“ Si l'homme disparaissait de la surface de la planète qu'elles lui ont offerte, elles reprendraient possession de leur domaine en quelques décennies. ” rappelle Jean-Pierre Hubert dans la postface aux Cendres de Ligna. “ Elles ”, ce sont les plantes, personnages à part entière – voire véritables héroïnes – de ce roman.
Ligna est une planète perdue, recouverte d'une immense forêt d'où une petite colonie d'hommes tire ses ressources, exploitant notamment le bois doux du ginnka, bois doté de vertus empathiques apaisantes qui font son succès dans la galaxie.
Mais cette sylve se plie difficilement aux appétits de l'homme, et aucun bulldozer n'a pu la forcer sans accident, jusqu'au jour où l'homme met au point le mégabull, robot insectoïde dont l'armement considérable est en outre capable d'adapter ses défenses à la réaction de l'environnement...
La nature se rebelle alors contre l'homme et ses machines : il pourrait s'agir d'un scénario de dessin animé, où de gentilles fleurs feront triompher les bons sentiments, mais Hubert ne cherche aucunement à en faire un joli conte. C'est au contraire à une guerre d'une extrême violence que nous allons assister, car les plantes vont se révéler des guerrières aux armes aussi variées que redoutables, et les scènes de ce combat, qui tourne vite au cauchemar pour les humains, sont à proprement parler hallucinantes.
Hubert donne à cette guerre un réalisme d'autant plus fort que les végétaux qu'il met en scène sont des plantes existantes, même s'il prend la liberté d'accélérer leur rythme de croissance. Il prouve ainsi que certaines formes de vie terrestres constituent des Autres bien plus convaincants et surprenants que beaucoup d'aliens trop souvent humanoïdes inventés par la SF.
Cependant, une espèce humanoïde existe aussi sur Ligna : les cendreux. Mais qui sont-ils au juste ? Quel rapport entretiennent-ils avec la flore de la planète ? Seraient-ils l'incarnation d'une tentative de contact de la part des végétaux ? Où est la frontière entre le végétal et l'animal lorsque les arbres pondent des oeufs ? Les jeunes Jona et Rick, apprentis ébénistes, pourront-ils percer ce mystère et sauver la colonie ?
Au message écologique évident s'ajoute ainsi le récit touchant d'un premier contact avec une intelligence extraterrestre, si différente qu'elle est difficile à appréhender.
Bien que le récit privilégie l'action et le rythme, Hubert a donc su éviter une leçon de morale trop simpliste et sa conclusion relève plus de la mise en garde réfléchie que du sentimentalisme. Mais, loin de refuser tout progrès ou toute évolution, il demeure optimiste, montrant la voie possible d'une collaboration intelligente et réussie entre l'homme, son environnement et sa technologie. Dès le premier chapitre, il montre comment le travail des mains de l'artisan, des mandibules d'un insecte pollinisateur et d'un stylet laser peuvent concourir à l'élaboration d'un objet.
Un excellent planet opera, qui mêle intelligemment écologie et approche de l'Autre.
Laureline PATOZ (lui écrire)
Première parution : 10/1/2001 nooSFere
Sur Ligna, seule une poche de vie abrite l'ensemble de la flore et de la faune de la planète : une grande forêt vierge étagée sur les pentes changeantes d'un immense volcan.
En dépit de leurs noms terriens, les plantes de cette forêt ne ressemblent guère à celles que nous pouvons connaître : généralement situées quelque part entre les règnes végétal et animal, tous les arbres, les bambous, les buissons, les fougères... tout est agité de mouvements, les feuilles vous caressent, les branches s'inclinent, les écorces se déplacent...
Au sein de cette forêt, des petits groupes de colons terriens vivent de l'exploitation de la richesse naturelle des lieux. Ainsi Jona, la jeune héroïne, est-elle apprentie chez le menuisier Harvinn. Leur spécialité : la sculpture du « bois doux » de ginnka, une matière aux propriétés calmantes, presque empathiques, très recherchées.
Mais le fragile statu quo entre les humains et la forêt ne saurait durer : toujours avides de plus de profit, toujours méprisants de la nature, quelques exploitants veulent pousser leur avantage et violer la sylve de Ligna à grands coups de technologie surpuissante. Hélas pour eux, Ligna n'est pas la Terre — la nature n'a pas l'intention de se laisser faire.
S'inspirant ouvertement d'une partie de notre propre écosystème (ainsi qu'il l'explique dans sa postface), Jean-Pierre Hubert brode ici un roman qui doit tout autant à la SF « exotique » classique (on pense à Jack Vance et à Stefan Wul) qu'aux préoccupations écologistes les plus actuelles. Audacieux, il n'hésite pas à bousculer son jeune lectorat, avec un crescendo de violence et des coups de théâtre pas toujours tendres. Tant mieux : la littérature pour la jeunesse n'a aucune vocation à la mièvrerie.
André-François RUAUD (lui écrire) (site web)
Première parution : 1/12/2000 dans Galaxies 19
Mise en ligne le : 1/3/2002