Tout ce que nous sommes, pour les extra-terrestres, est bien différent de ce que nous imaginons. S'ils tremblent et s'évanouissent, ce n'est pas forcément parce qu'ils nous craignent, mais parce que nous parlons trop fort et sentons mauvais. Mais voyager avec un Protec sur le dos n'est pas une solution : on risque alors d'être pris pour une victime du démon, et il y a partout des exorcistes.
Quinze nouvelles ironiques et féroces par l'inventeur des bateaux parleurs et des fiancées en conserve.
L'auteur :
Né à New York en 1928, mais passe son enfance dans le New Jersey où, dès l'école primaire, il commence à écrire de la poésie et des pièces de théâtre. Il sillonne en auto-stop la Californie, où il fait de multiples métiers. À vingt-quatre ans, diplômé de l'université de New York, il vend sa première nouvelle.
1 - Pèlerinage à la Terre (Pilgrimage to Earth / Love, Incorporated, 1956), pages 7 à 23, nouvelle, trad. Jean-Michel DERAMAT 2 - Tout ce que nous sommes (All the Things You Are, 1956), pages 25 à 39, nouvelle, trad. Jean-Michel DERAMAT 3 - Piège (Trap, 1956), pages 41 à 54, nouvelle, trad. Jean-Michel DERAMAT 4 - Le Corps (The Body, 1956), pages 55 à 61, nouvelle, trad. Jean-Michel DERAMAT 5 - Modèle expérimental (Early Model, 1956), pages 63 à 88, nouvelle, trad. Jean-Michel DERAMAT 6 - Service de débarras (Disposal Service, 1955), pages 89 à 95, nouvelle, trad. Jean-Michel DERAMAT 7 - Le Fardeau des humains (Human Man's Burden, 1956), pages 97 à 114, nouvelle, trad. Jean-Michel DERAMAT 8 - Peur dans la nuit (Fear in the Night, 1952), pages 115 à 119, nouvelle, trad. Jean-Michel DERAMAT 9 - Protection (Protection, 1956), pages 121 à 134, nouvelle, trad. Jean-Michel DERAMAT 10 - La Terre, l'air, l'eau et le feu (Earth, Air, Fire and Water, 1955), pages 135 à 146, nouvelle, trad. Jean-Michel DERAMAT 11 - Le Clandestin (Deadhead, 1955), pages 147 à 159, nouvelle, trad. Jean-Michel DERAMAT 12 - L'Académie (The Academy, 1954), pages 161 à 190, nouvelle, trad. Jean-Michel DERAMAT 13 - Une tournée de laitier… (Milk Run, 1954), pages 191 à 210, nouvelle, trad. Jean-Michel DERAMAT 14 - La Révolte du bateau de sauvetage (The Lifeboat Mutiny, 1955), pages 211 à 229, nouvelle, trad. Jean-Michel DERAMAT 15 - Les Grands remèdes (Bad Medecine, 1956), pages 231 à 253, nouvelle, trad. Jean-Michel DERAMAT
Dans les années 1973/74, Lafferty avait fait dans l'édition SF de notre pays une impressionnante percée avec quatre romans traduits en moins de dix-huit mois 1. Le terrain avait été bien préparé, il est vrai, par Galaxie qui avait publié la plupart de ses nouvelles parues en français. Est-ce la disparition de notre consœur ?... quoi qu'il en soit, le boom laffertien fut sans lendemain, la signature de notre homme n'apparaissant depuis que très épisodiquement, dans quelques anthologies. Lieux secrets et vilains messieurs arrive à point pour nous rafraîchir la mémoire, pour nous replonger dans l'univers fou, fou, fou de Raphaël Aloysius Lafferty. Et ce, seize fois 2.
« Sur le plan de l'énormité du talent, Lafferty est ce qui est survenu de plus excitant depuis vingt-cinq ans (...) Des années lumières au-delà de ce que n'importe lequel d'entre nous essaie d'écrire ». Bigre ! Et de qui sont ces lignes définitives ? D'Harlan Ellison, pas moins 3. Il faut dire que la science-fiction de Lafferty ne ressemble à aucune autre. A vrai dire, comment pouvez-vous vous prénommer Aloysius et écrire de la SF comme le dernier des heinleins ? Lafferty c'est l'insolite dingue, l'humour déroutant, l'érudition infernale mâtinée d'une verve canulardesque, l'hermétisme le plus agaçant s'accouplant avec la loufoquerie la plus totale. Tout Lafferty procède de l'univers parallèle : L'inspiration kaleïdoscopique, l'écriture en folie mais d'une rare précision (« Ma passion c'est la langue. N'importe quelle langue »), la logique inimitable. Science-fiction éthylique ? Pourquoi pas, si l'on en croit l'auteur : « j'ai beaucoup bu pendant des années et y ai renoncé il y a six ans. Ça a laissé un vide : quand on abandonne la compagnie des buveurs les plus intéressants on renonce à quelque chose de pittoresque et de fantastique. Alors j'y ai substitué la science-fiction » 4. Science-fiction baroque, saugrenue et incongrue où des îles de marbre flottent dans le ciel (pour construire une pagode il n'y a qu'à attendre que l'une d'entre elles se pose à l'endroit voulu, et finir de la sculpter), où le monde pivote parfois sur ses gonds présentant tantôt une face, tantôt l'autre, où une société secrète dont le nom de code est Crocodile (vieille de 8 809 ans selon certains, 7 349 si l'on se sert de la chronologie courte) gouverne le monde etc.
Science-fiction ésotérique aussi, au goût prononcé pour le secret et la parabole abstruse qui laisse parfois — souvent — le lecteur perplexe. Là n'est pas le moindre charme de la prose laffertienne, mais aussi ses limites, irritantes, car n'entre pas qui veut dans l'univers d'Aloysius. Et seize délires à la file, sans souffler, c'est beaucoup. Aussi, au sage conseil du dos de couverture « Raisonneurs s'abstenir ! », j'ajouterais cet autre : « A déguster lentement, par petites lampées... »
Les hasards de l'édition font parfois bien les choses (mais est-ce bien un hasard ?) : le même mois que le Lafferty, sort en effet la réimpression -sous nouvelle couverture signée, comme d'habitude, Stéphane Dumont -du Pèlerinage A la Terre de Robert Sheckley, cet autre humoriste de la science-fiction, lui aussi vieil habitué de Galaxie. Le recueil n'a pas pris une ride et la machine scheckleyenne tourne à plein rendement, stigmatisant l'american way of life et l'homo américanus avec cette ironie mordante propre à « l'enchanteur paranoïaque » 5 et ce goût pour les univers absurdes où les bateaux de sauvetage se révoltent contre leurs occupants, où les épouses « modèle-pionnier » sont livrées congelées et où les rencontres du 3e type ne se passent pas comme au ciné !