Les jeunes éditions Cylibris se sont faite spécialité de publier des premiers romans, couvrant aussi bien la littérature générale que les littératures de l'imaginaire. Dans les genres qui nous intéressent ici, ils ont déjà révélé en 1997
La Table d'Hadès, un policier fantastique de
Raphaël Reclus, et
Artahe, roman fantastique de
Philippe Ward, tous deux à découvrir. Voici à présent
1 Café-Fleur, un court roman de Catherine Guez.
Il est difficile, quand on est un architecte amateur de poésie ou une écrivain amoureuse de beauté, de vivre dans une société où l'art est interdit et l'émotion artistique un délit. C'est pourtant le cas d'Isaac et de Cécile, qui à leurs risques et périls tentent de s'aimer et de vivre leur passion hors-la-loi. Et des risques, il y en a. La censure, bien évidemment, mais pire encore est l'injection de bétagamane, une substance qui inhibe pour une durée variable la capacité d'éprouver une émotion artistique. Parce que ses écrits sont une incitation à l'expression artistique, Cécile s'est vue infligée la peine maximale : deux ans de privation de ce sens, véritable castration qui la conduira au suicide car devenue incapable de comprendre même ce qu'elle — c'est à dire une étrangère — a pu écrire jadis.
Café-Fleur est construit comme un va-et-vient entre trois époques. Avant l'application de la peine infligée à Cécile : sa rencontre avec Isaac, la passion partagée, le procès ; après l'injection de bétagamane : Isaac et Cécile séparés par un gouffre de deux ans, la tentative d'Isaac de réhabiliter l'art par la force ; et enfin après le suicide, la deuxième mort, de Cécile : le commissaire inquisiteur voulant prouver qu'Isaac est un délinquant artistique et un meurtrier, Isaac qui se retrouve doublement seul depuis qu'a aussi été muselé le Café-Fleur, cet ex Café Le Flore où le jeune architecte entendait les voix d'artistes qui parlent encore à ceux qui savent écouter.
Si
Café-Fleur emprunte bien évidemment à l'anti-utopie, c'est toutefois en vain qu'on y cherchera par exemple une description détaillée de cette société répressive où les âmes sensibles doivent se travestir.
Café-Fleur n'est pas
1984 ni
Paris au XXème siècle. S'il faut établir une comparaison, c'est plutôt du côté de
Boris Vian qu'on cherchera, car ce roman flirte allègrement avec un fantastique poétique et surréaliste. Sur un ton doux-amer qu'on retrouve presque à chaque page, l'auteur exprime son amour des mots et de l'art, fait l'éloge de la beauté et de la vie.
Notes :
1. Cette chronique a été rédigée en février 1998. [Note de nooSFere]
Philippe HEURTEL (site web)
Première parution : 1/11/2003 nooSFere