Sur la planète Lointemps, les hommes ont disparu, victimes d'une épidémie. Les femmes ont enterré et pleuré les morts. Mais elles ont survécu — et elles ont trouvé le moyen de faire des enfants toutes seules (des filles, évidemment). Mille ans après, elles découvrent le voyage entre les univers parallèles, et leur envoyée, Janet, arrive sur une autre Lointemps, dans une autre dimension : la Terre. Notre Terre. Un monde absolument différent où il y a non seulement des hommes, mais des hiérarchies, des guerres, des gens qui se déchirent, d'autres qui se dominent... Les êtres se définissent par un sexe, avec un rôle défini avant d'appartenir à l'humanité ! Un univers monstrueux, qui lui fait regretter la paix, la sérénité, la joie de Lointemps.
Joanna Russ, née en 1937 à New York, enseigne l'écriture dans plusieurs universités américaines. Elle s'est imposée dans les années soixante comme le plus grand auteur féministe de science-fiction. Sa puissance de conviction, sa hardiesse d'écriture, s'expriment aussi bien dans ses romans que dans ses essais. L'autre moitié de l'homme est son chef-d'œuvre.
Comme cet autre roman de femme également publié par Ailleurs et Demain (Les dépossédés,d'Ursula K. Le Guin), The female man(dont la traduction en français inverse la signification de manière fâcheusement phallocratique !) évoque le voyage d'un Utopien en anti-utopie. Ici, l'Utopien est une Utopienne, qui vient de Lointemps 1, une projection future et parallèle de la Terre où les hommes ont disparu depuis 1000 ans — donc l'agressivité, la guerre, les hiérarchies dans le travail, les drames sexuels... Quant à l'anti-utopie, c'est l'Amérique d'aujourd'hui. Mais, contrairement à Le Guin, Russ n'a pas écrit un récit classique : plutôt une ébauche de roman (l'écrit (se) réfléchissant sans cesse sur lui-même et l'auteur intervenant dans son texte, un peu à la manière de Malzberg), ou alors un essai sur le — ou un possible — féminisme déguisé en roman de s-f. Il n'est pas très sûr que cette méthode stylistique hachurée (l'auteur écrit se gardant par avance des critiques : « Ce livre sans consistance... pas de personnages solides, pas d'intrigue... complètement hermétique... les clichés usés des anti-romanciers... ») ait été un parti-pris vraiment maîtrisé, car l'ouvrage n'échappe pas toujours au bavardage et aux redites. Quant à la visée idéologique (faire réfléchir sur le féminisme le public mâle des livres de s-f), il n'est pas sûr non plus qu'elle atteigne bien sa cible : le roman risque de n'atteindre que les convaincus (A s'empresse de dire qu'il en est, encore qu'il eût dû ici céder la plume à UNE critique !), et de rebuter les machistes qui abriteront leur rejet derrière l'abus de redondances. Quoi qu'il en soit, voilà un livre passionnant et irritant, et à coup sûr important dans la s-f (hors, on pourra tout de même se reporter utilement à Millet, Gréer, d'Eaubonne, Beauvoir, etc.)
Notes :
1. Qui apparaît déjà dans la nouvelle Lorsque tout changea (in Femmes au futur, chez Marabout), sans du tout que le roman soit un élargissement de ce court texte.