[Critique de deux anthologies :
Dedale 1 aux éditions Marabout présentée par Henri-Luc Planchat et
Univers 01 aux éditions J'ai Lu présentée par Jacques Sadoul. note nooSFere
DU PROTON POUR LES PETITS RESEAUX
Deux anthologies à parution périodique ont vu le jour avant l'été ; à croquer, donc, pour tous les goûts.
La première,
DEDALE 1, chez Marabout, dirigée par ce jeune homme à la rouge chevelure nommé Henry-Luc Planchat (l'auteur de ce merveilleux texte «
Tu pleurais, petit singe » :
Galaxie N° 134, et également anthologiste chez Seghers), est entièrement consacré à la SF française. Douze textes la composent :
— Le cinéma mental de Belinda Blue, par Daniel Walther. Les inconditionnels de l'auteur y trouveront encore de merveilleuses images fantastiques. Ce n'est cependant pas un texte de sa meilleure veine ; juste un minerai brut, à admirer de temps à autre...
— Portes de gloire, rivages de nuit, par Dominique Douay. J'aime bien ce que fait Douay. Cette nouvelle ne fera pas exception. « Une Glorieuse ! Je me suis tapé une Glorieuse ! » Bougre de socialiste !
— Cautérisation, par Jean-Pierre Hubert. Hubert fera probablement parler de lui ces prochaines années... s'il parvient à se débarrasser de la poussière « galactique » qui ternit son originalité.
— Diachromatisme bijectionnel, par Pierre Marlson. Intellectuel... lisible malgré tout, ce qui est une performance.
— Mort et transfiguration, par Jacques Barbéri. Surréaliste.
— Fils de pube, par Chrstian Léourier. Sain et amusant.
— Sables... Sables..., par Pierre Suragne. Décidemment incapable d'être sérieux ce Suragne. Un conte de fée à la Gotlib.
— Bogus Mann, par Christian Vilà. Classique, intéressant et prometteur. Ne pas se déconnecter, l'auteur fera encore mieux.
— Boubou, par Jean-Baptiste Baronian. La petite crotte du patron. Finalement pas déplacée du tout (Taisez-vous les mauvaises langues !).
— L'omphalosite sur le bout du banc, par Yves Frémion. Frémion n'a pas l'intention de faire une carrière d'auteur (Heureusement ! Serait capable de réussir). « Là sur le bi, sur le banc. Là sur le bi du bout du banc ». Chantant, n'est-ce pas ? A part ça, Frémion parle de Jésus d'une façon pas ordinaire.
— Le saut, par Tony Cartano. A la troisième lecture, j'ai compris que je n'arriverai pas à comprendre ce texte. C'est peut-être très bien... J'espère qu'un critique m'expliquera.
— Les Maîtres des Jardins, par Katia Alexandre et Michel Jeury. Bien à sa place en conclusion de ce recueil, cette nouvelle est très belle, pleine d'amertume et de considérations remarquablement lucides sur l'étendue du pouvoir des sociétés multinationales. Planchat n'a pas tort d'être enthousiaste ; Jeury est un homme tout à fait digne de ce sentiment.
Au total, une anthologie assez inégale, mêlant (un peu trop ?) complaisamment le meilleur et le pire. Mais H.L, Planchat s'est lancé là dans une entreprise loin d'être de tout repos et, dans ce torrent furieux de la SF française lasse de vingt ans d'égale platitude, il n'a pas lâché la barre. Vas-y Planchat !
Autre entrée en lice, l'anthologie trimestrielle chez « J'ai Lu » de Jacques Sadoul et Yves Frémion, « UNIVERS 01 ». Autant le dire tout de suite, ces deux-là ne se sont pas mouchés du coude pour composer leur sommaire ; jugez plutôt :
— L'oiseau de mort, par Harlan Ellison. Hugo 74 de la meilleure novelette à la convention mondiale de Washington. Ça en jette, hein ? Ellison (aurait sûrement dit Cocteau — remarquez que je m'avance peut-être un peu...) « c'est le génie à l'état pur ». Les dédales de sa littérature sont infiniment compliqués et il faut faire preuve d'un effort plus que sérieux pour pouvoir jouir pleinement de cette nouvelle. Cela fait, on peut relire et prendre conscience du petit « chef d'œuvre » que l'on a sous les yeux.
— Le salaud, par Frederik Pohl. Classique et passionnant. Agréable détente après Ellison.
— Notes pour un roman sur le premier vaisseau atterrissant sur Vénus, par Barry Malzberg. Les infrastructures d'un roman que l'on a envie de lire.
— Venceremos ! par Dominique Douay. Une interprétation tout à fait personnelle et tout à fait horrible du coup d'Etat militaire au Chili (et de toutes les répressions en général). De quoi vous donner le frisson ; on en sort difficilement indemne. Très réussi.
— Déflation 2001, par Bob Shaw. Un peu facile.
— Moby, aussi, par Gordon Eklund. A mon avis, Eklund est un grand bonhomme de la SF (lisez « Le silence de l'aube » — Le Masque/SF — si vous ne me croyez pas). « Moby, aussi » est un texte qui secoue, tant par sa sensibilité que par sa profonde violence.
— Ersatz éternel, par A.E. Van Vogt. L'ébauche de ce qui aurait pu être une fort bonne nouvelle, avec davantage d'étoffe. Décevant.
— Sur le monde penché, par Michel Demuth. Une cascade d'images plus superbes les unes que les autres. J'espère — le rédacteur tue trop souvent l'écrivain — que Michel Demuth nous offrira d'autres bijoux de cette taille et de cette pureté.
— L'herbe du temps, par Norman Spinrad. Ambitieux. Trop sans doute, car la lecture ne provoque pas le vertige que l'on pouvait escompter tirer du sujet Disons qu'il s'agit là d'un texte expérimental.
— Le défi de l'au-delà, par Catherine L. Moore, Abraham Merritt, H.P. Lovecraft, Robert E. Howard et Franck Belknap Long Jr. Du brio et... beaucoup de poussière. L'affiche fera la joie du collectionneur et de l'antiquaire. C'est tout.
Voilà pour les nouvelles (plutôt soufflant, dans l'ensemble, non ?). Suivent un essai très intelligent de J.F. Jamoul (« Vases communicants ») sur les similitudes/rapprochements entre l'art pictural et la SF, un historique de J.P. Dionnet sur les fascicules « Artima », spécialistes des années 50-60 de la BD de SF, une chronique nécrologique de Jacques Sadoul et le tableau des plus récentes parutions dans le genre. En fin de recueil, Jacques Bergier fait rire tous ces tordus d'intellectuels de la SF.
La dernière page d'UNIVERS 01 se tourne et, vous l'avez deviné, j'ai bougrement hâte de tenir entre mes mains le second numéro. Je vais vous dire un truc (mais, motus ! Ne le répétez pas, il en aurait la grosse tête et ne pourrait plus enfiler son scaphandre), je crois que ce petit Sadoul fera son chemin. C'est déjà fait ? Ah, pardon...
Joël HOUSSIN
Première parution : 1/11/1975 dans Fiction 263