« Nous aussi nous savons faire des livres. Et s'il faut crever des ventres pour les imposer, nous n'hésiterons pas » (p. 356). Ainsi se présente ce manifeste écrit par « l'un des chefs de file de la tendance gauchisante de la SF » (Jaquette), et orné de quelques dessins de Volny. Le but de l'ouvrage est clair : présenter le programme de la SF politique française, et commencer de l'illustrer, en incluant 9 mini textes.
Nous n'avons pas — c'est heureux — affaire à un discours monolithique : Blanc choisit de rassembler ici des matériaux plus anciens, épars dans Libération (des interviews, des analyses), des préfaces d'Univers, de Retour à la Terre, de larges extraits des minutes du Congrès de Clermont-Ferrand, organisé par Fontana, et quelques inédits. Par exemple, les réponses d'auteurs de SF à quelques questions : la mise en parallèle des réponses est instructive. Un matériau assez varié, rassemblé pour la première fois, et donc susceptible d'être embrassé d'un seul coup d'œil. Enfin on va pouvoir se faire une opinion sur les programmes, la cohésion, les idées, les visées, les idéologies, les amitiés qui constituent en gros cette tendance de la SF, politique. De ce point de vue, c'est un livre important : pour une fois, des auteurs parlent de ce qu'ils font, de ce qu'ils sont, de ce qu'ils aimeraient faire et des difficultés où ils se trouvent. Comme il s'agit de diverses strates, que les textes ont parfois trois ou quatre ans et que les positions évoluent, je vais tâcher de proposer quelques pistes pour une lecture, sans prétendre à la vérité, bien sûr.
Comme le titre l'indique, il s'agit aussi d'une sorte d'autobiographie. On y voit Blanc dans ses œuvres et ses combats, depuis quelques années, de l'Université jusqu'aux divers congrès-Clermont, Salon où il trouve contre qui se battre. On voit naître ses amitiés, se constituer un petit groupe, plus ou moins stable.
C'est ensuite les collections chez Kesselring, Alerte, et bientôt une collection chez Stock. Entre temps, Libération et le citron Hallucinogène. Ce parcours lui permet de rentrer en contact avec tous les champs de la SF et d'ailleurs — c'est aussi l'occasion de régler quelques comptes.
Ce livre est aussi un carrefour d'idées, ce qui n'a rien d'étonnant si l'on se réfère au parcours suivi : elles surgissent des confrontations intéressantes entre les divers interviewés : Klein et Andrevon ; Douay, Frémion, Jeury entre autres. Et par quelques astuces, ce qui n'aurait été que pièces rapportées prend vie : une sorte d'arrière fond de la SF à quoi on ne pense pas souvent.
C'est aussi le lieu de quelques lapsus et d'une autocritique : lapsus, Blanc ne parle de Fiction qu'au passé, est ce pour l'enterrer ? (Dans le n° 12 d'Univers, la revue que chérit Blanc, Sadoul aussi enterre OPTA ce doit être le dernier jeu à la mode dans les salons où l'on pense !) Contradictions : Blanc cite une analyse des lecteurs de SF, publiée par Michel Cosem in Univers 6 : ceux-ci, en leur majorité aiment du classique, c'est bien connu, même si c'est regrettable. Pourquoi alors déverser une bile vengeresse sur les pauvres adolescents qui ont répondu ? (109) En est-on vraiment a choisir entre les deux termes d'une alternative dont l'un serait qu'il faut « faire du Fleuve Noir » et l'autre « une SF de guérilla ? » Repentirs : Blanc revient sur « la SF de Violence et de cul » qui fut, un moment l'image de marque de .la SF française qui se voulait politique. Il s'interroge « Encore un peu et elle bascule dans la nouvelle droite » (173) De la dérision à la fascination de la violence... Et le lecteur de se dire que c'est bien de se remettre un peu en cause : on peut même espérer que Blanc éditeur s'en souviendra t Et que les futurs textes qu'il éditera ça et là répondent aux objectifs critiques que suggère Klein (185) « Faire ressortir qu'une histoire c'est de l'imaginaire ; et que c'est fait de la morne manière qu'un discours politique. C'est à dire qu'un discours politique c'est aussi de l'imaginaire ». Et qu'on puisse les voir suivre le sillage de la phrase de Jeury, dans les Singes du temps « Nous nous battrons avec nos rêves ».
L'aspect volontairement provocant de l'ouvrage, qui vise à accrocher un public particulier — voir l'article de Defeil de Ton dans le Nouvel Observateur de Pâques — ne devrait pas décourager le public habituel de la SF. Il y apprendra un certain nombre de choses, comprendra certaines positions, sera peut-être enclin à partager d'autres paysages que ceux qui tournent autour de Boskone — et qui ont leur charme. En cette période d'oiseaux mazoutés, d'algues agonisantes, de satellites qui s'écrasent comme des bouses et qu'on croirait issus du monde de Ballard — pensez à l'astronaute Mort, un livre qui interroge une certaine SF, sans que ses propres réponses soient toujours satisfaisantes. Et ce n'en est que mieux.
Roger BOZZETTO
Première parution : 1/5/1978 dans Fiction 290
Mise en ligne le : 12/12/2010