Pourquoi parler ici d'un roman policier ? Peut-être, justement en ceci que, malgré la collection où il paraît, ce roman n'a que peu de choses à voir avec un roman de police, d'énigme, ou d'action. Dans un certain sens il fait penser à certains textes de William Irish, où la réalité bascule dans l'insondable. Ici le héros est chez lui, tranquille, prêt à écouter et enregistrer une symphonie. Il entend et enregistre donc, comme figé, un viol qui a lieu dans sa rue — sous sa fenêtre. Il est là, statufié, puis reprend vie pour regarder fuir l'assaillant comme la victime. Ce qui importe est maintenant ce qu'il va faire de l'enregistrement. Il le passe, le repasse, s'en obsède. Au point d'être peu à peu phagocyté par ces sons, ces cris, ces froissements. Et peu à peu l'enregistrement prend possession de lui, il devient le représentant de l'innommable, jusqu'au jour où... Mais voilà !
Dans une époque où tout ce qui est présenté comme horreur rime avec hémoglobine, épouvante et carnaval — ces stades primaires de la sensation et de l'émotion, il est bon de retrouver la dimension perverse du fantastique, son envoûtement subtil. Ces frôlements de folie ordinaire et quotidienne, ces fantasmes un peu glauques sont peut-être plus dérangeants que les tronçonneuses qui hurlent en se dandinant dans les salles de cinéma.
Claude Ecken, qui a déjà publié un policier « tordu » L'abbé X, de la SF, et du Gore — entre autres, se révèle ici, dans le domaine de l'obsession, en constants progrès.
Roger BOZZETTO
Première parution : 1/2/1989 dans Fiction 405
Mise en ligne le : 11/11/2002