Jason Whitney a 5000 ans ; habité par le "Principe", une intelligence cosmique inexprimable qui a poussé les hommes hors de la Terre pour qu'ils se répandent dans le cosmos, il reste, avec son épouse et quelques autres gardiens, sur notre planète désertée, à écouter et à regarder les étoiles (A chacun ses dieux, Présence du Futur, A Choice of Gods, 1972). Enoch Wallace, survivant de la guerre de Secession, n'a que 123 ans ; il habite une maison isolée dans une forêt profonde de l'Etat du Wisconsin, lui aussi a été touché par une intelligence extraterrestre, lui aussi passe sa vie à écouter et à regarder les étoiles ; mais sa maison abrite également un relais, un "virematière", qui permet aux voyageurs des innombrables races galactiques de faire de courts arrêts sur notre monde (Au carrefour des étoiles, J'ai Lu - Way Station, 1963).
Ces deux romans peuvent être considérés comme des space-operas, mettant en scène d'étranges races extraterrestres et de fabuleuses civilisations ; mais ce sont des s-o immobiles, sans conflit, qui se déroulent sur Terre, et même sur un tout petit coin de la Terre, et dont le héros est un vieillard contemplatif. Tout l'art de Simak, et sa profonde originalité dans l'univers littéraire de la S-F, tiennent à cela. Il n'y a pas besoin d'astronefs pour aller dans les étoiles, il suffit de les regarder, de les écouter, de se laisser boire par elles. Et les E-T ne sont pas méchants, ce ne sont pas des monstres, ils sont simplement différents : il suffit là encore de les regarder (attentivement), et de les écouter, pour les comprendre ; alors, ils peuvent devenir votre voisin, un voisin comme un autre.
Dans son article intitulé précisément Des étrangers pour voisins (Fiction 285), le critique britannique David Pringle fait la remarque que, même dans ses oeuvres de jeunesse, Simak "a rêvé qu'il était un vieil homme", dont la principale source de joie est d'observer le spectacle toujours recommencé de la nature. Simak est né, a grandi en plein Middle West, à Millville, dans le Wisconsin. Il raconte qu'il a vécu là dans le prolongement de l'époque des pionniers, hors de son temps, et que pendant quatre ans il s'est rendu au collège à cheval. Même s'il s'est par la suite éloigné de Millville physiquement (Simak a été longtemps journaliste), il ne le quittera jamais en pensées, faisant de son pays d'enfance le cadre de bon nombre de lieux de contacts galactiques. S'il est important d'évoquer la vie de l'auteur, c'est que jamais en S-F une existence n'a aussi étroitement nourri une oeuvre (qui, soit dit en passant, avec ses cinquante années de création est d'une exceptionnelle longévité) : ses héros sont souvent le paysan ou le journaliste qu'il a été, parce que le paysan est proche de la terre et que le journaliste recherche la vérité - deux dimensions inaliénables de son pays de l'esprit.
Mais si toute existence est précieuse, la place de l'homme dans l'univers est infime. C'est ce qui ressort de son ouvrage le plus célèbre, Demain les chiens, (J'ai Lu - City, 1944-1951), un cycle de nouvelles sur une autre facette de cette Terre désertée par les hommes qu'il affectionne, et où ne subsistent en harmonie que nos descendants, les chiens, doués d'intelligence, et les robots. Nostalgique, bucolique, passéiste ? Simak est tout cela. Mais il est aussi profondément solidaire, et habité par le sentiment de la justice. Lorsque Asher Sutton, mort et ressuscité, revient sur Terre après un incroyable périple dans l'espace-temps, il apporte aux hommes un livre de la Destinée qui s'ouvre par la phrase "Aucune créature ne marche seule sur la route de la vie" mais il vient aussi pour donner la liberté aux esclaves que nos semblables ont fabriqué à leur image, les androïdes (Dans le torrent des siècles, J'ai Lu - Time and again, 1959).
Alors passéiste peut-être, Simak, mais pas indifférent. Comme le note Denis Philippe (Fiction 254) : "Clifford D. Simak a exalté sur le ton de la ballade des vertus simples : la fraternité de tout ce qui vit, le sens immanent de la justice, l'amour de la nature, les joies que procure un travail bien fait. Et, par dessus tout ça plane l'ombre fluide du destin, qui fait régner l'harmonie en prenant son temps, et pour qui une vie d'homme, ou de chien, ou de robot, n'est rien d'autre qu'un grain de poussière dans le sablier de l'éternité". Simak ? Un cher vieil oncle, une conscience.
Lecture
- La croisade de l'idiot (Présence du Futur, extrait de The World of Clifford Simak, 1960).
- Le principe du loup-garou (Présence du Futur - The Werewolf Principle, 1967).
- Le livre d'Or de Clifford Simak (anthologie de Daniel Riche, Presses Pocket, 1985).
|