MANGO Jeunesse
(Paris, France), coll. Autres Mondes n° 10 Dépôt légal : février 2002, Achevé d'imprimer : février 2002 Première édition Roman, 192 pages, catégorie / prix : 9 € ISBN : 2-7404-1360-2 Format : 13,0 x 19,9 cm Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
L'Internet est mort, vive l'Intersphère ! Enveloppant la Terre, ce champ de forces invisible contient des milliards de données. Mais pour y accéder, il faut passer par des êtres humains appelés « connecteurs » et capables de surfer sur cet océan d'informations grâce à leurs facultés psychiques.
C'est parce qu'il possède de tels pouvoirs que le jeune Frédéric Lorca est engagé par la Com.Amalgam, l'entreprise à l'origine de ce web du futur.
Peu après, Frédéric apprend qu'une terrible menace se cache dans l'Intersphère. Il décide de mener l'enquête. Finira-t-il par découvrir l'effrayante vérité ? Et lui-même, qui est-il réellement ?
1 - Postface (et sources commentées), pages 173 à 177, postface 2 - (non mentionné), Christophe Lambert, pages 180 à 180, biographie 3 - (non mentionné), L'Illustrateur : Manchu, pages 181 à 181, biographie
Critiques
Nous sommes en 2021 et le héros, Frédéric Lorca, qui passe ses journées dans l'Intersphère en tant que connecteur, isolé du réel dans son caisson d'immersion aussi douillet que l'utérus maternel, ne se pose guère de questions sur le monde dans lequel il évolue. Un monde scindé en deux catégories : les « plugged », ceux qui sont connectés au réseau grâce à l'implant qu'ils portent dans le cerveau, et les « unplugged », tous les autres. Frédéric Lorca est l'un des rois du monde, sillonnant sans lassitude les autoroutes de l'espace, affranchi des lois de la physique. Pourtant, le monde de 2021, malgré les formidables progrès de la communication, n'a guère évolué dans le bon sens : la Seine est tellement polluée qu'on l'appelle le « fleuve des suicidés », ses eaux acides sont capables de digérer un corps en une minute ; le tunnel sous la Manche a subi un attentat trois ans auparavant, isolant à nouveau la Grande-Bretagne ; les poules mutent et ont désormais des dents ; les portables donnent le cancer ; l'euro a disparu au profit du mondio ; le cochon a eu l'herpès en 2005 ; l'Europe est envahie par des charançons génétiquement modifiés et, pour couronner le tout, le vieux Steven Spielberg est en train de bâtir un « Nessy Land » sur les rives du loch Ness !
Dans une boîte branchée, Frédéric rencontre un soir une belle jeune femme qui sème le doute dans son esprit. Elle lui affirme que la société qui l'emploie, la Com.Amalgam, est infiltrée par des clones, alors que le clonage humain est strictement interdit. Elle appartient à la police de l'éthique, chargée de surveiller les secteurs technologiques qui ont une influence directe sur le devenir de l'être humain, et demande à Frédéric de travailler pour elle. Dès lors, la vie de Frédéric bascule et commence une longue cavale qui l'entraîne vers les Highands, en compagnie de Sarah Klein, la jeune femme qui l'a recruté quelques années auparavant. Là-haut, dans cette région préservée de l'Ecosse vit Willy Van der Braden, le concepteur de l'Intersphère, le patron de la Com.Amalgam, l'homme le plus riche du monde. Frédéric veut vraiment savoir si sa vie n'a pas été qu'une longue manipulation et s'il n'est pas un clone ...
La force du roman de Lambert, construit comme un film d'Hitchcock, repose sur le décalage entre le ton du récit, léger, vif, plein d'humour, de dérision et de références, et le propos qui engage une réflexion intéressante sur les agissements de sociétés aux multiples ramifications, agissant au mépris des lois et de l'éthique, traitant l'humain comme un matériel de laboratoire. Qui sont les vrais rois du monde ? Les dirigeants politiques ou les PDG des multinationales qui agissent en toute impunité, abrités dans des repaires secrets inviolables, tels le Maître du Haut-Château, de P.K. Dick ? Spéculation ou réalité ? Le personnage fictif de Willy Van der Braden, que l'on ne rencontre pas dans ce roman mais qui est malgré cela omniprésent, ressemble beaucoup à un certain Bill Gates, l'un des hommes les plus puissants de notre monde, qui a remporté une impitoyable guerre économique et qui — pour se donner bonne conscience ? — investit aujourd'hui une infime partie de sa fortune dans une campagne de vaccination des enfants du tiers-monde. Les lecteurs attentifs s'amuseront à relever les multiples clins d'œil et de référence à la littérature ou au cinéma de science-fiction, ou à la manière dont Lambert se moque des modes ou des jargons en vogue dans certains milieux branchés. Un bon roman, à la fois très lisible et très riche de par les questions posées.
n 2015, on a découvert que les êtres vivants généraient un champ « morphologique » invisible autour de la Terre, constituant une sorte de mémoire universelle collective. Ce qu'on aurait pu appeler « noosphère » ou « psychosphère » est finalement devenu l'« Intersphère » lorsqu'un génie nommé Van Der Braden est parvenu à y transférer l'ensemble des données de l'Internet. L'Intersphère, à laquelle on peut désormais se connecter à l'aide d'un simple implant cérébral, nécessite des moteurs de recherche performants, à savoir des individus capables de parcourir le champ morphogénétique et d'y guider les internautes du futur. Devenu depuis peu l'un de ces « connecteurs », Frédéric est contacté par la PEE, la Police Européenne de l'Ethique : la société de Van Der Braden serait un repaire de clones, bien que le clonage humain reproductif soit interdit en Europe... orsque Frédéric recherche parmi ses collègues ceux qui pourraient être des clones — des « bourgeois-bohèmes d'à peine vingt ans » selon l'auteur — , il constate que leurs ressemblances semblent découler d'un « formatage » social plus que de la génétique. Christophe Lambert s'amuse en effet à croquer le milieu des informaticiens, ces « rois du monde », dominés par la figure inquiétante de Van Der Braden en qui on reconnaîtra un « clone » de Bill Gates (à l'image du personnage incarné par Tim Robbins dans Antitrust de Peter Howitt). 'auteur reprend en parallèle l'idée d'un organisme traquant les infractions aux lois éthiques, à la base de la série des Quark Noir parue chez Flammarion ; il cite même Mark Sidzick, le héros commun de cette collection où Lambert a publié Les Étoiles meurent aussi. La problématique éthique du présent roman concerne bien sûr le clonage, motivé ici par l'existence d'une faculté innée — et donc supposée génétique — aussi rare qu'inestimable. Peut-être Lambert aurait-il pu approfondir cette réflexion, car une telle faculté, précieuse pour le bien de l'humanité, ne pourrait-elle pas justement être une vraie justification du clonage ? L'auteur évite cependant cette discussion délicate en conférant à cette manipulation de plus sombres desseins, ce qui rend indéfendable le « savant fou » pour qui l'Intersphère n'est que le moyen d'imposer sa loi au monde. algré la relative complexité des premiers chapitres, qui exposent les notions résumées ci-dessus, Clone connexion demeure un récit où l'action est très présente, comme dans tous les romans de l'auteur. L'intrigue évolue rapidement vers une fuite en avant hitchcockienne : désireux de faire la lumière sur cette affaire et craignant d'être lui-même un clone, Frédéric parcourt l'Europe pour aller à la rencontre du richissime Van Der Braden, en essayant d'éviter à la fois les tueurs lancés à ses trousses et une police qui menace de « retirer » les clones identifiés. L'aventure itinérante et la quête d'identité se prolongeront en outre par une histoire d'amour entre Frédéric et la jeune femme qu'il a prise en otage, l'ex-maîtresse du magnat. lone connexion est sans doute le roman le plus ambitieux de Christophe Lambert à ce jour. Même si le nombre des thèmes abordés en un roman aussi court ne permet évidemment pas de faire le tour de chacun et si le dénouement peut ainsi paraître un peu rapide, le récit suscite une intelligente réflexion sur plusieurs sujets d'actualité, au sein d'une aventure dynamique agrémentée d'une plaisante satire sociale.