quelquefois éclatant.
Et tandis que d'autres collections continuent de naître et que nous allons devoir ignorer ici, tandis que, en dehors d'elles, la science-fiction n'est pas absente, témoins Les animaux dénaturés (1952) de Vercors, Les mains du manchot (1953) de Marianne Andrau, deux revue d'importance vont enfin voir le jour, à quelques semaines d'intervalle : Fiction (octobre 1953) et Galaxie (novembre 1953).
En fait, la première nous intéresse davantage ici, parce qu'elle s'ouvrit beaucoup plus aux auteurs nationaux et que, par le nombre important de ses pages consacrées aux critiques et à l'information, elle refléta la vie du genre et créa l'école française. Dirigée par Maurice Renault, son fondateur, puis par Alain Dorémieux (qui en est aujourd'hui encore le rédacteur après un court interrègne de Daniel Riche), Fiction accueillit dès 1954 les jeunes écrivains français, à commencer par Jacques Sternberg (né en 1923). On peut dire aujourd'hui que l'écrasante majorité des auteurs nationaux ont fait leurs débuts dans ses pages ou celles de Satellite que nous rencontrerons plus loin. Parmi les plus intéressants des nouvellistes qui s'u distinguèrent Michel Ehrwein (né en 1934) et Michel Demuth (né en 1939) ne concrétisèrent malheureusement pas leur talent dans le roman, encore que le plus jeune des deux, qui deviendra directeur littéraire et traducteur, ait pu réunir en volumes de nombreux textes et, surtout, son cycle des « Galaxiales », gigantesque histoire du futur comme seuls les écrivains américains avaient jusque là tenté d'en rédiger.
Mais à l'origine de Fiction, il faut toutefois mentionner Jacques Bergier (1912-1978), scientifique, résistant durant la dernière guerre, polygraphe. L'ombre de ce personnage aussi sympathique qu'érudit va planer durant plus de vingt années sur un grand nombre d'entreprises et de manifestations. Il est de ceux qui, à la librairie « La Balance » de Valérie Schmidt, formèrent les premiers groupes de supporters du nouveau genre. Il encouragea divers écrivains et fut l'inspirateur de nombreuses de leurs œuvres. Plus tard, associé à Louis Pauwels, avec lequel il avait composé le célèbre et discuté Matin des Magiciens (1960), il animera la revue Planète (1961-1968) non moins discutée et discutable. Auteur d'une multitude d'articles parfois sujets à caution ou à imprécisions, Jacques Bergier, qui dirigea en outre diverses collections, notamment avec son ami Georges Gallet, fut une figure marquante que Hergé, le dessinateur de Tintin et Milou, a immortalisé dans l'une des célèbres bandes de son héros : Vol 714 pour Sydney (1967).
En 1954, avons-nous dit, a débuté Présence du Futur. Dirigée jusque vers 1976 par Robert Kanters, auquel a succédé Elisabeth Gille, elle accueillera la plupart des grands textes de la science-fiction contemporaine et, pour ce qui concerne le domaine français, révèlera au grand public Jean-Pierre Andrevon en particulier (1969, Les hommes-machines contre Gandahar). Elle constitue, à l'heure présente, l'une des trois collections les plus intéressantes, par l'importance de son catalogue d'une part et, d'autre part, en raison de la qualité régulière de ses parutions.
C'est en décembre 1957 que le premier numéro de la revue Satellite voit le jour, sous la houlette de Michel Benatre, directeur, et de Patrice Rondard (sous le pseudonyme d' Hervé Callixte) rédacteur en chef. En dépit de nombreux défauts dont le plus grave sans doute fut le manque crucial de moyens financiers, Satellite eut le mérite de tenter d'exister avec une contribution française importante. Les têtes d'affiche furent constituées le plus souvent par Gérard Klein, Michel Demuth, Charles Henneberg. On peut dire que cette revue, qui durera jusqu'en février 1963, reste à ce jour la tentative la plus sympathique — et aussi la plus réussie — d'installer sur le marché un périodique sans véritable attache américaine, car il ne faut pas oublier que si le Galaxie français fut l'émanation du Galaxy des U.S.A., Fiction reste celle de The Magazine of Fantasy and Science-Fiction. En 1959, Satellite se prolongera même d'une collection intitulée Les Cahiers de la Science-Fiction qui ne dépassera pas dix livraisons ainsi qu'une bande dessinée qui n'arrangea guère les affaires de la revue. C'est encore en 1959 que parut le premier numéro spécial de la revue Fiction, entièrement consacré aux écrivains français. Alain Dorémieux (né en 1933), le rédacteur et responsable, y participait avec une nouvelle remarquable, La Vana, empreinte de sensualité et jouant sur les thème des formes de vie humanoïdes ; Philippe Curval, journaliste (né en 1929) y offrait C'est du billard qui annonçait le surréalisant auteur qui allait, quelques années plus tard, être reconnu comme l'un des plus originaux. Ces numéros spéciaux se sont renouvelés et une trentaine a paru à ce jour, dont 9 consacrés aux français, deux à l'Italie, deux à l'Allemagne, le reste recouvrant le domaine anglo-saxon.
Du côté du cinéma, rien de remarquable n'est venu accompagner le phénomène littéraire. Mais un chanteur-compositeur-poète, Guy Beart (né en 1930) commence en 1957 avec Le Terrien une série de chansons sur les thèmes stellaires. Il finira par livrer un 33 tours intitulé Futur, Fiction, Fantastique (Disques Temporel, 1977). Et puis il y a aussi Belen, une jeune femme qui ne tardera guère à se tourner vers la mise en scène sous son vrai nom de Nelly Kaplan ; elle publiera plusieurs plaquettes dont La géométrie dans les spasmes (1959) que Fiction a publié partiellement et à petites doses.
Et pour en finir avec les années 50 qui avaient vu par ailleurs débuter les premiers fanzines — Le petit silence illustré de Jacques Sternberg, Ailleurs de Pierre Versins, — ainsi que les premières émissions radio de science-fiction — Passeports pour l'inconnu à Radio Lausanne en particulier (à partir d'octobre 1957), — signalons une vaste production consacrée pour une large part à la science-fiction, celle d' Henri Vernes (pseudonyme de Charles Dewisme) consacrée aux aventures de Bob Morane. Et regrettons la disparition prématurée de Charles Henneberg dont l'ultime roman, La rosée du soleil, paraît en 1959, l'année même de sa mort, un écrivain dont Jacques Sadoul dira qu'il avait « le sens de l'épique, du mouvement et de l'invention au niveau du scénario ». Sa femme, Nathalie (1917-1977) reprendra le flambeau en 1961 en publiant Les dieux verts. La parution de ce roman déclenchera de multiples controverses dans Fiction en particulier. Pour les uns, elle présentera une « langue beaucoup plus riche » tandis que d'autres clameront au « mauvais goût ». Elle écrira plusieurs autres romans et de nombreuses nouvelles dont les meilleures appartiennent à la littérature fantastique. La plaie (1964) est peut-être son chef-d'œuvre.
Avec le début des années 60 s'amorce une crise qui durera près de dix ans. Bien sûr, elle ne se déclenchera pas brutalement et, de 1960 à 1963, d'autres collections tentent encore de s'implanter : Science-Fiction aux éditions Ditis en 1960, Science-Fiction-Suspense chez Daniber en 1961. En vain. Malgré tout, Planète sortira en 1961, mais il s'agit bien peu d'une revue de science-fiction. La même année paraît encore sur le modèle des romans-photos Star-Ciné-Cosmos qui propose sous forme de photogrammes des récits tirés de films de science-fiction. Ce magazine parviendra à fournir 81 numéros jusqu'en 1965. Dans le domaine des revues consacrées au cinéma, l'événement sera bien sûr Midi-Minuit fantastique qui durera de 1962 à 1970 avec 18 livraisons débordantes d'enthousiasme et d'iconographie sur les films fantastiques et de science-fiction. Animée par Michel Caen, Alain Le Bris , Jean-Claude Romer, mais aussi Jean Boullet et Francis Lacassin, entre autres, cette revue aura une postérité jusqu'à aujourd'hui à travers de nombreux fanzines et revues dont Mercury-Bis, Mad Movies et L'Ecran Fantastique.
Et la traversée du désert commence, qui voit naître, par voie de conséquence sans doute, de nombreux fanzines : Lunatique (de Jacqueline Osterrath), Le Jardin sidéral (de Jacques Ferron), Lumen (de Claude Dumont), Mercury (de J.P. Fontana), Nyarlathotep (de R. Le Gloanec et D. Riche). Le nombre des auteurs semble fondre comme neige au soleil. Fiction semble chercher en vain de nouveaux talents. Entre 1964 et 1968, seuls Christine Renard (1929-1979), Daniel Walther (né en 1940), Jean-Pierre Andrevon (né en 1937), Serge Nigon (né en 1938) et Jean-Pierre Fontana (né en 1939) s'y ménagent encore une place. Pourtant les éditions Opta ont relancé Galaxie prolongée de la collection Galaxie-Bis et sorti les classiques de la science-fiction dans une édition numérotée et luxueuse intitulée Club du Livre d'Anticipation à l'initiative de Jacques Sadoul et d' Alain Dorémieux. Mais hors du Fleuve Noir, il n'y a point de salut pour les auteurs car les publications deviennent rares et la place manque pour en accueillir de nouveaux. Ces longues années s'achèvent finalement fin 1969 lorsque Gérard Klein parvient à lancer aux éditions Robert Laffont une nouvelle collection Ailleurs et Demain. L'année suivante, Jacques Sadoul, transfuge des éditions Opta, ouvre au sein de la collection J'ai Lu une section « science-fiction » qui obtiendra très vite une grande audience. Un an plus tard, toujours à l'initiative de Jacques Sadoul, sera décerné le premier Prix Apollo récompensant le meilleur roman publié au cours de l'année précédente. Un nouvel élan est donné. Il ne s'est pas encore complètement estompé.
Depuis 1969, un contingent important d'articles et d'études (dont la plus célèbre restera un numéro du Magazine Littéraire d'août 1969) a essayé d'expliquer la S.F. au grand public. Et le journal Le Monde lui-même ne refuse plus de signaler l'existence des meilleurs romans sous la plume de Jacques Goimard. Des manifestations se sont très vite multipliées : Mois de la Science-Fiction à Grenoble (décembre 1971), Semaine de la Science-Fiction à Clermont-Ferrand (mars 1972) qui aboutira en mars 1974 au Premier Congrès de la Science-Fiction Française et au Grand Prix de la Science-Fiction Française (à l'initiative de J.P. Fontana et du club Promotion du Fantastique), Festival du film fantastique de Paris, organisé par Alain Schlockoff (mai 1972), enfin Festival d'Avoriaz (janvier 1973).
L'année 1973 représente peut-être celle de l'épanouissement de la science-fiction française. Elle apporte en tous cas trois œuvres d'importance : La loi du Talion, un excellent recueil de nouvelles de Gérard Klein (qui avait publié deux ans auparavant et dans sa même collection Ailleurs et Demain Les seigneurs de la guerre), Tunnel, le roman le plus achevé d' André Ruellan, histoire d'une femme maintenue en survie jusqu'à la naissance de l'enfant qu'elle porte, enfin Le temps incertain de Michel Jeury, premier Grand Prix de la S.F. française, roman qui marque le vrai début d'une carrière fulgurante et constitue le premier volet de son univers chronolytique qu'il retrouvera dès l'année suivante dans Les singes du temps. Ces trois volumes attestaient une vitalité inattendue de la part d'une science-fiction française que l'on aurait pu croire presque défunte. Leur portée fut grande car d'autres auteurs ne tardèrent pas à vouloir suivre la même voie. Et l'on vit réapparaître Philippe Curval dont le talent explosa dans L'homme à rebours (1974) récit d'un voyage analogique, et qui obtint avec ce roman le second Grand Prix de la S.F. française, puis dans Cette chère humanité (1976) qui décrocha le Prix Apollo à la barbe des américains en mettant en scène le marché commun lui-même.
Nous avons dit plus haut que les collections se multipliaient. Il faut néanmoins faire une réserve à ce mouvement enthousiasmant qui offrait enfin l'abondance aux lecteurs affamés. Les auteurs français furent rarement accueillis dans les initiatives qui naissaient de mois en mois. Les éditions Marabout, qui consacraient désormais une large place à la science-fiction, leur faisaient toutefois une place non négligeable. Curval pouvait y publier après un passage en revue Les sables de Falun (1970 pour Fiction), magnifique roman d'aventures spatiales bourré d'inventions, Jean-Pierre Fontana donnait son premier roman La geste du Halaguen (1971 pour Casterman et Fiction) une héroïc-fantasy incrustée sur le thème d'un voyage millénaire à travers la galaxie. Mais Stock avec Evasion (1971), Albin Michel avec Science-Fiction qui deviendra la collection Super-Fiction (1972), J. Cl. Lattès avec Editions Spéciales (1970 pour les œuvres d' Edgar Rice Burroughs, puis 1972 pour Conan et autres titres), Opta avec Anti-Mondes (1972) et Marginal (1973), Calmann-Lévy enfin avec Dimensions S.F. (1973) ne laissaient que la part congrue aux auteurs du terroir. Heureusement, le Fleuve Noir était là et, bientôt, Denoël se montrerait moins réservé avec la prose nationale en recevant Philippe Goy, J.P. Fontana, Dominique Douay, Pierre Pelot, Bernard Villaret, Jean-Marc Ligny.
Le bilan était donc positif puisque la science-fiction obtenait enfin droit de cité partout. Le temps des auteurs français finirait bien par venir. En 1971, une initiative d' Alain Dorémieux avait permis la parution de l'anthologie française Voyages dans l'ailleurs chez Casterman. En 1975, la collection Constellations de chez Seghers abritera à son tour trois anthologies nationales de textes parus, il est vrai, entre 1954 et 1970.
Mais d'autres initiatives doivent être signalées. Elles sont le fait d'érudits qui livrèrent les premiers grands panoramas sur la littérature de science-fiction. En 1972, c'est la superbe, l'énorme Encyclopédie des Utopies et de la Science-Fiction de Pierre Versins. L'année suivante, Jacques Sadoul publie une Histoire de la S.F. Moderne surtout axée vers le domaine anglo-saxon. En 1974, Jacques Van Herp à son tour donne un Panorama de la Science-Fiction. Citons encore Clefs pour la Science-Fiction de Igor et Grichka Bogdanoff (1976), La science-fiction par le menu, collectif de la revue Europe (1977), Civilisation et divagations de Louis-Vincent Thomas (Petite bibliothèque Payot 1979), Science-Fiction & Histoires, collectif paru chez Seghers/Laffont (1981 mars) et Les Pirates du paradis, essai sur la science-fiction de Alexis Lecaye (Denoël/Gonthier 1981) et nous en oublions bien d'autres.
En 1975, la deuxième Convention de S.F. française se déroule à Angoulème et J'ai Lu tente d'implanter une revue trimestrielle Univers. Mais celle-ci s'arrêtera en 1979 pour devenir une anthologie annuelle. Les éditions Opta sortent encore Nébula qui diffusera en alternance avec des anglo-saxons les meilleurs récits de la nouvelle vague française. Mais les revues sont malades de l'explosion soudaine des collections. Horizons du Fantastique, qui était né à l'initiative de Dominique Besse durant le malaise de 1968 cesse sa parution, succombant après l'éphémère Aube enclavée d' Henri-Luc Planchat (1971-1972). L'année suivante, on verra surgir et mourir presque aussi vite le meilleur et le pire en matière de revues, SF Magazine (Ed. de France) aux illustrations splendides, puis Piranha (Ed. Pierre de Lune), Argon (créé par Alain Detallante) ou Chroniques Terriennes d' Hervé Desinge et Lionel Hoebecke, Spirale enfin, émanation du Slan Club (1976).
En 1977, les éditions Opta, en difficulté, sabordent Galaxie qui accueillait depuis quelques années les auteurs nationaux et donnait carte blanche à Philippe Curval pour s'exprimer dans ses Petites Chroniques de Nuit, à propos de tout et de la science-fiction en particulier. Cette disparition entraîne du même coup celle des autres collections de la maison, à l'exception de la revue Fiction, des Galaxie-Bis et du C.L.A. (Club du Livre d'Anticipation). Par un heureux concours de circonstance, mais ce ne sera qu'un feu de paille, les éditions Kesselring donnent le jour à la revue Alerte qu'animera Bernard Blanc, un franc-tireur de la science-fiction militante, déjà responsable du fanzine Le citron hallucinogène et qui récidivera dans le terrorisme l'année suivante avec une bombe intitulée Pourquoi j'ai tué Jules Verne (Dire, Stock). Accompagnée d'une série d'anthologies sous le titre collectif Ici et maintenant, cette revue disparaîtra en 1980. Mouvance, publié par Bernard Stephan et Raymond Milesi, se présente davantage comme un collectif annuel dont on peut regretter la diffusion discrète compte tenu de la haute qualité des nouvelles et articles, prend vie cette même année. Mais c'est surtout du côté des éditions Presses-Pocket que les choses bougent à l'initiative de Jacques Goimard, un historien converti de longue date, ardent défenseur du peplum au temps où Hercule et Maciste fréquentaient les écrans, gastronome et surtout érudit. Une nouvelle collection prend vie, dont l'originalité réside essentiellement dans une série interne consacrée aux anthologies d'auteurs ou thématiques et, plus récemment, nationales : Le Livre d'Or de la Science-Fiction. Jacques Goimard n'en restera cependant pas là. L'année suivante, aux éditions Julliard, il éditera le premier volume de L'année de la Science-Fiction et du Fantastique, ouvrage sans doute unique au monde qui recense tous les livres, films, évènements de l'année écoulée et en reprend les meilleures nouvelles. A ce jour, quatre gros tomes sont parus.
Malgré tout, à partir de 1978, une récession commence à se faire sentir, que masquent les brefs éclairs lancés par Futurs, un mensuel qui ne dépassera pas six numéros, voire le démarrage de la collection L'Utopie tout de suite aux éditions Encre Noire. Premier titre : Le futur est en marche arrière, excellent recueil de nouvelles de Pierre Christin. La cinquième Convention Française de Science-Fiction se déroule à Yverdon (Suisse) dans le cadre de la Maison d'Ailleurs, un musée de la science-fiction créé par Pierre Versins (adresse : 5, rue du Four, 1400 Yverdon) qui est devenu un lieu de pèlerinage pour tous les chercheurs et bibliographes.
Peu de nouveautés en 1980, ce qui confirme le recul amorcé l'année précédente. Les éditions Lattès relancent toutefois une nouvelle collection sous l'impulsion de Marianne Leconte, nouvelliste et traductrice qui avait, quelque temps, assuré la rédaction de feu Horizons du Fantastique : premier roman publié, Les chiens, d' André Ruellan. Les Nouvelles éditions Oswald sortent une très belle collection bâtie sur des rééditions d'introuvables et quelques nouveautés françaises ou étrangères. Le Fleuve Noir a nettement intensifié la production de la série Anticipation qui s'accompagne depuis peu d'une collection de reprises Lendemains retrouvés (en fait, à partir de 1974). Un petit éditeur de province a encore essayé d'implanter une collection à base d'auteurs français : Mémoires d'outre-ciel (Ed. Garry), mais sans convaincre. En fait, le principal événement de l'année s'est produit à la télévision sur TF1 avec la diffusion des premières émissions de Temps X, animées par Igor et Grichka Bogdanoff et qui, chaque semaine depuis 1981, font le point durant près de quarante minutes sur les nouveautés et les manifestations et projettent des extraits de films ou proposent des interviews. Ce magazine disposerait d'un public de plusieurs millions de téléspectateurs.
1980/1981 : fin de notre parcours. Les dernières velléités de revues, Opzone et SF et quotidien ont encore échouées ou se sont enlisées dans l'indifférence d'un public beaucoup plus attiré, semble-t-il, par le cinéma dont les éblouissantes performances font accourir les foules. Les réalisateurs français ont mis cependant fort longtemps avant de pouvoir (ou d'oser) s'exprimer dans la langue de la science-fiction. Jean Pourtalé parvient à recréer une version toute personnelle du roman de Matheson, I am legend ( Je suis une légende) avec Demain les mômes (1976). Alain Jessua met en scène Les chiens (1978) d'après le roman d' André Ruellan, Bertrand Tavernier titre de The continuous Katherine Mortenhoe (L'incurable) de D.G. Compton un film remarquable : La mort en direct, avec Romy Schneider. Et Christian de Chalonge enfin propose (en 1980) une adaptation du Malevil de Robert Merle. Cela n'enraye pas le phénomène de désagrégation qui attaque le monde de l'édition de science-fiction. En même temps que le Masque-S.F., la série science-fiction du Livre de Poche de chez Hachette, que dirigeaient Jean-Baptiste Baronian et Michel Demuth depuis 1977, s'interrompt. Et la collection de Robert Louit, Dimensions SF (Ed. Calmann-Lévy) ne propose aucun auteur français en 1981 et réduit même très sensiblement le nombre de ses parutions nouvelles. Grâce à elle pourtant, Dominique Douay avait obtenu la consécration ( La vie comme une course de char à voile, 1978) et Francis Berthelot effectué des débuts prometteurs ( La lune noire d'Orion, 1980).
Est-ce le début d'une nouvelle crise ou, comme le remarque justement Gérard Klein dans un excellent article paru dans L'année 1979-1980 de la Science-Fiction et du Fantastique, est-ce tout simplement que « il n'est pas raisonnable de penser que plus de trois cents titres chaque année puissent trouver un public ». Il serait plus grave que les auteurs français soient les premiers sinon les seuls à en pâtir en raison, notamment, d'une réticence « de l'acceptation par le public d'une S.F. autochtone » ( Gérard Klein, ibid), d'autant que de nouveaux talents ont commencé à poindre : Serge Brussolo ( Prix de la SF française avec Vue en coupe d'une ville malade, Denoël, Présence du Futur, 1980), Patrice Duvic ( Naissez, nous ferons le reste ! Presses-Pocket, 1979), Yves et Ada Rémy ( La maison du cygne, Laffont, Ailleurs et Demain, 1978, qui a obtenu le Prix de la SF française), que Pierre Pelot allie non seulement la qualité à la productivité mais étonne sans cesse par l'originalité de son inspiration : Transit (Laffont, Ailleurs et Demain, 1977), Les barreaux de l'Eden (J'ai Lu, 1977), Fœtus-party (Denoël, Présence du Futur, 1977), Le sourire des crabes (Presses-Pocket, 1977), Parabellum Tango (J'ai Lu, 1980), Les îles du vacarme (Presses-Pocket 1981).
On peut dire pour conclure que, indépendamment de beaux jours passés, l'avenir de la science-fiction française reste encore à faire même si la science-fiction en France a trouvé un premier âge d'or. Avec des valeurs sûres comme Michel Jeury, Philippe Curval, ou, dans un domaine plus proche du mainstream, Robert Merle ( Les hommes protégés, Gallimard, 1974 ; Un animal doué de raison, Gallimard 1967), Pierre Boulle et René Barjavel (déjà cités), la littérature nationale devrait finir par s'imposer en persuadant les réticents que l'imaginaire ne peut et ne doit pas être un domaine réservé aux seuls anglo-saxons. Puisse ce modeste article en avoir apporté la preuve.
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