L'idée de Natacha Giordano, dans son anthologie Chimères aux éditions de l'Oxymore, était de présenter un bestiaire des animaux fabuleux, ceux dont nous avons rêvé, enfants, qu'ils existent “pour de vrai”. Ce faisant, c'est une magnifique palette d'émotions qu'elle nous offre, de la tristesse la plus profonde au fou rire le plus communicatif.
Avec Une Hécate et son Chien Léa Silhol, usant d'un ton à la fois nostalgique et distancié, brode inlassablement sur la mythologie grecque qui lui est si chère. Même distanciation, mais dans l'amusement, avec Le Chauffeur Grenouille de Garry Kilworth. Que feriez-vous si vous étiez une femme seule et que vous trouviez dans votre jardin, au bord de la mare, un splendide jeune homme endormi ?
Armand Cabasson, qui vient ensuite, présente avec Jenny et Grapp le monstre un parfait exemple du rire le plus poignant qui soit : Jenny ne s'entend pas avec son beau-père, mais heureusement elle a un ami qui la comprend mieux que sa propre mère, un ami qu'elle dessine partout, sous toutes les formes, et qui saura la protéger... Si l'enfant fait rire par ses réactions, l'histoire, elle, est terrifiante.
Pour se remettre de l'émotion et de la peur (en contradiction avec le avec le rire poignant de la nouvelle précédente), rien de vaut un franc éclat de rire. C'est ce que nous offre Jess Kaan dans L'Affaire des Sylvestres Illuminés, préquelle à son hilarante Affaire des Elfes Vérolés, (nouvelle lauréate du Prix Merlin 2003 et parue chez Nestiveqnen dans l'anthologie « Sciences et Sortilèges »). Cette fois-ci, Eidonius le triton privé se trouve dans une bien mauvaise affaire : il a le choix entre un huissier kraken qui le menace des galères et une vieille sirène qui l'envoie en mission à la surface. Ploof Eidonius s'en sortira-t-il ? Prétexte pour l'auteur à caricaturer notre société, les aventures d'Eidonius contrastent avec son œuvre habituelle, plutôt noire.
Cora, de Ester M. Friesner, est une manticore qui vit dans une cage au fond d'une boutique. Étrange héritage que reçut Edward Brown alors que le reste de la fortune de sa tante allait à un inconnu. Mais l'important, c'est l'amour, et la question que pose l'auteur est celle de la confiance.
La plus émouvante des nouvelles de cette anthologie, celle qui a le plus parlé à mon cœur, est sans conteste Scintille, de Nico Bally. Il y est question de confiance et de tristesse, de solitude et de compagnie, de nostalgie et d'amour, de l'amour débordant dont nous abreuvent les mystérieuses scintilles qui doivent restées cachées dans leur coquilles... et de l'amour qu'on peut porter à une ville triste et grise, comme peuvent l'être les villes portuaires du Nord.
Avec J'veux un Dragon, Olivier Gechter raconte, tout simplement : si les désirs deviennent réalité, si ce qu'on veut par-dessus tout arrive, alors, que se passe-t-il ? Récit frais et drôle, pour reprendre souffle avant Les Cendres du Monde, de Claude Mamier, dont le lyrisme imprégné de légendes africaines — il est un grand voyageur — peut parfois dérouter le lecteur.
Les licornes de Léo Henry sont bien différentes de ce à quoi on peut s'attendre. Ceci n'est pas ce que m'a dit Agathe n'est pas une histoire de fantasy médiévale, oh non ! Ce serait plutôt un de ces récits oniriques oscillant entre folie douce et fantasy urbaine, avec une licorne couleur de crépuscule, qui sauva un jour une jeune fille en la perdant pour le monde des hommes. À l'inverse, Le Visage de Sekt, de Storm Constantine, met en scène un magicien qui, en perdant une jeune fille, permet à une déesse de se réveiller et de marcher sans masque parmi les humains. Une histoire un peu décevante pour les lecteurs amoureux des romans de Storm Constantine Enterrer l'Ombre et Exhumer l'Ombre, mais dont la simplicité repose l'esprit entre les deux textes forts qui l'encadrent.
Cyril Gazengel mêle étrangement les mythologies japonaises et africaines avec Le Roman de Renart. Siècle après siècle, Yves se réveille pour traquer les goupils-servantes de l'Esprit Renard. Sa dernière chasse le conduira chez les Dogons. Nouant entre elles les légendes de trois continents différents dont les protagonistes sont des goupils et des loups, cette étrange histoire est servie par une écriture incisive et accroche le lecteur aussi sûrement que le suspense qui le tient en haleine jusqu'à la fin.
Tout autre est le style de Jérôme Noirez. L'Hydre d'Éveline oscille entre l'absurde et le tragique, le rire et les larmes. Que faire quand on est envahi par la vermine ? Appeler un exterminateur, bien sûr. Mais où en trouver un qui vienne à bout de l'Hydre de Lerne ?
Le court texte de Scott Thomas, Étranges Propos sur les Oiseaux, a plus que des relents de films hitchcockien. À moins, bien sûr, que la vieille Miss Thacker n'affabule et que ces créatures innocentes que sont les mouettes soient incapables de faire le mal ?
Sangdragon, de Sire Cédric, relate une quête, la recherche d'un dragon, non pour le combattre, mais pour prouver son existence passée. Ce que trouveront Karen — la chercheuse — et Ness — le photographe — sera, à n'en pas douter, très éloigné de ce qu'ils prévoyaient, et pourtant, à dévorer la vie, ne doit-on pas s'attendre à la rencontrer ?
La lecture de la nouvelle de Gary A. Braunbeck Les Champs, le Ciel, qui clôt le recueil, suscite un mélange d'émotion et d'incompréhension. La narration est à la fois originale — c'est le Minotaure qui raconte — et confuse. Peut-être faut-il une grande connaissance des thèmes antiques pour l'apprécier à sa pleine valeur, mais aussi, comme souvent pour aborder cet auteur, être familiarisé avec la culture américaine.
Dans l'ensemble, les nouvelles francophones sont nettement au-dessus des anglophones, à l'exception de celle de Garry Kilworth qui est l'une des plus fines. Le tout forme une anthologie très originale malgré son sujet en apparence classique. À déguster les yeux grands ouverts pour mieux apprécier les illustrations de Marie Dereau, parfois aussi drôles ou émouvantes que les nouvelles qu'elles accompagnent.
(Critique également parue sur Zone651)
Lucie CHENU
Première parution : 1/6/2004 nooSFere