Un fantastique autre. C'est sans aucun doute le credo des éditions Mirobole, qui après la Russe Anna Starobinets, avec Je suis la Reine, nous proposent de découvrir un auteur suédois, Anders Fager. Les Furies de Borås est un recueil composé à partir de trois recueils originaux parus entre 2009 et 2011 ; il reste néanmoins très bien équilibré, entre textes courts et récits plus longs (hormis sans doute « Le Vœu de l'homme brisé », dont la thématique et le décor tranchent étrangement avec les autres nouvelles). Entremêlés dans ses pages se trouvent des fragments, ainsi intitulés par l'auteur, à la numérotation à trous (on commence au numéro six), sortes de nouvelles en plusieurs parties, dont certaines sont d'ailleurs la suite de textes portant un « vrai » titre. Comme pour mieux signifier que l'horreur la plus abjecte est forcément insidieuse, se glissant dans toutes les anfractuosités qu'on voudra bien lui laisser, et qu'une fois tombé dans l'épouvante, il est difficile d'en sortir réellement.
Car l'univers de Fager est noir, très noir. Qu'il s'agisse d'une boîte de nuit, de la campagne suédoise du XVIIIe siècle, d'un parc ou du centre-ville de Stockholm, tout est propice à réveiller les terreurs les plus profondément enfouies en nous. Ces dernières rappelleront d'ailleurs pas mal de souvenirs à certains d'entre vous : on y croise une créature chtonienne (« Joue avec Liam ») ou un monstre surgi des marais (« Les Furies de Borås »). Un terrain balisé auparavant par un certain Lovecraft... La parenté est évidente ici, puisqu'on y croise aussi une femme qui tient un magasins d'aquariums, et qui souffre d'un mal bien profond, dont on découvre progressivement la nature, et qui évoquera les créatures marines d'HPL (« Trois semaines de bonheur », sans doute le texte le plus fort du recueil). Dans les fragments, on découvre aussi une créature tombée du ciel et qui tente de faire son chemin sur Terre, sans se soucier des éventuels dégâts collatéraux sur la population locale... On pourrait ainsi continuer la liste pendant longtemps : Fager a bien potassé son Lovecraft, il le connaît sur le bout des doigts et s'amuse à le retranscrire dans la Suède d'aujourd'hui. Mais la démarche est loin d'être gratuite : il ne se pose pas en simple imitateur, mais produit une œuvre véritablement originale, où infuse sa nationalité. Le décor est ainsi exclusivement suédois, voire centré sur 2-3 endroits, dont bien évidemment Stockholm. Pas besoin de connaître la Suède en détail pour savourer ces textes, mais le décor choisi leur confère un cachet très intéressant. Fager en joue d'ailleurs parfois avec cynisme : dans « Un point sur Västerbron », des dizaines de personnes disparaissent en se jetant d'un pont en masse. Or, rappelons que la Suède a toujours eu la réputation d'être un pays où l'on se suicide beaucoup, alors que le taux de suicide dans le pays est inférieur à celui de la France ; simplement, la Suède a été l'un des premiers pays à officialiser son taux de suicide, d'où sa réputation...
Afin d'être parfaitement exact, Fager sait parfois s'éloigner de l'encombrant parrainage de Lovecraft. Comme dans « Encore ! Plus fort ! », où deux amants jouent à s'étouffer pendant l'acte sexuel, afin d'accéder à un état de conscience supérieur... sans se douter de ce qu'ils découvriront. Le puritain HPL aurait assurément trouvé ce texte explicite totalement dégoûtant. Mais, qu'il s'agisse de textes d'obédience cthuluesque ou de récits fantastiques autres, l'art de Fager reste le même : un vrai talent pour faire surgir l'horreur sous toutes ses formes : glauque, viscérale, mais aussi psychologique. L'auteur frappe fort, là où ça fait mal, là où il sent que se présentent des failles dans notre société trop bien balisée. Il s'appuie pour cela sur une vraie profondeur de description de ces personnages, et sur un équilibre permanent entre l'implicite et l'explicite, entre le non-dit et certaines scènes de pure violence qui nous explosent à la gueule.
Bref, on ressort sonné de ce recueil, qui nous dévoile un nouvel écrivain de fantastique à suivre, même si sa nationalité suédoise risque fort d'être un frein à sa traduction en France. On ne peut donc qu'espérer que les éditions Mirobole poursuivent leur travail, par exemple en publiant le reste des trois recueils originaux à partir desquels est constitué Les Furies de Borås, si bien sûr les textes sont du même tonneau. Chaudement recommandé.