Deux ans après la lecture de Carmélia, premier roman de Gérald Duchemin, le souvenir de son savoureux monologue d'appartement-tueur demeure plus brillant dans ma mémoire que bien des lectures faites depuis. Je me suis donc plongé avec délice dans ce recueil dont l'emballage demeure d'une autre époque – ce qui est loin d'être désagréable mais risque de détourner certains lecteurs.
Ces six textes ont d'abord pour point commun le style raffiné – mais non maniéré – , incisif et mélodieux de leur auteur. Cette petite musique où l'ironie pointe sans cesse son nez procure à elle seule un plaisir de lecture évident, à l'image de celui éprouvé à l'écoute d'un bon conteur, quelle que soit l'histoire.
Les intrigues sont plus inégales, mais toutes valent le détour. Variation autour des peurs d'enfant, du sentiment de culpabilité et du fantôme du frère disparu, « Motus » est assurément un texte sensible et élégant mais qui ne parvient pas tout à fait à se dégager d'une sensation de déjà lu. De même, la chute de « Monsieur Carpetto », insatiable outremangeur, se devine sans doute un peu vite. Quand aux « Petits contes macabres », j'avoue que ce bouquet de récits ultra-courts d'inspirations diverses m'ont laissé sur ma faim. Ces trois premiers textes, quoique plaisants par leur écriture, m'ont paru en retrait par rapport à la suite.
Car un enthousiasme sans réserve revient avec « Le Bal des Obsolètes », qui n'est autre qu'une suite – indépendante – à Carmélia. Cette fois, Duchemin fait parler une tombe qui nous présente la vie quotidienne d'un cimetière, en deux parties très différentes : le jour, où la pierre tombale se raconte et philosophe au rythme des visites et des enterrements ; la nuit, où goules, vampires et fantômes prennent possession des lieux et mènent une folle sarabande.
De même, « Les Têtes » est un texte très original où deux récits s'emboitent. Dans l'un, un ange cherche à distraire les âmes qui s'ennuient à mourir en leur racontant une ultime histoire, dans l'autre un nouveau venu fait une visite guidé du Royaume des morts et y rencontre les divers crânes qui le peuplent. Cette macabre allégorie finira par laisser Dieu bien déprimé...
Enfin, le « Conte de la chouette aveugle », pathétique histoire d'un prédateur qui, atteint de cécité, se voit condamné à ramper et à se faire rosser est un conte cruel des plus remarquables.
Ce recueil confirme donc le talent de Gérald Duchemin, notamment pour prêter sa voix malicieuse à des objets inanimés ou à des animaux. Bien que sa production demeure encore peu fournie, son ton très personnel l'impose comme un auteur unique dans le paysage fantastique français. A quand le prochain roman ?
Pascal PATOZ (lui écrire)
Première parution : 25/5/2009 nooSFere